Sur le papier Sword Coast Legend (SCL) était un projet excitant. La promesse de retrouver à la fois un contenu solo d’une trentaine d’heures dans l’univers de Donjons et Dragons associé à une fonctionnalité de Maître du donjon permettant de créer et de masteriser des scénarios dans la peau d’un MJ. Intéressant non ? Sauf que le projet de n-Space ne parvient ni à faire briller l’un, ni à conférer à l’autre assez de profondeur pour titiller la fibre créatrice des moddeurs de tout poil. Découvrons sans plus tarder les raisons de cette déception.
Recherche héros pour sauver le monde
Sword Coast Legends divise son contenu en deux modes distincts : le mode joueur d’un côté comprend la campagne solo ainsi qu’un mode exploration de donjons générés aléatoirement. RGP oblige, tout commence par la phase de création de personnages permettant de choisir entre 5 races (Humain, Elfe, Demi-elfe, Halfelin ou Nain) et 6 classes (Prêtre, Guerrier, Magicien, Rôdeur, Roublard et Paladin). D’emblée ce choix apparaît restreint, il se contente de faire le strict minimum avec ses races canoniques sans possibilité de multi-classage. La suite de la création reste dans le pur esprit de la franchise D&D : attribution des statistiques de base, des compétences, de la sous-race du personnage, de son passif, de sa divinité, de son alignement et de son apparence. On ressent tout de suite un feeling à la Neverwinter Night dans cette interface de création qui fleure bon la nostalgie et dont les multiples possibilités contrastent étrangement avec ce que le titre peine à nous offrir par la suite.
La campagne solo pose les bases d’un scénario mainte fois éculé dans l’univers de la Fantasy. Tout commence par l’escorte banale d’une caravane de marchands par notre troupe d’aventuriers composée de notre personnage et de trois acolytes. D’horribles cauchemars - que l’on suppose prémonitoires - nous hantent, on y voit la destruction imminente de Féérune et l’arrivée d’un grand méchant démon. Et devinez qui va sauver le monde ? Bingo, c’est nous ! Cette intrigue un poil clichée aurait néanmoins pu prendre une tournure intéressante si la mise en scène et les personnages secondaires avaient été travaillés avec plus de soin. Ce n’est malheureusement pas le cas ! Les premières missions du jeu donnent en réalité le ton, SCL tombe la plupart du temps dans la quête de bas étage avec sa répétition d’objectifs simplistes : aller parler à un personnage, collecter des objets ou tuer un boss en particulier. On est bien loin de la magie d'un Icewind Dale ou d'un Baldur's Gate, dommage quand on sait que Dan Tudge, l'ancien chef de projet de Dragon Age : Origins.
On passe donc le plus clair de notre séjour sur la Côte des épées à alterner entre villes, petites zones ouvertes et sombres donjons dans le but de remplir nos objectifs peu palpitants. Ne comptez pas vous rabattre sur des personnages charismatiques ou encore une écriture léchée pour rehausser le tout, là encore Sword Coast Legends fait dans le classique sans folie ni panache. Tout n’est pas à jeter pour autant, les doublages vocaux (anglais) des PNJ se montrent assez bons, quelques rares personnages sont dotés d’un humour qui fait mouche et certaines possibilités de choix dans les dialogues ou actions possibles utilisent nos caractéristiques ou nos objets présents dans l’inventaire de façon plutôt ingénieuse. Mais le tout sonne définitivement comme un pur produit du début des années 2000, et dans un contexte où Pillars of Eternity ou encore Divinity Original Sin ont réussi à redynamiser le genre il y a peu, le classicisme scolaire de SCL a bien du mal à briller.
Saurais-tu soigner nos maux ? Qui est Nomo ?
Sword Coast Legends est en fait un cRPG (RPG en coopération) jouable en solo avec trois PNJ ou en coop à quatre avec des amis. La fonctionnalité de jeu en ligne via Steam se montre d’ailleurs bien fichue et permet de rejoindre un collègue à la volée sur une partie déjà en cours. Notez que seul l'hébergeur aura la capacité de déclencher les phases de dialogue tandis que ses invités prendront simplement la place d’un membre de sa troupe. En solo, le système de combat oscille entre le jeu de rôle tactique en temps réel et le Hack’n slash un peu mou. Certes le jeu dispose d’une pause active, mais vous l’utiliserez très peu à cause d’un cruel manque de profondeur tactique des rencontres. Univers Donjons et Dragons oblige, chaque personnage dispose de capacités basées sur des temps de rechargement et non sur des ressources (mana, rage etc.); ce temps d’attente est malheureusement assez long sur la plupart des techniques puissantes. Il en résulte alors des combats fastidieux où vos personnages distribuent des attaques automatiques en préparation de la recharge de vos compétences. Ni vraiment dynamique, ni vraiment tactique, le jeu se retrouve le fondement coincé entre deux tabourets de taverne.
Bande-annonce de Sword Coast Legends
La plupart des rencontres ne nécessitent en réalité qu’une bête gestion de la santé de l’équipe. Avec un ou deux personnages dotés de sorts de soins dans nos rangs et quelques potions, il est relativement aisé de maintenir nos troupes en vie en mode normal. Le mode difficile demandera une vigilance supérieure en matière de positionnement et d’utilisation des techniques de contrôle des foules, mais à aucun moment les combats ne gagnent en intensité et n’atteignent le degré stratégique d’un Pillars of Eternity ou le fun de ceux d’un Divinity. Ce manque de profondeur dans les affrontements est renforcé par le flot constant de loot ramassé en cours d’aventure. C’est bien simple, on croule sous l’équipement de bonne qualité à tel point que les questions d’argent ne posent plus aucun problème après quelques heures de jeu. Il est aussi possible de réanimer en plein combat les alliés tombés sous les attaques ennemies et ce sans aucune restriction, ce qui facilite encore bien les choses et autorise des “stratégies” assez bourrines. Sans doute le prix à payer d'une adaptation des règles de D&D 5ème édition.
À chaque niveau, nos personnages gagnent des points de talent à investir dans des arbres de compétences nombreux mais peu développés. La plupart des points sont a dépenser dans des améliorations de capacités existantes et non dans de la nouveauté. Il n’empêche que le panel de spécialisation proposé pour chaque classe permet de varier le rôle de nos personnages en combat. Un mage pourra en ce sens investir des points en pyromancie mais aussi en nécromancie s’il le souhaite. On se retrouve toutefois confronté à une interface typée MMO des années 2000 avec ses barres de raccourcis à faire défiler les une sur les autres, l’accès aux potions et aux techniques est donc bien peu pratique dans le feu de l’action. De leur côté, les compagnons sont gérés par l’IA lorsque le joueur ne les contrôle pas, cette dernière fait un boulot plutôt honorable dans l’ensemble mais souffre de quelques défauts agaçants à la longue. Nos chers compères ont par exemple la fâcheuse tendance à utiliser leur gros cooldown dès que ces derniers sont disponibles et leur positionnement automatique ainsi que leur pathfinding n’est pas des plus optimisé.
Le mode Exploration de donjons permet d’explorer une instance générée aléatoirement dont la difficulté et les paramètres peuvent être réglés par le joueur. Type d’ennemis, difficulté, présence ou non d’un boss en fin de parcours, ambiance des lieux, les options sont assez nombreuses pour aller se castagner seul ou en coop avec des amis. Tout l’intérêt de ce mode réside dans le loot offert par ces escapades où les objets ramassés et les points d’expérience acquis deviennent disponibles aussi au sein du mode histoire. Au delà, on aura tôt fait de se lasser des ces explorations à cause du système trop simpliste de combat du jeu.
MJ recherche groupe pour parcourir donjon
Sur le papier, tout l’intérêt de Sword Coast Legends ne réside pas dans son mode histoire, mais dans son mode Maître du Donjon dans lequel un joueur peut concevoir des campagnes, des zones remplies de quêtes ainsi que des donjons pour les partager avec la communauté. Mieux encore, ce mode permet aussi de se mettre dans la peau d’un véritable Maître de jeu pour gérer en temps réel une partie où d’autres joueurs évolueront eux aussi en temps réel. Ce volet important du titre est découpé en plusieurs modules : un module de création, un autre de masterisation et un dernier permettant de télécharger, de jouer et de modifier les modules créés par les autres joueurs.
Les amateurs de jeu de rôle croisaient les doigts pour retrouver ici la richesse des outils de création d’un Neverwinter Night. À l’usage, le module se révèle plutôt complet et surtout assez facile à prendre en main. Il autorise de nombreuses choses : placer des PNJ et des créatures, les nommer, leur associer des dialogues, des quêtes etc. Les statistiques et compétences des personnages et ennemis sont personnalisables ainsi que leur histoire et d’autres paramètres propres à Donjons et Dragons. On aurait cependant aimé un peu plus d’options de customisation sur les créatures, le panel est limité pour le moment à un simple choix de leur couleur. De même pour la modification de l’apparence des zones ou du terrain car en l’état SCL ne permet tout simplement pas de terraformer les environnements, ni même de modifier l’emplacement des éléments positionnés dessus de base. Les zones créées sont en fait générées de façon aléatoires, le joueur peut simplement y ajouter des éléments de décors piochés dans une liste assez généreuse.
Le plus gros problème de ce mode, c’est que nos créations se retrouvent bien trop ancrées dans le modèle trop classique dicté par la campagne solo. En conséquence, l’écrasante majorité des campagnes créées par les joueurs ont une étrange saveur de répétition. Aller sauver un PNJ, ramasser X objets ou tuer un boss, une structure certes retrouvée dans les campagnes joueurs de Neverwinter ou certains simulateurs de RPG papier comme Roll20, mais accentuée ici par les limitations de personnalisation des zones et le système de combat vite lassant. C’est sans doute le prix à payer de la facilité d’accès du module et je ne doute pas que des créateurs ingénieux parviendront à nous sortir des campagnes sympathiques.
Une fois la campagne créée, il est temps de la partager et pourquoi pas de la masteriser en accueillant jusqu’à quatre joueurs. Ici, toutes les actions possibles par le MJ puisent dans une ressource : la menace. On pourrait la comparer à une sorte de barre de mana au rechargement automatique dans le temps. Votre but sera de guider les aventuriers à votre guise, de les aider, mais aussi de leur mettre des bâtons dans les roues. La plupart des actions coûtent un certain nombre de points de menace à dépenser en fonction de l’avancée du groupe. Pourquoi ne pas piéger un coffre ou leur claquer la porte au nez ? Ou bien ne serait-ce pas le bon moment de renforcer le niveau d’un ennemi ? Mais face à une troupe bien entraînée, les possibilités d’action se retrouvent bien vite limitées alors que nos ressources en menace peinent à remonter. À l’image du jeu, ce mode de jeu est plein de bonnes intentions, mais il souffre d’un manque évident de profondeur.
Graphiquement, Sword Coast Legends n’est pas vilain et aura le mérite de tourner sur des configurations modestes en réglant ses détails sur medium. N’attendez pas de lui de briller par une quelconque originalité artistique, le monde de Féérune est représenté de façon très classique pour ne pas dire très froide. Les modèles un poil datés des personnages souffrent aussi de ce manque de folie. La musique fait en revanche un boulot correct avec des thèmes tantôt épiques tantôt plus calmes dans un pur esprit Fantasy. On aura aussi noté la présence de bugs dans les menus avec des boutons inactifs (comme le passage en plein écran, pensez donc au raccourci alt+entrée) ainsi qu’un problème de consommation de ressources système bien trop élevé lorsque le jeu est passé en arrière plan sur le bureau pour sa version PC. Enfin et c'est un problème plus agaçant, les angles de caméra sont très mal gérés, nous obligeant sans cesse à la recentrer sur le personnage contrôlé et à jouer de la souris.
Points forts
- Outil de Maître du jeu simple d’accès...
- Coopération à 4 joueurs
- OST de qualité
Points faibles
- … mais limité dans ses possibilités de création
- Système de combat sans grande profondeur
- Techniquement daté, sans folie artistique
- Scénario de campagne trop cliché
- Manque de variété dans le choix des races
- Arbres de talents peu étoffés
- Angles de caméra mal fichus
Le plus grand malheur de Sword Coast Legends, c’est d’être sorti en pleine période de renouveau du RPG à l’ancienne avec un concept qui ne fait malheureusement pas dans l’originalité. Il y a quelques années, le titre aurait pu susciter un intérêt bien plus grand, mais c’était sans compter la sortie récente de titres comme Divinity Original Sin ou encore Pillars of Eternity à côté desquels la campagne solo du jeu peine à s’affirmer. Il lui restait alors une carte à jouer, celle de son mode Maître de jeu permettant de créer et de masteriser des campagnes dans un pur esprit JDR papier. Mais là encore, la tentative manque d’envergure et se fait plomber par un gameplay peu inspiré. Dommage.