C’est donc finalement le 27 août 2015 que le studio indépendant suédois KillMondays, constitué de seulement deux développeurs, sort Fran Bow sur PC, Mac et Linux. Premier projet de réelle grande envergure pour ce studio, Fran Bow a largement réussi à réunir la somme demandée lors de la campagne de crowdfunding. Le jeu a été bien accueilli à la fois par les joueurs et la presse. Que pouvons-nous en dire ?

Fran Bow Madness Returns

Fran Bow est une petite fille d’une dizaine d’année qui fut témoin d’un meurtre violent. Un après-midi, alors qu’elle rentre dans la chambre de ses parents, elle retrouve leurs corps démembrés et découpés. Effrayée, en état de choc, elle tente de s’enfuir avec son petit chat noir, Mr. Midnight. Après une journée et une nuit à errer dans la forêt, elle est retrouvée par des médecins de l’hôpital psychiatrique d’Oswald. Alors qu’ils emportent la fillette inconsciente, son chat disparait. Une fois réveillée, Fran rencontre le Dr Deern qui entame avec elle une thérapie, avec un appui médicamenteux sous la forme de gélules appelées Duotine. Mais très vite, Fran n’a qu’un seul but : s’enfuir de l’asile, retrouver son petit chat, identifier le meurtrier de ses parents et trouver le réconfort et un foyer chez sa tante Grace.

Vous l’aurez remarqué si vous connaissez ce jeu : impossible de ne pas penser à Alice : Madness Returns. Le meurtre des parents, la perte de son meilleur ami (la peluche pour Alice, le chat pour Fran), l’asile, la quête de vérité… Les deux héroïnes se retrouvent sur beaucoup de points. De même, Fran Bow est un jeu baignant dans un univers glauque, onirique, voire parfois très gore. La réalisation artistique est extrêmement soignée. Les dessins, à la fois sombres et mignons, peuvent rappeler ceux de certaines œuvres de Tim Burton. Les musiques viennent magnifier l’ambiance tantôt pesante, tantôt légère des différents chapitres. Le côté horrifique, s’il n’est pas particulièrement effrayant, distille cependant une sensation de malaise finement amenée. Il est difficile de ne pas saluer un tel travail d’orfèvre pour ces graphismes fourmillant de détails et la direction artistique qui fait presque un sans faute.

Click le Clown

Le jeu étant dans la tradition d’un point'n'click classique, la petite Fran avance dans différents tableaux en récupérant des objets qui lui seront utiles pour la suite. Elle possède ainsi un petit porte-monnaie dans lequel elle conserve ses différentes trouvailles, qu’elle peut combiner et examiner en cas de besoin. Ces mécanismes simplistes n’empêchent pas certaines combinaisons d’être un peu recherchées, et il faudra se creuser les méninges une paire de fois.

D’autant que Fran peut « voyager » du monde réel à un monde parallèle lorsqu’elle prend ses médicaments. Vous pourrez donc avaler une gélule à loisir pour passer dans la version « hallucinée » de l’écran dans lequel vous vous tenez, où les ombres et les cadavres qui y apparaissent détiendront peut-être un item clé pour votre progression. Les chapitres se finissent par des minis jeux en 2D et en vue de côté, ce que faisait déjà également Alice : Madness Returns, encore une fois.

Une pelletée de références

Fran Bow ne fait pas des clins d’œil qu’à Madness Returns. D’autres références rappellent le Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll. Certains personnages sont en effet inspirés du chapelier, du chat du Cheshire, et l’on peut s’amuser à tenter de découvrir tous les easter eggs. Autre source d’inspiration : les vieux jeux d’arcade. En effet, certains minis jeux qui terminent les chapitres feront penser à Pac-Man, à Space Invaders… Tous ces éléments, ces références, sont autant de détails amusants, appréciables et qui démontrent la culture vidéoludique des développeurs et leur amour du jeu vidéo. Et, on ne va pas se mentir, par les temps qui courent, avec les grosses productions qui tendent à perdre leur âme et leur singularité, on ne peut que saluer ces initiatives.

Un scénario inégal

Dernier point dont il faut discuter : le scénario. Car il est vrai que, dans les cas des point'n'click, l’intérêt d’un titre ne vient pas des mécaniques de jeu, mais bien réellement en grande partie du synopsis. Sur ce point, on ne peut s’empêcher de dresser un bilan en demi-teinte. Fran Bow s’ouvre sur une situation qui est loin d’être inhabituelle ou originale pour un jeu horrifique. Cela dit, au fur et à mesure que l’on progresse, le scénario s’étoffe, gagne en originalité et en densité. On discerne un véritable background, presque une mythologie qui façonne les fondations de l’univers dans lequel on plonge, et toutes ces informations sont amenées avec cohérence et bon dosage. Jamais le joueur n’a l’impression que les révélations sont tirées par les cheveux, ni qu'elles sont accessoires.

Le jeu est une véritable quête de vérité. Tout le long de l'aventure, nous nous posons des questions sur la nature des hallucinations de Fran – sont-elles réelles ? -, sur la nature du monde – est-ce un monde que Fran imagine, ou existe-t-il réellement ? Toutes ces questions tiennent en haleine et, arrivé à la fin du chapitre quatre, on espère avoir quelques révélations, ou au moins quelques pistes. Mais malheureusement, le chapitre cinq, dans la manière qu’il a d’amener des réponses et de conclure, se révèle très décevant et bien loin des chapitres précédents. Des personnages apparaissent à quelques minutes de la fin, de nouvelles pistes, qui n’apportent absolument rien au récit, sont amenées sans aucune intention de les vérifier ni même de donner un quelconque indice pour le faire. Des tas d’éléments sont laissés en suspend, d’autres sont créés totalement artificiellement. Il en résulte une véritable sensation de confusion, d’inachevé, de bâclé. C’est d’autant plus frustrant que le reste du scénario était bien construit et prêtait à un dénouement épique ou surprenant.

La volonté derrière une telle fin était de laisser les réponses ouvertes à toutes les interprétations, dixit les développeurs. Mais, au contraire, on se perd dans les ficelles qu’on nous tend et on ne comprend rien. Avec un peu de recul, le constat est amer : la fin qui se voulait ouverte est en réalité précipitée. Il manque à Fran Bow au moins un chapitre. D’autant que cela aurait pu gonfler un peu la durée de vie, qui n’est pas mirobolante – compter une petite quinzaine d’heures pour voir le bout de l’aventure, avec une rejouabilité limitée.