La vie d'un journaliste jeux vidéo est pleine de surprises. On voit passer chaque jour pléthore de jeux et d'informations les concernant, au point de finir par oublier le plaisir simple de la découverte d'un petit jeu que l'on avait pas vu venir, ou dont on n'avait absolument pas entendu parler. Un bonheur qui n'en est que décuplé lorsque le titre en question s'avère être de qualité. Un sentiment d'allégresse et de joie que l'on aurait aimé ressentir en jouant à Rogue Stormers, mais comme le disait si bien la maman de Forest Gump : « la vie, c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber ».
Si vous vous intéressez aux projets kickstartés, Rogue Stormers ne doit pas vous être inconnu. Livré en pâture aux joueurs via la plate-forme de financement participatif en mai 2014, celui qui fut un temps connu sous le nom de DieselStörmer a traversé une longue phase d'accès anticipé, avant de débarquer dans nos étals. Développé par Black Forest Games, à qui l'on doit le sympathique Giana Sisters, Rogue Stormers propose de vous faire vivre de trépidantes phases d'action grâce à un mélange de run'n'gun et de rogue-like. Un mélange particulièrement osé, à même de soulever la curiosité des joueurs les plus intrépides... mais qui devraient vite le regretter.
Le tour du propriétaire
Alors, Rogue Stormers, qu'est-ce que c'est ? Eh bien comme décrit plus haut, il s'agit effectivement d’un jeu d'action mélangeant le run'n'gun de notre enfance (Metal Slug, Contra, etc) à des éléments de rogue-like. Comprenez par là que vous allez mourir assez souvent et vous tirerez assez peu d'enseignement de vos précédents échecs, puisque les niveaux sont générés aléatoirement. Si les ennemis que vous devrez trucider n'évoluent finalement pas beaucoup, il faudra donc visiter avec attention les différents niveaux pour trouver la sortie (et là, les plus attentifs devraient déjà lever un sourcil ou deux) et passer au niveau suivant. Notez également que votre porte-flingue engrange de l'expérience et peut monter de niveau; vous débloquerez donc de temps à autre des améliorations qui vous permettront de triompher plus facilement des épreuves qui vous attendent.
Le jeu prend place dans un univers mêlant science-fiction et fantasy, avec des héros en armure portant de gros joujous qui font « pan-pan », ainsi que des ogres, gobelins et orques qui font « groarrrr ». Ces bestioles peuplent en nombre les rues de la ville dans laquelle se situent les différents niveaux du jeu, et figurez-vous que sapristi, tous sont à l'origine des humains normaux. La découverte d'une Substance mystérieuse a mis la ville sens dessus-dessous en transformant les curieux en monstres verdâtres. Le jeu se perd parfois dans la présentation de son lore, dont on n'a finalement pas grand-chose à faire, mais cela a au moins le mérite de nous donner un but clair : libérer la ville de cette vermine.
Quand on arrive en ville
Le premier contact avec un nouveau jeu vidéo se fait généralement grâce à ses visuels, et dans le cas de Rogue Stormers, les choses se sont plutôt bien passées. Principalement parce que le jeu est plutôt joli. Les environnements urbains, qui mêlent constructions médiévales et éléments de décoration plus futuristes, sont joliment mis en couleur et dessinés avec soin, tandis qu'on distingue dans le fond de nombreux détails qui habillent Rogue Stormers avec élégance. Un background qui n'est d'ailleurs pas fixe puisque l'ensemble se déplace légèrement en fonction de vos mouvements, de quoi donner au tout une certaine profondeur.
De ce point de vue-là, le nouveau bébé de Black Forest est donc particulièrement réussi. Les choses se compliquent lorsque l'on commence à jouer plus sérieusement.
« Mélangeons, Jean-Luc ! »
Nous le disions plus haut, Rogue Stormers prend le parti de mixer run'n'gun et rogue-like, un choix audacieux puisque ces shooters à l'ancienne, dont Metal Slug et Contra sont les plus dignes représentants, ont instauré plusieurs conventions qu'il convient de suivre pour éviter toute forme d'accident. Et à vrai dire, on voyait mal comment l'introduction d'éléments issus des rogue-like pouvait permettre le respect de ces quelques règles de base.
Mettons-nous tout de suite d'accord : un run'n'gun tire sa sève de son mouvement continu et de son action intensive, d'où son nom. Généralement en scrolling horizontal, ces jeux imposent au joueur de traverser l'écran de gauche à droite (ou l'inverse), une progression continue vers la fin du jeu qui est perturbée par l'apparition régulière d'ennemis. Le génie d'un run'n'gun, quand il est réussi comme Metal Slug peut l'être, c'est de parvenir à maintenir ce mouvement tout en projetant à la face du joueur de nombreux ennemis et pièges en tout genre. L'excitation vient précisément de là, de la sensation de marcher sur un fil, d'avancer sous le feu tout en éliminant une pelletée d'ennemis tous plus dangereux les uns que les autres. Ce qui suppose que le jeu permet ce mouvement, donc. Ce qui n'est pas franchement le cas de Rogue Stormers, qui commet en fait deux erreurs critiques.
La première c'est que les ennemis ont beaucoup trop de santé. En temps normal, dans un jeu de ce genre, les ennemis s'éliminent en un tir ou deux ; en contrepartie, votre personnage est également plutôt fragile. Mais puisque les différents mobs peuvent être détruits assez facilement, vous pouvez parfaitement avancer tout en tirant. Dans Rogue Stormers, les choses sont pour le moins différentes. Puisque vos ennemis ont trop de santé, vous serez régulièrement amenés à vous arrêter, ou à camper certaines plates-formes, le temps de faire le ménage devant vous et de vous frayer un chemin. Ce qui n'est pas toujours très excitant puisqu'une bonne partie des ennemis se contentent de vous attaquer au corps-à-corps. Les ennemis capables de vous attaquer à distance ont encore plus de vie et sont donc plus agaçants encore, puisqu'il faudra plusieurs longues secondes pour pouvoir les éliminer. Mention spéciale aux petits orques qui vous attaquent depuis des dirigeables, à la résistance aussi douteuse qu'agaçante...
Notez que dans de nombreux jeux d'action à scrolling horizontal, et notamment dans les jeux de tir, des ennemis résistants ne sont pas forcément un problème. C'est également vrai dans pas mal de FPS, des jeux en trois dimensions donc. Si l'on ne peut plus franchement parler de run'n'gun, ce n'est pas un souci parce que les niveaux sont construits en conséquence. Il faut permettre aux joueurs d'éviter les attaques ennemies, de temporiser, et de contre-attaquer, et cela passe par un bon level-design. Mais encore faut-il que cela ait été bien pensé. Construire des niveaux, savoir où placer des zones de couverture, la distance les séparant les unes des autres... C'est un métier, une véritable science. Ce qui nous permet d'en venir à la seconde erreur critique de Rogue Stormers : sa dimension rogue-like, ou tout du moins une partie de celle-ci.
En optant pour la génération procédurale des différents niveaux du jeu, Rogue Stormers perd l'intelligence de level-design qu'il devrait vous proposer pour vous permettre de gérer le trop-plein de santé de vos ennemis. Vous serez trop souvent acculés, coincés, puis abattus par vos ennemis, vous donnant la désagréable sensation que le jeu a cherché à vous piéger, alors que la chose est parfaitement aléatoire. Avec le temps, vous apprendrez à gérer ce défaut, mais le résultat, c'est que Rogue Stormers est un très mauvais run'n'gun. Puisque l'on passe son temps à l'arrêt, ou à faire machine arrière, à descendre et monter partout pour éviter les ennemis avant de contre-attaquer, le bébé de Black Forest ne permet à aucun moment de ressentir cette sensation de flow si agréable dans un Metal Slug. Cette fuite vers l'avant, vous ne la ressentirez que trop rarement.
Quand rien ne va
Avec ces deux erreurs, Rogue Stormers ne peut donc décemment pas boxer dans la catégorie run'n'gun à laquelle il prétendait. Reste donc un jeu d'action finalement très vite ennuyant, procurant trop peu d'émotions. Les amateurs de jeux exigeants apprécieront peut-être son caractère sans pitié, avant de plier bagage. Que ce soient les sons des armes ou les niveaux qui se répètent à gogo, vous rappelant avec plaisir vos meilleures après-midi devant le nuancier du rayon peinture de votre Castorama préféré, rien chez Rogue Stormers n'excitera votre soif de destruction, et donc votre envie de poursuivre la partie. Un constat qui vaut également pour les différentes armes secondaires du jeu, qu'il est possible de ramasser tout au long de votre progression. Le côté aléatoire de la chose a bien entendu quelque chose de ludique, mais quand même une frappe orbitale a le peps d'un coup de canif...
Les images utilisées dans ce test proviennent de la version Xbox One du jeu
Trailer de Rogue Stormers
Points forts
- Plutôt joli
- Les amateurs de challenge corsé devraient y trouver un intérêt
Points faibles
- Un run'n'gun, sans la partie « run »...
- … et une partie « gun » soporifique au possible
- La génération procédurale de niveaux
- La musique qui rend fou
Mélanger les genres, c'est toujours un risque. Soit le dosage est réussi... Soit c'est complètement raté. C'est précisément ce qui s'est passé avec Rogue Stormer, qui n'arrive jamais être être le run'n'gun qu'il souhaiterait être. Avec sa génération aléatoire de niveaux et ses ennemis trop résistants, le titre vous force à rester sur place ou à effectuer de trop nombreux va-et-vient, là où il devrait encourager un mouvement continu dans une seule direction. Laborieux, agaçant, et finalement assez mou, Rogue Stormers ne vous amusera pas plus en solo qu'avec des amis. Dommage, car le titre est servi par de jolis graphismes et une direction artistique qui auraient mérité mieux.