Concept unique auréolé de son clinquant label Makai Ichiban Kan, Trillion God of Destruction se veut, de l'aveu même de son producteur, un défi adressé au joueur. Un boss unique d'un billion de HP, une mort définitive, une issue funeste quasi-annoncée, la nouvelle licence de Compile Heart est là pour faire ressentir la douleur de la perte au joueur. La question sera donc : peut-il la surmonter?
Test réalisé à partir d'une version japonaise
Le jeu publié par Idea Factory commence aussi tragiquement qu'il va (probablement) finir. Trillion, monstre gigantesque doté d'une force qui dépasse tout, a envahi et commence à dévorer l'Underworld. Apprenant avec stupeur que son frère est déjà tombé, le roi-démon Zeabolos lui-même part repousser le dangereux envahisseur. Sans succès, Zeabolos sera mis en pièces par Trillion, avant d'être sauvé in extremis par une mystérieuse scientifique du nom de Faust.
Vidé de toutes ses forces après sa rencontre avec Trillion, Zeabolos est désormais inapte au combat. Mais l'essentiel de son pouvoir a été sauvegardé dans un anneau par Faust, et est transmissible aux autres Overlords, qui se trouvent être toutes des femmes-démons de sa famille proche. À partir de là, le joueur incarne les filles l'une après l'autre jusqu'à la victoire contre Trillion... ou épuisement des troupes signifiant l'amère défaite.
Trillion Dollar Baby
Afin d'entamer efficacement le billion de HP de Trillion, il va falloir entraîner son personnage tout aussi efficacement. Dans ce nouveau titre Compile Heart, le temps est limité : après chaque combat, Trillion dévore encore un peu plus l'Underworld, hiberne et vous ne disposez que des quelques semaines qui vous séparent de son réveil pour être prêt. La plupart des actions à mener pour votre préparation coûteront un jour dans le jeu. La commande "entraînement" sera la plus communément utilisée : après un courte séquence scriptée, vous accumulez des points de différentes catégories (Attaque, Magie, Réactivité, Attractivité, Sens).
Ces points peuvent alors être traduits en statistiques définitives moyennant un taux de "change" évolutif selon la valeur de la statistique atteinte. Par exemple, à haut niveau, il faut (entre autres) 16 points de Réactivité pour faire augmenter sa statistique Vitesse d'une unité. A noter que les stats Attaque et Vitesse sont ultra-prioritaires, surtout la seconde qui permet ni plus ni moins qu'anticiper les attaques de Trillion.
Mais il faut garder des points à dépenser dans des skills. Tout d'abord, les skills actifs, qui sont en gros les capacités physiques et magiques que vous pouvez lancer à distance contre Trillion et ses sbires. Mais il n'y a pas que ça : vous y trouverez également des skills de mouvements d'une importance cruciale pour la suite, car ils permettent d'avancer de 2 ou 3 cases dans un seul tour. Les skills passifs sont disponibles par dizaines. Certains augmentent la force, la défense, le taux de coups critiques selon une myriade de conditions de déclenchement. D'autres font économiser les MPs, augmenter l'expérience accumulée, etc. Il faut toutes bien les lire, car certaines sont plus ou moins appropriées en fonction de la stratégie et l'état actuels de Trillion. Par exemple, fudô no ishi, qui permet d'augmenter les dommages infligés s'il l'on reste sur la même case, ne doit être validé qu'avec la certitude d'avoir un angle mort fiable contre Trillion.
Autre moyen de s'entraîner, senjin no tani est une zone d'exercices où, dans un nombre de tours limités, vous devrez ouvrir un maximum de coffres à trésor. Vous y gagnerez argent, équipements, mais surtout des sceaux pour votre arme. Les sceaux sont importants car en plus d'augmenter les stats de façon parfois substantielle, ils peuvent modifier la portée de votre arme et cela peut devenir un avantage crucial.
Trillion God of Destruction gère aussi la fatigue et il faudra parfois ouvrir le menu "repos". Celui-ci donne quatre possibilités : passer une bonne nuit de sommeil (grosse récupération), faire une collecte pour amasser des fonds, faire un rencard ou se procurer des cadeaux. C'est là que l'on se rend compte que l'histoire est plus sentimentale et humoristique que licencieuse puisque le fan-service y est quasiment absent. Ce n'est vraiment pas le propos de Trillion: God of Destruction, qui va s'attarder sur les relations entre Zeabolos et ses différents parents plus ou moins éloignés, avec un côté à la fois drôle et émouvant qui découle du sacrifice exigé dans le jeu. A l'instar d'un Fire Emblem Fates : Conquête, c'est effectivement difficile psychologiquement d'envoyer à la mort des personnages qu'on a appris à apprécier pour leur personnalité touchante. Trillion: God of Destruction réalise donc son but : on ressent au plus profond de soi l'amertume de la défaite.
Dernières chose et pas des moindres, ce sous-menu vous permettra d'acquérir des omoide points, qui sont une réserve de HP/MP à utiliser sur le terrain. En d'autres termes, tant que votre personnage à des omoide points disponibles, ses HP/MP de base ne seront pas consommés. Plus en vous en avez, plus vous pouvez tenir longtemps contre Trillion. À accumuler sans aucune modération, donc... Dans le même esprit, offrir des cadeaux permettra de faire monter son affinité avec les personnages jouables. Au joueur de deviner lesquels plairont davantage à qui, sachant qu'une affinité à 100% est quelque chose de très important pour la fin du jeu.
Avec une personnalité fondée pour chacune sur un des sept péchés capitaux, les Overlords sont des fortes têtes. Overlord de l'orgeuil, Luche est par exemple une tsundere sans pareille qui n'arrêtera pas de râler et de chercher à rabaisser Zeabolos. Levia en revanche, qui a une personnalité fondée sur l'envie, sera surprotectrice à l'égard de son seigneur-lige au point de lui en faire voir de toutes les couleurs. Phegor, elle, est une grande soeur paresseuse et imprévisible, pour le plus grand désespoir de Zeabolos qui, en tant que cadet, doit accepter tous ses caprices. Il lui parle d’ailleurs en keigo, registre linguistique extrêmement poli et reservé, ce qui illustre la qualité d’écriture de Trillion God of Destruction dans sa version originale. L'ange Uriel est de loin le personnage le plus drôle : ennemi juré des démons par nature, il doit malgré lui coopérer avec Zeabolos dans le but de commun de détruire Trillion. Extrêmement irrévérencieux, ses échanges avec ses hôtes sont tous absolument désopilants !
Trillion God of Destruction se remarque par son design à mi-chemin entre Mugen Souls et Disgaea. Ce n'est pas un hasard : si c'est bien le character designer de Mugen Souls, Kei Nanameda, qui est au crayon, c'est un transfuge de Nippon Ichi Software, Masahiro Yamamoto, ancien producteur de Disgaea 4, qui supervise cette nouvelle licence pour Compile Heart. On ne sera donc pas surpris par cette petite touche satanique dans l'univers de Trillion, avec son médecin qui dit DEATH au lieu de です en japonais, et ses multiples présents bizarroïdes aux descriptifs inquiétants tel que le saké à 98°, la bougie de l'obscénité ou encore le dôjinshi des ténèbres. Par ses nombreux personnages et cette multitude de détails, l'éditeur de niche construit là un univers complet et attirant.
Attack on Titan
Nous voilà dans le vif du sujet, le combat contre Trillion. Seul et unique boss de ce jeu, fier de son billion d'HP, il va falloir grignoter petit à petit ce gigantesque nombre en s'approchant assez de lui pour lui porter une multitude de petits coups. Chaque Overlord peut affronter Trillion jusqu'à trois fois, mais le temps d'hibernation (donc le temps de préparation) se réduit d'autant. Bien évidemment pendant ce temps, Trillion avance inexorablement vers le centre du royaume. Les combats se déroulent sur une grille comme dans un T-RPG classique, avec des cases délimitant les distances. Trillion va faire deux choses : attaquer et avancer. Cruel et impassible, Trillion ne montre aucun signe de faiblesse et massacrera vos pauvres filles sans état d'âme. Le combat se finit quand votre personnage est mort ou bat en retraite, ou quand Trillion atteint la ligne de défense de la map au cas où votre personnage serait assez fort pour résister. Au 3e combat du même Ovelord contre Trillion, ce dernier, au moment d'atteindre la ligne de défense, répandra une miasme qui tuera à coup sûr votre personnages. Soyons clairs, dans Trillion God of Destruction, la mort n'est pas seulement définitive, elle est inévitable.
N'importe quelle attaque directe de Trillion vous tuera sur le champ. Il est donc indispensable de maîtriser le code couleur des cases annonçant les attaques du géant.
Blanc → attaque dans 4 tours → Jaune → attaque dans 3 tours → Orange → attaque dans 2 tours → Rouge → faut vraiment pas rester là !
Plus gênant, Trillion dispose aussi de rares capacités lui permettant d'influer sur vos déplacements. Il est donc nécessaire de savoir par cœur, en l'observant, quand il va faire une telle chose pour éviter de se retrouver coincé sur une case mortelle.
Une fois qu'il a perdu un certain nombre de HP, Trillion évolue, un peu à la manière d'un Pokémon. A chaque transformation, il devient 20 fois plus dangereux et change totalement ses attaques et sa stratégie. Le joueur doit donc lui aussi repenser entièrement son approche en prenant en compte le nouveau comportement de Trillion. Du coup, le principe du combat contre un adversaire unique qui risquait d'être répétitif ne l'est pas tant que ça, puisqu'il faut en permanence s'adapter pour répondre à la montée en puissance de Trillion. A ce stade, Trillion n'a quasiment plus d'angles morts, il faut donc se les construire.
Quand l'un de vos personnages succombe, il va activer ses Death Skills. Vous allez pouvoir choisir une seule des options suivantes : infliger de gros dégâts à Trillion (plusieurs dizaines de milliards d'un coup), revivre en tant que fantôme avec le prochain Overlord, améliorer l'arme du prochain Overlord, prolonger l'hibernation de Trillion ou sceller un des ses membres. Cette dernière option est de loin la plus importante car elle prive votre adversaire d'une ou plusieurs de ses attaques, rendant les prochains combats beaucoup plus aisés. Par ailleurs, l'anneau se transmet de personnage à personnage avec un petit bonus d'expérience à chaque fois, ce qui fait que le nouvel Overlord et théoriquement toujours un peu plus fort que le précédent.
Le cycle infernal
Mais voilà, Trillion God of Destruction est impossible à finir en une seule partie (il a été programmé comme ça, ce qui a été clairement expliqué par le producteur dans une interview accordée au magazine Dengeki). Il faut donc un voire plusieurs New Game + pour pouvoir espérer voir autre chose que l'écran de game over. C'est pénible, et la dernière forme de Trillion est décourageante au possible : il faut lui sceller quasiment toutes les parties du corps pour être capable ne serait-ce que de l'approcher, ce qui vous fait d'entrée sacrifier plusieurs personnages avoir de pouvoir le toucher. En outre, il fonce vers la ligne de défense beaucoup trop vite, ce qui laisse très très peu d'ouvertures pour lui infliger des dégâts.
Il y a aussi des contradictions dans le gameplay : pour une raison que l'on ne dévoilera pas ici, Trillion est insensible à la magie sur la fin. Or à la fin du jeu, l'ordre des persos est prédéfini et plusieurs sont des spécialistes de la magie : on a donc un déficit de force qui coûte très cher. Sans compter le problème relatif aux sceaux, puisque les dernières confrontations contre Trillion nécessitent certains sceaux à apposer sur votre arme, que vous n'êtes absolument pas sûrs d'avoir puisque leur apparition est totalement aléatoire dans les coffres. Au rang des regrets, la réalisation générale est assez pauvre, avec des cartes laides et étriquées et des persos chibis qui ne correspondent pas aux premiers screens montrés en 2014, signe qu'un downgrade est apparu au programme. Pour finir sur une note plus positive, la bande-son s'est révélée fort surprenante, avec de solides thèmes de combats et quelques thèmes d'ambiance excellemment composés. Dubby Witchcraft, le thème de Faust, a des accents grandiose et à titre personnel, Fragile Female, celui d'Elma, est tout simplement le plus beau morceau qu'il m'ait été donné d'écouter l'an dernier.
Makaigami Trillion présente son gameplay
Points forts
- Système de jeu unique
- Univers complet et attrayant
- Les personnages, touchants et drôles
- Trillion, un méchant haïssable comme jamais
- Très belles musiques
Points faibles
- New Game + quasi-obligatoire
- La partie entraînement tourne en rond
- Techniquement très pauvre
- Quelques grosses failles de gameplay
Trillion God of Destruction est un Tactical-RPG novateur aux mécaniques intéressantes et au design remarquable. Seulement voilà, il est fait pour briser le joueur par sa difficulté et ses coups durs successifs, en donnant une bien mince lueur d'espoir. Il est très possible que vous y jouiez des dizaines d'heures avec pour seule récompense un écran de Game Over. En définitive, on se posera cette simple question : aurez-vous l'infinie patience de recommencer encore et encore?