En remplaçant la Wii, monstrueuse machine à générer des lingots d'or, par sa nouvelle Wii U, Nintendo avait tenu à rassurer son monde en promettant, pour la machine à naître, un retour vers les joueurs plus "hardcores". Une plus grande présence de jeux tiers, moins de party-games « casual » et donc, en opposition, plus de titres matures. Deux ans après la sortie de la machine, peut-on dire que la Wii U a tenu ses promesses ? Nous n'en débattrons pas aujourd'hui, mais un nouveau titre va dans ce sens : Devil's Third.
Dire que le développement de Devil's Third fut compliqué relèverait de l'euphémisme. C'est presque une odyssée homérique qu'ont traversé le jeu et les personnes qui étaient attachées. Devil's Third, c'est avant tout le travail d'un homme, sa vision du jeu vidéo, même : Tomonobu Itagaki, génial créateur de Dead or Alive, à qui l'on doit également la version année 2000 de Ninja Gaiden. Rappelez-vous : après plusieurs démêlés avec les dirigeants de Tecmo, Itagaki avait fini par quitter le navire en 2008. Il crée dans la foulée son propre studio, rejoint par de nombreux membres de la Team Ninja : Valhalla Game Studios est né. C'est cette nouvelle équipe qui va plancher sur un nouveau jeu, qui sera présenté au public pour la première fois lors de l'E3 2010 : vous l'avez compris, il s'agit de Devil's Third. Cela fait donc plus de cinq ans que Valhalla Studios travaillait sur sa première oeuvre, un développement perturbé par la faillite et la fermeture de THQ, puis un changement de moteur graphique en plein milieu de son développement. Après toutes ces péripéties, le voilà donc qui arrive sur Wii U, après une première valse de critiques très peu enthousiastes... Alors qu'en est-il vraiment ?
Oui, c'est moche
Alors on ne va pas se mentir, et éviter d'enfoncer à coups de lance-roquette des portes ouvertes : comme vous l'aviez peut-être déjà lu et vu sur le web, en effet, Devil's Third n'est pas beau. Ce n'est pas digne de la Wii U, très clairement. Si les personnages sont plutôt bien modélisés, les environnements dans lesquels se déroulent les combats sont extrêmement génériques et surtout peinent à faire croire que nous sommes en 2015. La faute principalement à des textures d'une pauvreté extrême, qui d'ailleurs tardent trop souvent à apparaître pleinement à l'écran. La RAM de la petite Wii U est en souffrance, et il faut parfois compter près de 15 secondes pour que les textures « HD » apparaissent dans un simple couloir. Je vous ferai grâce du compte-rendu complet puisque ce serait tirer sur l'ambulance... Le titre fait parfois peine à voir, mais heureusement pour lui, il a d'autres arguments qui jouent en sa faveur, et ce à ma grande surprise.
Un gameplay simple, mais efficace... et amusant
Les premiers retours sur le jeu étaient loin d'être optimistes, faisant état d'une certaine laideur, d'une jouabilité entachée par un framerate asthmatique, un système de visée branlant et des dialogues écrits par un groupe de collégiens. Mais la première chose qui m'a sauté aux yeux, après seulement quelques minutes de jeu, c'est que Devil's Third est en fait tout à fait jouable, et qu'en plus, il était amusant.
Devil's Third n'est pas l'un de ses TPS archi-classiques, dans lequel vous passerez votre temps à mitrailler à gauche et à droite, tranquillement planqué derrière un bloc de ciment posé là sans raison apparente, oh ben dis donc c'est bien pratique. Ivan, votre héros, est un guerrier versatile, autant capable de se servir d'un lance-roquette que d'un sniper, aussi habile au katana que dans l'art délicat de coller des pains à coup de barre de fer. En terme de contrôles, c'est très simple : cliquer sur le stick de gauche vous permet de sprinter, cliquer sur celui de droite de glisser longuement pour vous mettre à couvert ou approcher un adversaire ; X et Y sont dédiées au corps à corps (à mains nues ou avec l'arme que vous portez), les gâchettes vous permettent de sortir vos pétoires, de viser et bien entendu de tirer. Cette disposition des commandes sur la manette (ou la "mablette") vous permet de contrôler très facilement Ivan, qui, entre vos mains, devient rapidement le mercenaire impitoyable qu'il a toujours été. Et puisque vous n'êtes pas obligé de marquer de pause pour changer d'arme, le rythme du jeu devient vite élevé, sinon très élevé. Sur de nombreuses séquences, le jeu vous laissera vous exprimer et s'il est facile de se planquer derrière un obstacle pour dézinguer timidement vos adversaires, sans prendre de risque, il est autrement plus amusant de courir dans tous les sens, de glisser et de mitrailler tout ce qui bouge, pour finir à l'arme blanche les dernières victimes qui restent ici et là sur la zone. Les actions s’enchaînent à une vitesse très plaisante et on se prend vite au jeu, à varier les approches et surtout à répandre la tripaille sans aucune once de pitié pour nos ennemis.
Pour ce qui est de la visée, Valhalla Games a eu la bonne idée d'opter pour une visée type « aim-down-sight », comprenez que si vous maintenez ZL pour mettre votre arme en joue, la caméra ne se fixera pas au dessus de votre épaule, comme cela peut être le cas dans un Gears of War ou Mass Effect, mais passera à la première personne. Une façon de faire déjà aperçue dans des jeux comme Ghost Recon: Future Soldiers, qui a plusieurs avantages : d'abord, cela apporte un certain dynamisme à l'image ; mais surtout, cela vous immerge plus facilement dans le jeu.
Si vous suiviez l'actualité du jeu, cela ne vous a peut-être pas échappé : le créateur de Devil's Third lui-même déconseille l'utilisation de la fameuse manette-tablette de la Wii U, et incite donc les joueurs à se diriger vers la Manette Pro de la console. Une manette de qualité soit-dit en passant, même si l'on regrette vite l'absence de gâchettes analogiques dans un jeu de genre... J'ai donc essayé les deux façons de jouer, et si la Manette Pro propose effectivement plus de confort, de par son ergonomie, jouer à la mablette n'est pas désagréable pour un sou. Une bonne nouvelle pour ceux qui avaient peur de devoir investir dans un accessoire supplémentaire.
Une action trépidante
Grâce à ces contrôles instinctifs, le joueur peut se concentrer sur ce qui est le plus intéressant dans le jeu : l'action. Autant vous prévenir, ceux qui ne sont pas amateurs de jeux couloir peuvent ici passer leur chemin puisque Devil's Third est construit comme la plupart des TPS classiques, mais dans une simplicité extrême qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler la construction des niveaux de n'importe quel Call of Duty, dans un autre genre. L'action se déroule d'une manière très similaire : chaque niveau est composé de différentes zones, dans lequel vous pourrez vous laisser aller à un peu de stratégie dans la façon d'aborder les situations. Mais ces zones sont reliées la plupart du temps par des « couloirs » (rues en ruine, couloirs d'hôpital, égouts...) qui vous forcent donc à aller de l'avant. Quelque chose d'extrêmement classique donc, qui serait vite lassant si contrôler Ivan n'était pas aussi amusant. Lors de votre progression, le jeu vous enverra à la figure des hordes d'ennemis pas franchement intelligents, mais qui sont toujours plutôt bien placés et qui vous forcent à ne pas foncer bêtement dans le tas. Notez que « foncer dans le tas » est en fait tout à fait possible, mais cela vous demandera une parfaite maîtrise de votre personnage et de ses compétences. Si Devil's Third n'est pas un jeu difficile, il est en revanche assez impitoyable avec ceux qui prendraient des décision un peu idiotes, comme foncer au milieu d'une petite cour sans même jeter un œil aux fenêtres qui l'encerclent.
Vous trouverez sur le terrain de nombreuses armes à feu (fusils mitrailleurs divers et variés, sniper, fusil à pompe, lance-roquette, et j'en passe) et une certaine variété d'outils tranchants ou contondants (barre de fer, katana, ninjato, masse, khukri, hache...), qui là encore vous permettront de varier un peu votre façon de jouer... et de verser le sang. Les armes de corps à corps vous permettront également de terminer vos ennemi grâce à des finish moves particulièrement gore.
Notre premier Gaming de Devil's Third
Le sang, la sueur, les larmes
Vous l'avez sans doute deviné, Devil's Third est un titre particulièrement violent. Il faut dire que Ivan n'est pas un enfant de choeur et que sa façon de répondre aux problèmes de la vie courante (début d'apocalypse, terrorisme, meurtres de masse, expériences génétiques assez peu regardante de l'éthique de la médecine, etc) est assez directe. Le muscle tendu et le téton saillant, il déchire des poitrines à coups de mitrailleuse, défonce des crânes à coup de rangers et plantent à peu près tout et n'importe quoi dans ses ennemis, souvent leurs propres armes d'ailleurs. Chaque balle bien placée arrachera un membre, une tête ou tout ce qui dépasse, et le sang coulera à flot. Vous finirez bientôt par traverser les niveaux de Devil's Third en hurlant "Rainiiiiiiiiiiing blooooood" façon Tom Araya, parole de scout.
Le jeu respire la testostérone à plein nez, que ce soit dans le design des personnages ou dans les répliques qu'ils échangent. Si au début, je suspectais le jeu d'imiter les films à héros musclés façon The Expendables, plein de second degrés, j'ai fini par arriver à une sorte de compromis moins reluisant, en tout cas pour le jeu : Devil's Third joue effectivement la carte de l'humour mais se prend trop souvent au sérieux. Avec ses flashback supposément émouvants, ses longs silences un peu kitch et sa trame plutôt quelconque, le titre d'Itagaki ne vous passionnera pas grâce à son scénario, c'est certain. On devine les inspirations (Metal Gear Solid, Kill Bill...) mais jamais on se prend à être surpris par ce qui se passe, tant ce que l'on nous sert est générique. Lorsque le jeu cherche à nous faire rire, il y parvient (plus ou moins), mais lorsqu'il cherche à nous émouvoir... il en serait presque embarrassant, tiens.
Un online complet
Je ne vais pas m'attarder trop longuement sur le online, mais il est tout de même nécessaire d'en parler, puisqu'il est... imposant, disons. Vous proposant de nombreux modes de jeu, sa structure est assez classique mais plutôt complète : vous vous créez un avatar, qu'il conviendra d'équiper grâce aux trois « monnaies » existantes. Si l'on démarre dans le jeu avec un simple mitrailleur et une barre de fer, on a vite la possibilité d'acheter une arme secondaire et d'autres armes de corps à corps. Les vêtements que l'on porte influent sur diverses stats (vitesse de dégainage, santé, résistance au feu, défense au corps à corps...). Et il y a tout de même un paquet de trucs à acheter ! Ce mode online est une sacrée surprise, pour le coup : on ne s'attendait pas à une telle richesse. On est loin de ce que l'on peut trouver dans les shooteurs grand public habituels, mais tout de même.
Une fois en jeu, cela se passe plutôt bien. Les diverses arènes de jeu sont plutôt bien construites et l'on conserve un framerate décent (ce qui n'est pas toujours le cas en mode Histoire). Il faudra néanmoins composer avec la visée parfois un peu approximative...
Points forts
- Une action trépidante
- Une prise en main instantanée
- Ivan est franchement agréable à contrôler
- Très jouable à la mablette
- Le multijoueur, très complet
- Plutôt drôle, quand il ne se prend pas trop au sérieux
Points faibles
- Franchement pas beau
- La RAM de la Wii U qui semble à l'agonie
- Un framerate parfois un peu chancelante en solo
Oui, Devil's Third n'est pas franchement beau, quitte à être même carrément dépassé par moments. Et oui, certaines lacunes sont agaçantes. Pour autant, il propose un gameplay bien pensé qui cherche avant tout à nous amuser. Pour peu que l'on accroche au ton un rien décalé du titre, le premier titre de Valhala Games est vraiment, vraiment divertissant. Courir dans tous les sens, glisser, mitrailler, trancher, enchaîner les attaques au corps à corps, tout cela devient grisant lorsque l'on commence à maîtriser le jeu (ce qui vient vite), transformant Ivan en une ballerine mortelle, danseur semant le chaos et la mort à chaque rond de jambe. L'aventure peut se prolonger via un mode multijoueur pas forcément original mais très complet. Devil's Third n'est pas le No More Heroes ou le MadWorld de la Wii U, et ce n'est clairement pas le jeu de l'année, mais il a suffisamment de qualités pour mériter votre attention.