Parce qu'elle nous réserve bien souvent de très bonnes surprises, la scène indépendante profite d'un intérêt constant de la part des joueurs que nous sommes, toujours à l'affût de nouvelles pépites cachées. Dans le cas de Toren, il est certain que le trailer de lancement du jeu ne pouvait qu'attiser notre curiosité, laissant augurer un titre poétique empreint de la magie d'Ico. Mais le jeu tient-il seulement ses promesses ?
Imaginé par Swordtales, une petite équipe de développeurs indépendants brésiliens, Toren paraît, sur le papier, extrêmement prometteur. Si l'on ne devait se fier qu'aux visuels et aux vidéos officielles dévoilés jusqu'à présent, on pourrait même croire que l'on a enfin trouvé un titre digne de l'héritage spirituel d'Ico. Son atmosphère poétique, sa musique envoûtante et sa direction artistique inspirée portent en effet à croire que Toren est un titre ambitieux à l'identité forte, capable de se hisser facilement parmi les perles de la production indé. En vérité, ne le cachons pas plus longtemps, Toren est surtout une amère et cruelle déception.
Le trailer de Toren donne pourtant fortement envie de s'y essayer...
Souhaitant réaliser un jeu à l'apparence unique, fortement influencé par les dessins traditionnels brésiliens, les concepteurs de Toren ont pourtant fait le maximum pour tenter d'insuffler dans chaque plan du jeu un semblant de mysticisme propice à l'évasion et à l'imagination. Et si le soft avait bénéficié d'une réalisation technique à la hauteur de sa direction artistique, le message aurait certainement eu un impact autrement plus marquant. Nombreux sont en effet les plans qui fascinent ou qui terrifient, les ruines les plus sinistres et morbides alternant avec les endroits les plus verdoyants, littéralement baignés de lumière. Chaque environnement semble avoir bénéficié d'un vrai travail de recherche sur le plan artistique, comme cet autel du soldat gravé à même la pierre sous un ciel constellé d'étoiles, ou cet arbre de vie qui pousse sous nos yeux et dans les branches duquel est enchevêtrée l'épée dont a désespérément besoin notre héroïne. Plus loin, à l'extrémité d'un promontoir rocheux perdu dans les nuages, des statues de jeunes filles se pressent au bord d'un précipice, comme pour nous inciter à plonger dans l'abîme.
Mais les scènes les plus fascinantes proviennent surtout des contrées oniriques, endroits issus des rêves de la jeune fille de la lune que l'on sera amené à explorer à plusieurs reprises. Les pieds dans l'eau, des silhouettes torturées font une haie d'honneur autour d'un pont qui semble sur le point de s'écrouler. Ailleurs, dans une cité des nuages pour le moins déstabilisante, on marche la tête en bas en essayant de deviner où mettre les pieds sans être précipité dans le vide. Tout en sachant que, l'instant d'après, on peut se retrouver de nouveau brutalement projeté dans les étages de cette tour où le sang et la mort reprendront leurs droits.
Hélas, il est impossible d'apprécier ces scènes à leur juste valeur tant le titre souffre de lacunes techniques évidentes qui sabotent complètement les efforts mis en place sur le plan visuel. Gâché par des textures immondes (le rendu est d'ailleurs identique sur PC et sur PS4), des bugs de collision en pagaille, des caméras complètement à l'ouest et des animations catastrophiques, Toren nous pousse souvent à nous demander si le jeu est réellement finalisé. Ces lacunes font d'ailleurs plus que desservir le jeu, elles le rendent carrément inefficace dans le sens où l'on sent bien que le titre regorge de scènes fortes qui auraient dû s'avérer poignantes sur le papier mais qui, en l'état, ne fonctionnent pas. Ces faiblesses techniques ne sont d'ailleurs pas les seules fautives, car avec sa prise en main archaïque et sa narration nébuleuse, Toren n'est pas non plus aidé.
Faisant partie de ces titres épurés qui se débarrassent de tout élément superflu pour ne livrer qu'un minimum d'explications au joueur, Toren prend la forme d'une quête initiatique dans laquelle l'héroïne que l'on incarne grandit à mesure qu'elle gravit les étages d'une tour. Guidée (ou pas) par les paroles énigmatiques d'un vieillard qui s'exprime dans une langue imaginaire, la fille de la lune passera ainsi à plusieurs âges de sa vie, quatre pour être précis, même si cela n'influera en aucune façon sur le déroulement du jeu. En quoi le fait d'escalader cette tour va-t-il sauver l'humanité ? Quels sont nos liens avec Solidor, le mystérieux chevalier du soleil ? Et que représente exactement cet insistant dragon noir qui se met sans arrêt en travers de notre chemin ? A nous de trouver par nous-mêmes les réponses à tout ceci car l'histoire se révèle extrêmement nébuleuse dans le contexte du jeu et ne va jamais au-delà de son postulat de départ, même lorsqu'on bascule dans le monde des rêves.
Et devinez quoi, ce n'est pas non plus sur le plan ludique que Toren parvient à se rattraper. Errant à la croisée des genres, le titre se borne à mélanger aléatoirement des éléments de plates-formes, d'action, d'aventure et de réflexion, pour un résultat hybride qui fonctionne d'autant plus mal que la prise en main est déplorable. Même si l'absence d'indications n'est pas vraiment dommageable dans le sens où les environnements sont de toute façon trop petits pour qu'on ait la moindre chance de s'y perdre, on a le sentiment de suivre un cheminement basique ultra scripté dans lequel on s'ennuie ferme. Rares sont les occasions d'user de notre épée magique, trois malheureux ennemis se battant en duel sur l'ensemble du jeu, et aucune énigme digne de ce nom ne poussera notre réflexion bien loin. La plate-forme est elle aussi présente sous sa forme d'expression la plus simple, et les idées de game design sont si peu nombreuses que ce sont bien souvent les mêmes schémas qui sont réutilisés maintes fois.
Seule la bande-son s'en sort convenablement en soulignant les passages importants comme pour nous signaler que c'est peut-être le moment de rouvrir les yeux, avant de nous laisser de nouveau replonger tranquillement dans notre léthargie. Très courte, l'aventure se boucle en moins de trois heures et n'offre aucune raison d'y retourner, sinon pour tenter de mettre la main sur un ou deux objets optionnels qu'on aurait pu louper lors de notre première partie. Pour une dizaine d'euros, l'expérience proposée nous semble donc vraiment insuffisante, en tout cas clairement pas à la hauteur des espoirs que l'on avait pour ce titre-là.
Points forts
- D.A. plutôt inspirée (sur le papier)
- Musiques très soignées
- Des airs d'Ico
Points faibles
- Techniquement catastrophique (sur PC et sur PS4)
- Histoire totalement nébuleuse malgré un point de départ intéressant
- Gameplay hybride qui se cherche mais ne se trouve pas
- Mécanismes de progression lambda
- Prise en main archaïque
- Durée de vie ridicule
Loin d'aller jusqu'au bout de son idée en proposant une expérience de jeu vraiment poétique dans l'esprit d'une oeuvre telle que Ico, Toren est en définitive un petit jeu extrêmement basique dans lequel on avance sans trop réfléchir pour découvrir des paysages de fantasy qui basculent parfois dans l'onirisme le plus total. Desservi par une réalisation technique abominable, le soft n'émeut jamais et déçoit à tous les niveaux, sauf peut-être sur le plan musical.