Si cette fin d'année est principalement marquée sur Wii U par l'excellent Xenoblade Chronicles X, d'autres exclusivités plus confidentielles débarquent sur la console de Nintendo, sur lesquelles la firme de Kyoto ne peut guère compter pour redresser des chiffres de vente toujours peu enthousiasmants. On pensera notamment aux derniers Mario Tennis ou Project Zero, plutôt décevants. C'est souvent dans ce genre de contexte, couplé à celui d'un probable crépuscule prématuré d'une console, qu'émergent des perles méconnues. Imaginé par Yuji Naka, à l'origine du mythique NiGHTS Into Dreams... dont il semble ici s'inspirer, Rodea: The Sky Soldier aurait dû initialement faire partie du line-up de la Wii fin 2011, sous le nom de Sky Knight Rodea. Ayant changé de développeur en cours de route, la création du studio Prope arrive finalement sur Wii U cinq ans après sa première annonce, dans une relative confidentialité. Fruit d'une gestation compliquée, Rodea relève-t-il du testament méconnu d'une rare richesse, ou du trésor enfoui qu'on aurait mieux fait de laisser moisir pour l'éternité ?
Rodea: The Sky Soldier est sorti sur Wii U dans une version boîte bien particulière, puisqu'elle inclut deux disques. On y trouve bien entendu celui du jeu testé ici, mais également un disque de jeu Wii, celui de Sky Knight Rodea, le titre original développé sur la précédente génération... jamais sorti auparavant, et non commercialisé séparément. Cette édition 2 disques se présente par ailleurs avec une jaquette réversible au cas où vous souhaiteriez plutôt faire le choix de ranger Sky Knight Rodea parmi votre collection de jeux Wii. Toutefois, le distributeur nous ayant envoyé une copie dématérialisée de son titre (non disponible sur l'eShop Wii), c'est la version Wii U uniquement qui sera testée ici. À noter que le jeu est également sorti sur 3DS et que cette édition sera occasionnellement évoquée dans ce test.
Revenons tout d'abord sur la genèse du projet "Rodea". Un homme se trouve derrière ce nouveau titre : Yuji Naka. Si son nom vous est étranger, peut-être serez-vous rassurés à l'idée de savoir que l'homme a notamment dirigé la Sonic Team, rien que ça. Élément clé de la réussite des premiers Sonic sur Mega Drive, Naka s'était distingué en offrant à la Saturn une de ses plus belles exclusivités en la personne du célèbre et envoûtant "Nights". Parti de SEGA en 2006, il fonde alors le studio Prope, dont les productions demeureront assez confidentielles, hormis le très correct Ivy the Kiwi. En 2010, il évoque pour la première fois Sky Knight Rodea, décrit comme un jeu d'action / aventure dans les cieux, avant que la sortie du jeu sur Wii et 3DS ne soit confirmée, début 2011. À en croire son créateur, le jeu est par ailleurs surtout pensé pour la Wii et sa télécommande, et à l'automne 2011, il déclare que son nouveau titre est même terminé. Jusqu'ici, tout va bien...
Tout sauf un Kado
La destinée de Rodea se complique lorsque son développeur souhaite le faire éditer par Kadokawa, qui ne va clairement pas se presser pour le publier. On attendra en effet près de trois ans avant d'avoir des nouvelles du projet, ce qui est rarement bon signe dans une industrie aussi impitoyable. Le développement de la version 3DS par Kadokawa (et sans consulter l'équipe de Prope…), dont la sortie est censée être conjointe, retarde celui d'une version Wii pourtant prête à atterrir dans les rayons, et qui ne verra jamais le jour... ou presque. C'est finalement sur Wii U qu'est porté le titre rebaptisé pour l'occasion Rodea: The Sky Soldier. Afin de ne pas réduire à néant les efforts de l'équipe d'origine, la version commercialisée en boîte contient un disque Wii qui n'est autre que… celui de Sky Knight Rodea intitulé comme tel. Il contient le titre terminé depuis quatre bonnes années au moment où Kadokawa le rend enfin disponible au public. On s'attend donc à une version améliorée de ce qui était déjà un titre très prometteur, même si les multiples reports et les visuels fournis à la presse se montrent moyennement rassurants.
C'est dans ce contexte que nous donnons donc sa chance à Rodea, en dépit de circonstances de développement et de publication compliquées. Le premier contact se fait avec un écran titre et un menu de choix de langue nous offrant la possibilité de disposer de voix anglaises ou des doublages japonais d'origine. Les localisations occidentales excluent trop souvent ce type de choix, donc on saluera cette initiative tout comme celle de proposer des sous-titrages et textes français... même si ces derniers sont entrecoupés d'anglais de temps en temps. Toutefois, l'enthousiasme hâtif que cela peut engendrer retombe vite dès que l'on découvre le tutoriel. Selon votre choix de contrôleur, vous pouvez déchanter de façon plus ou moins abrupte. Si la pilule peut à peu près passer en jouant sur l'écran du Gamepad (l'absence d'utilisation du tactile dans le menu Pause ayant quand même de quoi étonner), la maniabilité au Pro Controller va très vite vous faire péter un câble, en pleine recharge ou non.
Rodea: The Sky Soldier nous propose un scénario mettant en scène un androide, ayant donné son nom à l'œuvre, partant à la rescousse de la princesse Cecilia au cours dudit tutoriel. Outre son côté un peu convenu, ce synopsis passe tristement au second plan tant on cherche davantage à comprendre tous les rouages d'un gameplay a priori simple mais rendu très peu accessible par une maniabilité catastrophique — n'ayons vraiment pas peur de le dire. Concrètement, Rodea se présente comme un platformer 3D classique où, en plus de sauter et donner des coups aux ennemis, on peut voler et porter des attaques en plein vol. Une jauge permet de limiter le temps de suspension dans les airs du protagoniste, mais on a beau faire, on a du mal à vraiment appréhender sa prise en main. La gestion particulièrement pénible d'une caméra rebelle au possible n'arrange rien : il suffit de sauter et de commencer à planer pour avoir la sensation de ne plus rien maîtriser du tout, et on en vient à masher le bouton de saut, voire ceux d'action, pour effectuer une nouvelle propulsion dans une direction rarement souhaitée. Très vite, on peut avoir l'impression de se retrouver face à une copie complètement ratée de Gravity Rush, qui lui avait su gérer ce type de maniabilité complexe avec brio.
Rodea in the Sky with Diamonds
Une fois le tutoriel passé (tout comme la cinématique légèrement tragique où notre héros se voit perforer son kokoro de robot), une énorme ellipse de temps nous projette un millénaire en avant. Rodea est en morceaux, et une bonne âme du nom d'Ion le répare. Notre héros est hélas amnésique, la princesse a disparu et le royaume de Garuda doit être sauvé. Tout un programme ! C'est accompagné d'Ion et de ses précieux conseils que notre robot volant entame une quête à laquelle on va hélas attacher trop peu d'importance tant on va pester sur le reste de ce qui constitue son aventure. On n'a pas encore évoqué l'ergonomie grotesque, alors allons-y gaiement. D'abord, on notera l'impossibiité d'accéder au menu global d'options in-game : il faut repasser par la map en quittant donc la progression en cours (sans prise en compte des checkpoints), ce qui est plutôt aberrant. En outre, le tactile du Gamepad est tout simplement inopérant sur la carte et ses différents sous-menus ! Ce type de contrôleur offre cependant l'illusion d'une jouabilité moins atroce, avec une sensation de fluidité accrue et de graphismes moins vilains. Peut-être parce que cela rappelle une version 3DS dont on excuse davantage les faiblesses ?
Initialement développé dans une logique de platformer aérien très orienté arcade, avant de dériver vers un jeu d'aventure moins rythmé, Rodea conserve tout de même pas mal de ses bases de progression. Vous récupérerez au gré de votre aventure des gravitons, souvent regroupés (ce qui permet notamment d'exécuter des combos relativement spectaculaires), qui prolongent la jauge de vol du héros. Lorsque vous en récuperez cent, vous gagnez une vie supplémentaire. Du déjà vu, me dites-vous ? Il est clair qu'on a ici affaire à un bon vieux clin d'œil à un des éléments de gameplay les plus conventionnels du jeu de plate-forme. Cette logique de progression très facile à appréhender trouve-t-elle néanmoins sa place dans un jeu orienté aventure ? Rien n'est moins sûr. À côté de cela, le personnage voit son armement évoluer, en récoltant notamment des éléments type vis — on rappellera qu'on dirige un robot tout cassé et que Ion, mécanicien de son état, est là pour le réparer au fil de votre quête. Face à un tel mélange plate-forme / exploration / custom d'un robot, on pourrait être tenté de faire un rapprochement avec la série Ratchet & Clank... mais on évitera de s'éparpiller, ce que Rodea fait de toute façon très bien à notre place.
On commence à toucher au problème d'identité majeur de cette production, qui se cherche entre une idée originale séduisante et une adaptation dans un format justement... inadapté. Les inspirations (Sonic, Nights) ou ressemblances (Gravity Rush, Kid Icarus, assumées ou non, offrent des éléments de comparaison ô combien élogieux, mais le jeu de Kadokawa n'est qu'une créature hybride qui navigue avec difficulté entre deux concepts sans trouver son juste équilibre. Cela pourrait à la rigueur être pardonné si l'ensemble était maîtrisé au moins sur un des deux aspects, et surtout, si la technique suivait. Nous avons en effet déjà évoqué une prise en mains plus que délicate (pour ne pas dire pénible), et une caméra qui ne se montre que trop rarement docile (au point de faire oublier les nausées qu'avait pu provoquer en son temps celle du fort sympathique Spyro the Dragon, mais la question de la forme n'a pas encore été trop mise en avant. Ce n'est pas à ce niveau que Rodea: The Sky Soldier va se rattraper, loin de là.
Comment bien rater son portage / remake
Le jeu de Prope Studios ne bénéficie en effet à aucun moment de son "portage" tardif. En plus d'être du niveau d'une Wii pas spécialement poussée dans ses retranchements, les graphismes de Rodea sont ternes, pleins d'aliasing, sans parler des nombreux bugs de collision dûs à la caméra catastrophique et qui font apparaître des polygones grossiers. Les idées de gameplay globales sont héritées d'un jeu davantage orienté arcade (et vitesse !) qu'aventure / exploration, et c'est d'une manière générale le mal principal dont souffre ce jeu développé à la va-vite. Concrètement, le titre original sur Wii, inspiré de Nights et désireux d'offrir une expérience de vol pleine de fluidité exclusivement à la WiiMote, s'est vu imposer un retard de livraison uniquement à cause d'un remake adapté pour 3DS et exigé par Kadokawa, au grand dam de Yuji Naka. La version Wii U résulte en réalité d'un portage de ce remake, expliquant les différences de gameplay et la relative pauvreté graphique d'un titre qui n'a en fait rien d'un "remaster" de l'original. Cela peut-il justifier un tel ratage dans la forme, jusqu'à un framerate limité à 30fps (au mieux) quand la version "old-gen" tourne elle à 60fps plus ou moins constants ? Si l'explication trouve son sens, on conviendra que cela n'en demeure pas moins inexcusable. On aurait pu, par exemple, espérer voir la fonction gyroscopique du Gamepad utilisée pour succéder à la maniabilité d'origine, mais Kadokawa n'a jamais envisagé d'exploiter la moindre spécificité des contrôleurs Wii U. Rodea: The Sky Soldier se jouerait au pad Gamecube que cela n'y changerait absolument rien.
Il reste deux points importants à évoquer mais jusqu'ici laissés de côté. Commençons par un autre facteur "ambiant" essentiel, à savoir la bande son. Celle-ci est tout à fait correcte quoique absolument pas mémorable, et par moments très répétitive. Rodea aurait pu se distinguer (qui a dit "se sauver ?") via des thèmes inspirés mais il y a fort à parier qu'on retienne davantage de Takayuki Nakamura son travail sur les vieux Virtua Fighter. Peut-être que ceux qui accrocheront vraiment au jeu y trouveront leur compte, tout comme quand on touche aux challenges qu'il propose. En effet, Rodea a des chances de séduire sur la durée quiconque parviendra à passer outre ses très nombreux défauts techniques, car l'aventure de base se montre plutôt conséquente. Vous pouvez compter sur une quinzaine d'heures pour en voir le bout, voire davantage si vous êtes du genre patient en dépit d'échecs répétés dûs à une jouabilité non maîtrisée. Les combats contre les boss, notamment, peuvent rallonger involontairement la durée de vie du titre. Mais surtout, le joueur opiniâtre — et tolérant — passera encore plus de temps à relever les nombreux challenges (chrono, combos, etc.) proposés pour atteindre le rang maximum dans chaque zone. C'est en réalité en savourant Rodea comme ce qu'il est à l'origine, à savoir un jeu pensé pour le scoring et la vitesse d'exécution, qu'on pourra en tirer toute sa quintessence. Hélas, la version Wii U découragera la majorité des joueurs de s'y risquer.
De manière générale, Rodea: The Sky Soldier souffre de la comparaison avec le titre original, qui plus est fourni en bundle. Cela peut soit nous faire mieux digérer l'affront, soit nous faire regretter que Kadokawa ait empêché une potentielle petite perle de fin de vie de la Wii se faire le succès qu'elle méritait, et ne connaîtra hélas jamais. Mais même en évitant de comparer ce jeu d'aventure bancal au titre d'action très arcade prenant place au sein du même univers, Rodea se montre totalement insuffisant en tant que jeu Wii U, surtout trois ans après la sortie de la console. À la ramasse techniquement, très dur à prendre en main et franchement décourageant dans sa globalité, son achat se justifiera principalement pour acquérir la précieuse édition d'origine sur une galette Wii qui fait clairement figure de perle oubliée à côté. Oui, on en est presque à vous recommander (d'une certaine façon) d'acheter un jeu Wii U pour profiter du titre Wii d'origine dont il a raté le remake et qui est inclus dans sa boîte. Avouez que ce n'est pas commun.
Points forts
- Une direction artistique originale et sympathique...
- On peut switcher entre un doublage anglais et les voix japonaises
- Durée de vie importante, de la rejouabilité et du challenge… sous peine d'accrocher à la jouabilité et surtout, de la maîtriser
- La version Wii (celle qui vaut le coup...) est incluse dans la version boîte
Points faibles
- ... mais au rendu vraiment vilain, même durant les cinématiques
- Localisation incomplète, avec de l'anglais au milieu du français de temps en temps
- Framerate inconstant... dans sa faiblesse
- Identité de gameplay mal définie entre arcade et aventure
- Peu précis au Gamepad, et quasi injouable au Pro Controller
- Gestion calamiteuse de la caméra
- Sensation de lenteur pénible que les séquences "rapides" ne compensent absolument pas
- Ergonomie des menus mal pensée et tactile inexploité
- Ne tire jamais partie du gyroscope du Gamepad
- Amputé du multijoueur de la version Wii
- Inférieur en tous points au titre old-gen dont il est un remake !
Que rendre ce verdict est difficile. Plein de promesses, Sky Knight Rodea l'était assurément. Fruit de l'imagination d'un game designer renommé et conçu par un staff compétent, c'est tout le travail d'une équipe que Kadokawa massacre en imposant tout un tas d'idées mal finies et surtout, en forçant une sortie sur Wii U injustifiée et proprement inexcusable en l'état. Lent, énervant, pas très jouable et vraiment pas beau, Rodea: The Sky Soldier oscille entre des relents du jeu à scoring nerveux qu'il était censé être, et des éléments de jeu d'aventure sans grosse profondeur qui ne s'assume pas vraiment. Reste une quête sympathique et une rejouabilité certaine pour quiconque passera outre ses énormes défauts techniques, mais il y a fort à parier que le joueur avide de ce genre d'expérience fera ses armes sur la version Wii fournie en bonus et qui sauve le contenu de la boîte. Quoi qu'il en soit, c'est du jeu Wii U qu'il est question dans ce bilan, et une telle version ne mérite ni de décoller, ni même de se crasher péniblement à l'envol. Elle aurait tout simplement mérité de ne jamais sortir de son hangar et surtout, de ne pas priver les joueurs Wii d'un Sky Knight Rodea qui aurait été autrement évalué, pour ne pas dire encensé.