Même si le studio Tale of Tales a récemment fermé ses portes, il serait bien présomptueux de dire que notre souvenir de leurs jeux a disparu avec. On notera particulièrement le jeu The Path (qui s'était tout de même vu octroyer un joli 16/20 dans nos colonnes) qui marqua en son temps les joueurs à travers une expérience pour le moins macabre. Il nous proposait une histoire bien connue de tous, basée sur l'univers du petit chaperon rouge. Le loup était alors différent pour chacun des six personnages jouables, représentant les vices et les dangers de notre société. Un point de vue relativement novateur et bien trash pour un titre qui l'était tout autant. Aujourd'hui, c'est Sunset que nous testons, le chant du cygne avant la fermeture d'un studio ô combien atypique.

UNE HISTOIRE D'UNE RARE JUSTESSE

Prenant place en Anchuria, pays imaginaire rappelant par bien des aspects le Chili du général Pinochet, le jeu nous met dans la peau d'une jeune femme du nom d'Angela Burnes. Celle-ci, malgré de très grandes études et une haute qualification, n'a d'autres choix que d'accepter un travail de femme de ménage pour espérer survivre sous la dictature du général, lui aussi fictif, Miraflores. C'est alors, qu'à travers des annonces, un certain M. Ortega lui confie la propriété et la tenue de son fastueux appartement pendant sa longue absence. C'est ainsi que commence notre aventure. Vous prenez donc, à la manière de Gone Home, le contrôle d'Angela en vue 3ème personne, et là à vous les plaisirs du dépoussiérage, du repassage, du lavage de carreaux... je vous rassure, l'intérêt scénaristique de Sunset ne se situe pas ici : le plus intéressant n'est pas ce que l'on vous demande de faire, c'est-à-dire le ménage, mais plutôt ce que l'on vous interdit de faire. Après tout, le propriétaire n'est pas présent, est-ce vraiment un mal d'ouvrir ici et là quelques tiroirs pour découvrir la vie de ce bien mystérieux homme. Et c'est là que le titre joue très finement sur la façon d'être du joueur. La curiosité nous oblige-t-elle à fouiner chaque recoin de pièce dans l'espoir de tomber sur un détail croustillant ? Dans la réalité, le doute est permis ; mais puisqu'ici personne ne viendra troubler votre voyeurisme, pourquoi s'en priver ? C'est pour ceci que lorsque vous manipulerez un objet, un choix matérialisé d'une couleur bleue ou couleur orange apparaîtra : le bleu vous laissera reposer l'objet dans une grande indifférence, alors que la orange vous le fera étudier en détail, un bon moyen d'exercer sa curiosité en toute impunité.

Mais vous me direz, quelle est alors le but de ceci ? Et bien tout simplement d'en apprendre plus sur le véritable personnage central de cette intrigue. M. Ortega est un homme aux multiples facettes, qui malgré son apparente bourgeoisie ne se souciant que trop peu des déboires de la dictature de son pays, est en vérité une personne bien plus intéressante et engagée qu'on ne le pense. Je ne ferai pas ici l'affront de réveler les découvertes qui vous attendent, mais rarement un profil psychologique aura été si bien brossé dans un jeu. Le fait de nous glisser dans la peau d'une petite curieuse qui est (en apparence) extérieure à toute l'intrigue révolutionnaire se montre fort intéressant. Puis, même si cela est exprimé entre les lignes, le jeu met également en avant les difficultés raciales : l'univers prenant place en 1970, là où la condition des Noirs était encore d'une bien piètre qualité, l'histoire de cette jeune femme étant obligée de brader sa qualification pour espérer avoir du travail prend alors tout son sens. Sunset est, au-delà d'un jeu, le portrait tout en complexité d'une époque de revolutions morales, dont les questions soulevées nous touchent encore aujourd'hui. Pour l'anecdote, le personnage d'Angela Burnes est inspiré d'une femme du nom d'Angela Davis, s'étant battue aux côtés de Martin Luther King dans la lutte contre la ségrégation.

LE SOUCI DU DÉTAIL

Pour donner corps à ce récit, rien de mieux qu'un monde fidèle à l'époque ici reconstituée : chaque petit bout de décor transpire goulument les 70's. Qu'il est plaisant de plonger dans cette époque, qui est ici d'une crédibilité sans failles. Sans avoir vécu cette décennie, mais il me semble que les codes de style, la déco, la coupe afro de notre héroïne, les papiers, posters, CDs de musiques, marques... sont respectés. Mention particulière au journal d'Angela qui lui permettra, ponctuellement, d'inscrire ses pensées. Si certains trouveront dommageable que l'emphase avec notre personnage se fasse à travers la lecture et non des répliques, ce système est tout aussi appréciable. Dernier détail pour peaufiner cette analyse : l'appartement en lui-même est fort intéressant. Il est très fourni, très riche, et puisque c'est le seul lieu où vous pourrez jouer, les développeurs ont consacré une attention toute particulière à l'agencement et l'ornementation. Des œuvres d'art, des jeux de lumière, la simple ballade dans cet appartement rend le joueur expectatif devant le travail accompli, réellement somptueux.

QUAND LES MOYENS TROUBLENT LES AMBITIONS...

Il n'aura échappé à personne en voyant ces images, et même si le background est tout simplement à tomber par terre, que Sunset reste techniquement très faiblard. Quelques bugs dans les collisions se glissent çà et là, et on ne peut pas dire que la précision quand on vise un objet soit totalement exemplaire. Il arrive qu'on saisisse un autre objet que celui désiré, ou encore que celui-ci souffre de l'optimisation réellement pas terrible du soft. La mauvaise segmentation du titre constitue un autre défaut quelque peu gênant : il nous propose une diversité et une richesse certaines, mais dont on profite trop peu à cause de la brièveté de nos visites. Vous n'êtes pas engagée pour vivre dans l'appartement mais seulement pour faire le ménage une fois par semaine. Dans une optique de cohérence, le studio a imposé une limite de temps à chaque séquence de gameplay, ce qui rend caduques les références les plus poussées puisque le joueur n'aura pas la durée suffisante pour en bénéficier, à moins qu'il hâte ses observations (ce qui reste faisable). Un choix discutable, mais ne vous inquiétez pas, vous aurez bien assez de temps pour saisir toutes les nuances de l'histoire. Seuls les perfectionnistes se sentiront troublés.