Des graphismes sublimes, une bande-son à élever au rang d'album international, des bruitages révisés par les professionnels du cinéma, un doublage réalisé dans un studio parmi les plus en vus, et pour finir, un hype de folie surfant sur des vidéos utilisant l'impressionnant moteur du jeu: voilà, en résumé, ce que Artemis Spaceship Bridge Simulator ne vous offrira pas. Il vous offrira cependant... le reste.
D'où vient l'idée de ce jeu ? La mode des indépendants, si c'en est bien une, est à l'origine d'un nombre impressionnant de jeux qui peuvent correspondre à cette description. Parmi ces productions, certaines marqueront l'univers vidéo-ludique au-delà des joueurs qui les ont pratiquées - on pensera aisément à FTL ou aux Trine, pour ne citer qu'eux. Certes, à la lecture des lignes qui suivent, on pensera quand même plus au premier, car c'est dans un univers de science-fiction orienté "spatial" que nous envoie Artemis, un univers dans lequel des gens sur retrouvent sur une passerelle ("bridge") de bâtiment de guerre, avec son capitaine, son pilote, son officier d'armement, de communication, scientifique... Vous avez compris, le créateur du jeu, Thom Robertson, a vu deux ou trois épisodes de Star Trek avant de se lancer dans son entreprise, et gageons même qu'il en a vu un peu plus que ça.
Le rêve que caressait le créateur est le suivant: reproduire dans une même pièce les conditions d'une passerelle de vaisseau spatial, dans un esprit rôliste. Le contexte utilisera donc l'instrument le plus approprié dans ce type de situation, qui n'est pas le dé à vingt faces mais l'ordinateur. Ou la tablette. Ou le smartphone. Pas un seul, bien sûr, mais quatre, cinq, six, branchés en réseau, avec une personne devant chacun. Et le capitaine au milieu qui communique avec son équipe en fixant un écran central accessible à tous (TV ou projecteur). Oui, on y est.
Ça paraît évident en y pensant, et pourtant, si, à l'heure où j'écris ces lignes (mi-2015 pour les intimes de Kronos), vous cherchez des jeux qui permettent ce genre de choses, vous allez chercher un moment. Star Citizen prévoit ce genre de configuration, on peut espérer que l'équipe de Chris Roberts fera du bon travail. Mais en attendant, Artemis a mûri dans l'ombre pendant ces trois dernières années et propose une communauté réactive (essentiellement anglophone) et un contenu très ouvert à cette dernière - et un travail de polissage qui se poursuit à travers de régulières mises à jour.
Le jeu est donc compatible PC, Android et iOS, et offre même, dans sa version stable actuelle, une compatibilité croisée sur un même serveur. Le principe est en effet de faire tourner un serveur sur une plateforme et des clients sur les autres machines, et sur la première tant qu'on y est.
Tout le monde à son poste
Moyennant quoi, après le choix d'un mode de jeu, où le contenu laisse la part belle aux créations de la communauté, chacun se retrouve au poste choisi devant son écran, disposant de données et commandes que lui seul peut voir, aveugle à la plupart de ce que peuvent voir ses équipiers. C'est ce qui fait d' Artemis un social game, dans lequel le groupe va jouer pour lui-même plutôt que pour le jeu, et sera dans l'obligation de communiquer, s'aguerrir en équipe, partager l'expérience du jeu pour progresser en tant que groupe.
- Le Pilote voit ce dont il a besoin pour fixer un cap, une vitesse, un mode de propulsion, éviter les obstacles.
- L'officier Tactique contrôle l'état des tubes lance-torpille, cible les contacts, choisit la fréquence de ses lasers.
- L'officier d'Ingénierie dirige les équipes de réparation, contrôle le fonctionnement des systèmes et ajuste la puissance des composantes et leur refroidissement.
- L'officier Scientifique accède à toutes les données du secteur, scanne les contacts et les identifie, informe l'équipage sur les caps et distances.
- L'officier des Communications reçoit les ordres de la hiérarchie, établit le lien avec les stations spatiales, les vaisseaux civils et militaires alliés, peut leur donner des ordres simples, ou encore exiger la reddition d'un ennemi ou attirer son attention en l'insultant.
- Le Capitaine, enfin, sans commande manuelle, est chargé de coordonner l'effort de son équipage. Un affichage principal, correspondant au serveur, peut être vu par chacun et modifié en fonction des souhaits du boss.
"Capitaine, je reçois une transmission de la base DS1, qui demande du secours."
"Scientifique, cap sur DS1?"
"Cap 314, distance 22 000, juste derrière le champ d'asteroïdes. Le contact est un croiseur Kralien armé de deux phaseurs avant".
"Communications, alerte Rouge. Pilote, cap au 314 à vitesse WARP 2, attention aux asteroïdes en route, Ingénieur, bouclier avant et Torpille à 200 %, officier Tactique, armez un tube d'une charge nucléaire et l'autre d'un anti-bouclier. Communications, dites-leur notre façon de penser, qu'ils laissent cette base tranquille pendant qu'on arrive. Affichage carte tactique. Scientifique, scannez leurs boucliers".
Voilà le genre de dialogue que l'équipage, sans vraiment s'en rendre compte, va développer pour remplir les objectifs de mission. Vous l'aurez compris, on est en plein dedans. Il est d'ailleurs aisé de voir ça sur les vidéos produites par l'équipe chargée du jeu, aussi bien que celles réalisées par les fans, ou les retranscriptions de conventions diverses.
De la place pour tout le monde
C'est dans sa pratique en réseau local que le jeu prend toute sa valeur social, mais il reste praticable sur internet, moyennant un peu de paramétrage simple sur sa box (redirection de port) pour qui s'occupe de faire tourner le serveur, et l'utilisation d'un logiciel de communication vocale parmi les plus courants. Logique.
Les modes de jeu sont aussi variés que la communauté le souhaite - on trouves des modes intégrés et automatisés de défenses de bases, et la possibilité de charger une mission entièrement scriptée, et plus ou moins pilotée, par un Maître de Jeu, qui se connecte lui aussi au serveur et se retrouve doté d'un certain nombre de contrôles définis eux aussi par le script. Vous voulez créer une série de missions pour votre équipage préféré (quitte à jouer un rôle sur le pont en même temps que vous jouez les Game Master d'ailleurs...)? Pas de problème...
Les missions en question sont écrites en XML, la communauté a d'ailleurs créé son propre éditeur de mission, facilitant grandement la création, quoique demandant un peu d'apprentissage initial. La porte ouverte à toutes les fenêtres des scénaristes plus ou moins retors, pouvant transformer une mission d'exploration et d'étude de phénomènes étranges en embuscade - ou pas.
Il est enfin possible de connecter plusieurs équipages au même serveur, permettant d'exploiter les modes précédents de façon coopérative, mais également des affrontements PvP.
Il existe d'ailleurs des scripts visant à permettre un fonctionnement de type Sandbox, permettant à un Maître de Jeu de proposer une aventure dans un univers déjà créé, éventuellement de procéder à des générations de secteur de façon aléatoire.
C'est beau, surtout dans la tête
Evidemment, l'objectif final et les moyens limités concourent à obtenir un jeu dont les performances techniques n'ont rien d'enviable, sur le plan graphique tout du moins - permettre à des machines peu récentes de faire tourner le jeu était d'ailleurs l'un des objectifs initiaux. On retiendra que "ça fait le boulot". Les consoles de commande sont claires, immersives, empruntant au style des consoles de bâtiment naval réel, les bruitages accompagnant la pression des boutons (le bonheur des écrans tactiles...) ajoutent à l'ambiance et la visualisation de l'espace permet de suivre des combats peu spectaculaires, mais dont la tension est proportionnelle à l'investissement de l'équipage.
Libre à vous de modder l'univers proposé, quitte d'ailleurs à télécharger directement des mods inspirés de Battlestar Galactica ou Star Trek. Ou juste à remplacer l'alarme de l'alerte rouge par celle de la série de votre choix, pour commencer...
Points forts
- Rare dans son genre.
- Utilisation en réseau local simple avec une box classique
- Communauté active, mods, scripts...
- Suivi actif des développeurs
- Compatibilité multi-plateformes
- Fonctionne sur du matériel peu récent
- "Touchscreen-friendly"
Points faibles
- Pas de prouesse technique
- Paramétrage du routeur pour l'utilisation hors réseau local
- L'IA n'est pas encore au centre des préoccupations
Outil ludique plus que jeu, Artemis Spaceship Bridge Simulator transforme donc une équipe de joueurs en un équipage de vaisseau futuriste. L'expérience de jeu, loin de dépendre des caractéristiques techniques du produit, sera donc essentiellement le fruit de ce qu'en feront les joueurs et autres instigateurs, avec une dose de jeu de rôle variable, mais forcément induite par les conditions dans lesquelles sont immergés les protagonistes. Il est donc très difficile d'attribuer une note "universelle" au logiciel. Artemis a cependant le mérite, l'heure actuelle, d'occuper une place que très peu d'autres titres proposent. Qui s'en plaindra, à part Bones?