Il y a quelque chose de spécial avec les titres d’Amanita Design. Pas totalement des jeux et pas seulement des vidéos, les expériences que le studio nous propose sont toujours empreintes d’onirisme. Cette capacité à nous faire voyager avec des univers illustrés à la main et des musiques d’une qualité rare, s’est vue récompensée lors de la parution de titres comme Machinarium ou Botanicula. Le 24 mars 2016 les développeurs tchèques sortaient Samorost 3 sur PC et Mac, leur création la plus aboutie mais aussi un retour aux sources…
Pour le studio indépendant, tout a commencé avec Samorost. En 2003, Jakub Dvorský soumet ce jeu d'aventure en Flash comme projet de fin d’études à l'Académie des arts de Prague. Il s’en sort avec un honorable "B", mais la critique des internautes est plus élogieuse encore. Jouable gratuitement et directement sur navigateur, et se terminant en moins d'une heure, le titre s’exporte bien. Remarqué pour son style particulier, Dvorský crée Amanita Design et est commissionné notamment par Nike ou la BBC pour réaliser des animations et des clips.
Mais qu’est-ce que Samorost, au juste ? Avant tout un jeu d’exploration, qui plonge le joueur dans un univers envoûtant et d’une créativité sans bornes. Nous y contrôlons "Gnome", un lutin en grenouillère blanche qui vit paisiblement sur une drôle de planète à l’apparence d’une énorme racine. Il n’aspire qu’au calme et est parfois tiré de son sommeil de plomb pour rétablir l’ordre et rentrer chez lui de plus belle. Après deux épisodes salués par la critique, et onze ans après Samorost 2, la petite équipe d'Amanita Design revient à ses premières amours et accouche d’un titre hors du commun. Notre héros, mieux dessiné que jamais, dort paisiblement dans son observatoire et songe à des voyages dans l’espace. Un rêve qui devient réalité lorsqu’une mystérieuse flûte tombe lourdement dans son jardin, lançant une aventure épique et inattendue…
LA FLÛTE ENCHANTÉE
Tout commence par cet événement apparemment anodin : cet étrange instrument tombé du ciel permet à la fois d’entendre des sons sinon inaudibles, mais également de produire de la musique. Il s’agit là d’un des éléments de gameplay récurrents du titre ; la clarinette servira à dialoguer avec les esprits peuplant le monde et obtenir des indications quant au scénario ou aux énigmes. Gnome apprend de cette manière à mieux connaître le monde qui l’entoure et l’artefact qu’il vient de trouver. Il comprend qu’il est entré en possession d’un objet magique d’une grande importance, qu’il doit retourner à son propriétaire. Débute alors un voyage initiatique pour notre héros, qui commence par résoudre une série d’énigmes sur sa propre planète afin d’élaborer un vaisseau de fortune.
Neuf astres aux environnements variés seront à découvrir les uns après les autres, selon un principe assez futé : la navette spatiale ne peut propulser Gnome que d’une planète à une autre avant de devoir être rechargée. À noter qu’en fin de jeu, un système (que vous découvrirez par vous-mêmes) permet de retourner aux différents lieux d’une manière bien moins laborieuse afin de s’imprégner à nouveau de leur ambiance. Chaque planète ou lune renferme son lot de personnages et créatures à rencontrer. Comme dans tout jeu signé Amanita Design, les dialogues prennent en fait la forme d’illustrations tandis que les personnages produisent une série d’onomatopées : compréhensible par tous, ce moyen de communication contribue également au charme du titre. Ce storytelling particulier et immersif nous fait comprendre l’univers dans lequel nous évoluons par indices plutôt que par de lourds pavés de texte. Avant d’entrer dans le chapitre final, le joueur s’est habitué à l’aspect mystérieux et exotique de Samorost 3 et parle son dialecte.
Comme dans tout point’n click qui se respecte, les énigmes sont au cœur du jeu ; il sera bien souvent impossible de reprendre la route avant d’avoir parcouru tous les secrets d’une planète. Ces casse-têtes sont très graphiques et ne sont jamais les mêmes ; il y a un côté assez grisant dans le fait de cliquer un peu partout et voir ce que cela produit. Le revers de la médaille est qu’il s’agit souvent de tenter toutes les alternatives avant que la situation ne se débloque ; plusieurs puzzles sont assez alambiqués, le fait de les résoudre peut être laborieux et frustrant. L’autre souci est le nombre trop important d’allers-retours et de répétitions, en comparaison à la durée du titre. Il arrive en effet plusieurs fois, sur les cinq à six heures offertes par le jeu, qu'une énigme consiste à répéter exactement les mêmes déplacements et les mêmes opérations trois fois de suite.
Ceci serait un véritable problème si Samorost 3 était un point’n click pur et simple ; cependant et comme vous l’avez remarqué, nous le définissons d’abord comme un jeu d’exploration. Si l’interactivité est un élément clé, et si les énigmes viennent apporter un peu de challenge à l’expérience, le titre est bien en marge des canons du genre. Fidèle aux deux premiers épisodes, il place véritablement ses casse-têtes en second plan. Un système relativement aisé permet en outre d'accéder à la solution de l'énigme en cours, afin d'esquiver un moment difficile et continuer la narration. Samorost 3 n’est pas un titre qui se résout mais s’expérimente ; son créateur le définit davantage comme un disque de musique que l’on parcourt d’une traite avant de revenir sur nos pistes favorites. Un jeu d’ambiance plutôt que de challenge, porté par des illustrations et des sonorités d’une grande finesse.
Découvrez les 10 premières minutes de Samorost 3 :
BEAU COMME UN CAMION
Autant le dire clairement : artistiquement Samorost 3 est une denrée rare. Bien des années sont passées depuis les premiers épisodes, techniquement faiblards mais où l’on reconnaissait déjà la direction artistique très inspirée de Jakub Dvorský. Le bonhomme s’est entouré de quelques pointures, a peaufiné sa technique et s’est résolu à tirer parti de la puissance de nos ordinateurs en abandonnant le jeu sur navigateur internet.
C’est Adolf Lachman, lui aussi diplômé de l’Académie des arts de Prague en 2003, qui a illustré tous les tableaux du jeu. Lachman était entré dans l’équipe pour le développement de Machinarium ; anecdote amusante, Dvorský avoua lors de la convention DevGAMM à Kiev en 2013 que son illustrateur dessinait avec trop de finesse pour donner une ambiance touchante et chaleureuse à Machinarium, et avait dû dessiner de la main gauche pour obtenir un style plus maladroit. Chapeau, l'artiste. Pour Samorost 3, il a pu exhiber tout son talent sans retenue et cela se comprend dès les premières minutes de jeu. Les tableaux sont vivants, organiques, ils fourmillent de détails ; on ne peut que prendre le temps de s’émerveiller devant chaque scène et interagir avec. Avec un savant mélange de photographies, de dessin traditionnel et de retouche par ordinateur, Lachman donne une patte singulière à ses panoramas. Dans un parti-pris écologique inscrit dans l’ADN du studio, on retrouve une ambivalence entre nature sauvage et technologie rouillée. Pour donner vie à ces illustrations fixes, on retrouve les animateurs Václav Blín et Jaromír Plachý qui avaient eux aussi travaillé sur le point'n click robotique.
La bande originale de Samorost 3 est loin d’être en reste, dirigée par Tomáš Dvořák alias Floex, compositeur et clarinettiste. Les pistes illustrent les tableaux avec justesse, leur ton se marie avec une ambiance tantôt atmosphérique, tantôt épique. À la manière de l’illustrateur Adolf Lachman, Floex aime utiliser toutes sortes de matériaux et allie des compositions orchestrales à des bruitages et des sonorités électroniques. La musique fait plus qu’habiller le jeu, elle l’incarne : on sent que le dialogue entre le game designer et le musicien a débuté dès la genèse du titre, rien que par le fait que Gnome joue lui-même régulièrement de la clarinette. Le son dans Samorost 3 est l’élément clé de dialogues et d’énigmes, et sa beauté fait que l'on se surprend à tout arrêter pendant de longues minutes en tendant l'oreille. Très agréable à écouter en elle-même, la bande-son est téléchargeable avec la "Cosmic Edition" du jeu.
Points forts
- Les illustrations impressionnantes
- La bande-son somptueuse
- Une ambiance qui vous transporte
- Un storytelling singulier et efficace
- Un monde fourmillant de détails
- Pas besoin d'avoir joué à Samorost 1 et 2
Points faibles
- Beaucoup de répétitions, d’allers-retours
- Plusieurs énigmes fastidieuses
- Se termine assez rapidement
- Un prix un poil salé (20 €)
Après plus de dix ans d’absence, le jeu d’aventure intergalactique qui fonda Amanita Design revient plus en forme que jamais. Visuellement bluffant, musicalement impeccable, Samorost 3 nous plonge pendant cinq à six heures dans un monde lointain et follement inventif. Méritant de prime abord une note maximale, le titre est pourtant terni par un gameplay imparfait. Essayant de singer Machinarium tout en restant fidèle à son esprit contemplatif, le jeu reste assis entre deux chaises et nous sert des phases de puzzle trop souvent obtuses ou répétitives. Pour autant il est difficile de ne pas terminer ce Samorost 3 d’une traite, ne serait-ce que pour voir quel panorama et quelles sonorités nous réserve le prochain tableau. En définitive, on reste sur notre faim ; non pas parce qu’il manque quelque chose, mais parce qu’on en veut plus – et c’est généralement bon signe.