Auréolé de l'excellente série des Blackwell, il était temps pour le studio Grundislav Games de signer son retour sur la scène vidéoludique. Mais exit le paranormal et les fantômes, nous voici maintenant plongés dans le Miami des années 20 alors que l'Amérique connait un essort sans précèdent. C'est donc aux commandes d'un dénommé Alfie Banks, agent immobilier complètement désavoué que vous allez tenter de faire prospérer votre affaire.
Si le studio change complètement de domaine dans son processus scénaristique, il n'en n'oublie pourtant pas sa patte créative. Premièrement, la forme du point'n'click, qui ici ne fait preuve de nul dépoussiérage avec un gameplay en droite ligné des Blackwell : cela implique évidemment une ergonomie inchangée. Non qu'elle soit totalement handicapante, mais sa lourdeur vous fera jacter plus d'une fois. Notons aussi le style visuel. A l'image de leurs précèdentes productions, l'écran suinte de pixels par tous les ports au risque de méchamment piquer les yeux. Là encore, si vous n'accrochiez pas aux Blackwell, A Golden Wake va vous rebuter sur pas mal de points.
Le rêve américain dans toute sa splendeur
Votre vie est globalement pourrie : vous êtes viré sans sommation de l'entreprise familiale, et êtes sans aucun sous. Mais tout n'est pas perdu. Vous quittez donc la mégalopole new-yorkaise pour découvrir une toute nouvelle contrée : la Floride, ses côtes paradisiaques et surtout son immobilier florissant. La conjoncture économique de l'époque étant en constante progression, il ne vous reste plus qu'à saisir votre chance. C'est ainsi qu'en 1921 vous installez votre première agence et commencez les petites ventes : forcément, les débuts sont difficiles. On ne vous laisse qu'à la vente de vieilles bicoques complètement pourries ou alors des petits locaux et des HLM. Mais tout vient à point à qui sait attendre : peu à peu vous étoffez votre marché et remportez de belles ventes, de luxueuses maisons...Car non seulement le jeu suit une véritable progression dans la construction de l'entreprise, mais son intrigue s'étend également sur presque 15 ans. Grâce à ce long fil scénaristique, le studio prend bien le temps de nous pondre toute une fresque historique : non content de faire preuve d'un réalisme passionnant, le jeu s'ancre complètement dans son époque jusqu'à même ponctuer son aventure de faits réels. Là où cela m'a réellement bluffé c'est quand le jeu à pris en compte la tempête de 1926 qui a ravagée une très grande partie des côtes floridiennes (oui, ça se dit). L'histoire l'inclut tout naturellement dans son propos puisque cela aura de véritables conséquences sur le marché immobilier. Même l'histoire américaine en général inspire A Golden Wake, puisque celui-ci n'hésite pas à puiser dedans pour construire quelques missions (la prohibition notamment).
L'un des principaux enjeux pour l'équipe de développement était d'inscrire une continuité dans l'oeuvre, de lui insuffler du réalisme. Ainsi, si vous ratez une vente, pas de deuxième essai. Vous voilà obligé de repartir vaillament en quête de nouveaux clients. Mais attention, A Golden Wake n'est pas du tout à confondre avec un jeu de gestion, bien au contraire : Les tâches ne sont pas à répeter inlassablement, chaque petit bout d'histoire est scénarisé. Le jeu préfère ainsi se focaliser sur la principale compétence d'un agent immobilier; la tchatche. Les dialogues sont très, très importants pour conclure une vente. Il faut savoir mettre la maison en valeur au risque de mentir, et surtout persuader votre client qu'il fait l'affaire de siècle : Croyez-moi, ce n'est pas toujours chose aisé. De toute façon, le jeu arrive suffisament bien à varier ses situations pour ne jamais laisser le joueur sur le carreau.
Mais au delà de cet aspect, le jeu est avant tout le recit d'un désir d'ambition. Celle d'un homme qui tente de réaliser son rêve, mais qui laisse un sacré paquet de plumes dans l'affaire. Et c'est là que l'ambiance d' A Golden Wake fait pleinement son taff : Les choix de vies douteux, des décisions très rarement légales, un monde de totale magouillerie. Ce jeu me rappel par bien des aspects l'excellent Mafia II ou même le film Les Affranchis de Martin Scorcese, cette ambiance de gangsters qui s'emplifie peu à peu jusqu'a devenir oppressante, c'est assez complexe à retranscrire. Notre pauvre Alfie Banks va en voir des vertes et des pas mures dans son ambitieuse conquête immobilière. Il est par ailleurs extrèmement plaisant de découvrir cette facette du mythique rêve américain. Alfie, lui, n'a jamais voulu tremper dans l'illégalité, il voulait juste barratiner un peu ses clients dans la seule optique de construire une entreprise viable et surtout renflouer les caisses pour refaire sa vie. Mais par un enchaînement d'évènements fortuits, il va lui aussi devoir se salir les mains. Pour conclure cette partie, je tiens juste à dire que j'ai rarement vu un jeu aussi bien coller à la réalité américaine : l'histoire arrive à être à la fois très intéressante, bien écrite et surtout instructive.
Un petit point technique
Comme dit en introduction, le jeu est beau si l'on apprécie le style "à l'ancienne". Cela offre un charme non-négligeable à l'image mais je dois avouer qu'à force cela picotte un peu les yeux quand on s'efforce d'observer l'environnement en profondeur à la recherche de tel ou tel objet. Cela n'est pas suffisant pour conspuer allègrement le jeu, mais c'est vrai que des textures légèrement plus affinées n'auraient pas été de refus. Mais rassurez-vous, les divers décors sont quand même jolis, rendent honneur à la Floride et rendent surtout hommage à la fastueuse époque des années 20. Le soft réussi également un tour de force au niveau auditif : les musiques jazz lancinantes qui accompagnent vos faits et gestes sont toutes d'une grande qualité. Notons aussi un doublage globalement convaincant malgré quelques personnages un poil trop caricaturaux.
Points forts
- Un scénario prenant et étonnant par bien des aspects
- La musique
- L'implication d'évènements réels
- Une grande justesse
- Le côté pixelisé peut-être très joli...
Points faibles
- ...mais handicapant par moments
Sujet novateur, intéressant et fouillé; Grundislav Games réussit son retour avec A Golden Wake. Tout en croquant à merveille l'ambivalence du "Rêve Américain" à travers son récit, c'est aussi une très plaisante progression qui nous est présenté ici : Un melting pot d'influences, qu'il soit réel ou relevant de la pure fiction, donnent une saveur inédite à ce désir d'ambition. A Golden Wake est donc une véritable surprise à découvrir absolument, à conditions, bien sûr, d'être très à l'aise avec la langue de Shakespeare.