Dans la veine directe d'In Memoriam, Corto Maltese : Secrets de Venise est une enquête qui combine réalité et fiction dans l'optique de dépasser les frontières habituelles du jeu vidéo. Comprenez qu'ici, résoudre une énigme implique généralement d'effectuer de minutieuses recherches sur Internet, à moins d'opter pour un survol du jeu en mode simplifié, ce qui serait passer à côté de ce qui fait justement toute la particularité de ce soft.
Sortant à la veille de la commémoration des vingt ans de la disparition d'Hugo Pratt, l'auteur de la bande dessinée Corto Maltese, ce jeu d'aventure point'n click nous emmène dans un voyage au cœur de Venise. L'histoire se déroule de nos jours et se présente comme un récit à la première personne, un voyage forcé qui précipite sa victime de surprise en surprise puisque le personnage que l'on incarne se fait empoisonner sous nos yeux dès les premières minutes de l'aventure. Drogué par un barman louche qui tente de le manipuler, notre héros infortuné n'a pas d'autre choix que de se lancer en quête des composants qui lui permettront de se constituer un antidote. Un périple qui l'entraînera malgré lui sur la piste d'un mystérieux artefact connu sous le nom de Clavicule de Salomon.
Entre réalité et fiction
Si Corto Maltese : Secrets de Venise ne nous glisse pas directement dans la peau du héros imaginé par Hugo Pratt, et bien que l'aventure se situe dans un contexte très éloigné de l'univers de la bande dessinée, le titre s'attache néanmoins à tisser des liens subtils entre les deux. Cela se fait notamment par le biais de certains artifices visuels, davantage que sur le plan narratif, ce dernier risquant de laisser quelque peu les fans sur leur faim. Notez tout de même que le coscénariste Marco Steiner a travaillé avec Hugo Pratt de son vivant et que les ayants droit ont donné leur aval sur ce projet. Il ne s'agissait donc pas ici d'adapter directement l'œuvre de l'auteur mais d'inscrire le soft dans l'univers spirituel de Corto Maltese, et c'est sans doute ce qui pourra le plus surprendre, voire diviser les joueurs.
Quoi qu'il en soit, le personnage que l'on incarne a en sa possession une gazette dont les pages ont été rédigées par six femmes auxquelles le marin Corto Maltese avait confié les six émeraudes de la Clavicule de Salomon. D'abord illisibles, ces pages se complètent au fil de l'histoire, à mesure que l'on débloque de nouveaux articles et nous prodiguent de précieux indices, en plus de nous donner une idée de la manière dont ces dames percevaient Corto et les liens qu'elles ont pu avoir avec lui. A ces textes liés à l'univers de Corto Maltese s'ajoutent des illustrations mais aussi des planches de bande dessinée qui s'évertuent à maintenir un lien constant entre les deux époques et les deux univers.
La forme reste d'autant plus pertinente que la transition vers les planches de la bande dessinée Corto Maltese passe généralement par un découpage façon BD depuis les scènes du monde réel aux moments où on s'y attend le moins. Bien qu'on évolue uniquement d'écran fixe en écran fixe, l'aventure n'est donc pas complètement figée et l'interface a le mérite de rester aussi discrète qu'efficace. Ainsi, à tout moment, on peut maintenir une pression sur l'écran pour apercevoir les éléments lumineux avec lesquels il est possible d'interagir dans les différentes scènes du jeu. Autant de "bonus" cachés qui rajoutent de nouveaux articles dans les pages du journal, en plus de ceux qui apparaissent automatiquement au fil de l'aventure. D'une manière générale, les individus que l'on rencontre dans le jeu renvoient aussi bien à des personnes ayant existé qu'à des protagonistes fictifs, si bien qu'on ne sait jamais vraiment où se situe la démarcation entre le réel et les hallucinations induites par le poison.
Un air d'In Memoriam
Pour s'en sortir, le joueur dispose, en plus de la précieuse gazette, d'une « boussole » en forme de cube qui lui sert à la fois à déclencher et à résoudre les énigmes. Dans un premier temps, il s'agit de repérer et de saisir les trois runes permettant d'accéder à l'énigme, celles-ci étant soit cachées dans l'environnement de la scène, soit inscrites dans les pages de la gazette. Il existe presque toujours deux versions d'une même énigme : la plus difficile et la plus intéressante (voie de l'initié) implique d'effectuer des recherches approfondies sur Internet tandis que la plus simple (voie du profane) renvoie davantage à des énigmes de type puzzle, beaucoup plus classiques. Inutile de dire que tout l'intérêt du jeu réside dans la voie de l'initié où l'on reconnaît bien la patte des équipes d'Eric Viennot, le créateur d'In Memoriam. On vous demandera par exemple de parcourir un bouquin consultable intégralement en ligne pour trouver un mot situé sur une page bien précise, ou encore de repérer un post en particulier dans une série de commentaires. D'autres énigmes se dérouleront plutôt à la manière d'une chasse au trésor, avec des coordonnées GPS à trouver ou des vues satellites à utiliser. Le temps passé à effectuer ces recherches constitue bel et bien l'élément le plus original du jeu et permet de compenser la faible durée de vie de l'aventure. Autant dire que le titre n'a pas vraiment la même saveur en mode profane, les énigmes simplifiées et les indices optionnels étant surtout là pour s'assurer que tous les joueurs auront une chance de découvrir le fin mot de cette histoire que l'on parcourt volontiers d'une traite.
Points forts
- La démarcation toujours ténue entre réalité et hallucinations
- Les recherches sur le Net à la In Memoriam
- L'aspect chasse au trésor moderne
- Possibilité de changer à tout moment le degré de complexité des énigmes
- Des indices optionnels mais bienvenus
Points faibles
- Des liens trop ténus avec la bande dessinée Corto Maltese
- Des choix qui n'en sont pas vraiment dans l'histoire
- Trop court (4 heures environ)
Ne cherchez pas dans Corto Maltese : Secrets de Venise une simple adaptation de la bande dessinée d'Hugo Pratt. Si le pari de ne conserver que l'univers spirituel de l'auteur est discutable, on plonge finalement sans difficulté dans ce récit où la frontière entre réalité et hallucinations n'est jamais réellement marquée. Toujours accessibles en deux versions, les énigmes s'apprécient tout particulièrement lorsqu'elles impliquent des recherches à effectuer sur le Net, mais on vient malgré tout à bout de l'aventure un peu trop rapidement.