Le 1er mars dernier, le célèbre auteur de manga, Akira Toriyama, disparaissait. Au cours de sa carrière, le papa de Dr. Slump et Dragon Ball fut à l’origine de nombreuses créations. Dernièrement, en plus de la nouvelle série Dragon Ball Daima, le créateur japonais travaillait sur l’adaptation en jeu vidéo de l’une de ses œuvres : Sand Land. Une aventure posthume qui a bien plus à offrir que son désert à perte de vue.
Akira Toriyama, le maître du shonen, n’est plus de ce monde, mais son héritage restera. Et comme un clin d’œil du destin, l’artiste de toute une génération nous dit aurevoir avec une œuvre bien moins connue que Dragon Ball. Parue au début du siècle, Sand Land est un manga court qui a été prépublié dans le célèbre périodique japonais, Weekly Shonen Jump. Diffusée en France en 2002 sous la forme d’un unique volume, cette série vit aujourd’hui une seconde jeunesse avec l’arrivée d’un anime en treize épisodes sur Disney Plus et un grand jeu d’aventure retraçant les évènements fondateurs de l’intrigue.
Un récit étrangement visionnaire
Porteur de plusieurs messages, Sand Land raconte l’improbable collaboration d’un humain avec des démons pour sauver une population en manque d’eau. Le récit prend place dans un monde en proie à la sécheresse et chacun tente de survivre sous un soleil toujours plus ardent. Pendant ce temps, le roi du pays, appuyé par une solide armée, profite de la situation pour vendre à prix d’or des bouteilles remplie du précieux liquide. C’est dans ce contexte qu’un shérif, appelé Rao, décide de faire équipe avec un jeune démon, Beelzébub, et son vieil acolyte, le très amusant Thief. L’homme, qui cache un lourd passé, est persuadé qu’il existe une source d’eau, quelque part, pouvant sauver tout le monde.
À l’image de la série animée diffusée sur Disney Plus, le jeu Sand Land happe dès les premières minutes. Akira Toriyama avait un talent fou pour donner naissance à des univers passionnants et cette œuvre n’a vraiment rien à envier aux plus grands. Sans rien révéler de l’histoire et des évènements, gardez juste à l’esprit que le fil rouge est le même entre l’anime et le jeu vidéo. La seule différence réside dans certaines situations qui ont été adaptées au gameplay de l’aventure. Ainsi, et bien que la mise en scène soit assez statique, les développeurs sont parvenus à retranscrire, avec un certain talent, chaque séquence marquante de la série animée. À noter que certains noms diffèrent de la version française du dessin animé, puisque Thief, par exemple, se nomme Shifu (comme en japonais) dans l’anime. Il en va de même pour Zeus qui se tranforme ici en Zeu ou Ares qui devient Are.
Capsule Corp
Pour adapter Sand Land en jeu vidéo, le studio ILCA, à l’origine de One Piece Odyssey, a imaginé un monde semi-ouvert avec de gigantesques zones interconnectées. À l’image de l’œuvre originale, cette aventure est avant tout une longue quête initiatique. Trois personnages, que tout oppose, vont apprendre à se connaître tout en surmontant de nombreux obstacles et révélations. Nous sommes donc en présence d’un action-RPG, très porté sur l’exploration, se déroulant en vue à la troisième personne. Pour se déplacer, les joueurs peuvent opter pour la course rapide de Beelzébub (le petit démon que l’on incarne) ou prendre place à bord de multiples véhicules (tank, robot sauteur, moto…). Là où la patte d’Akira Toriyama est palpable, c’est dans la présence d’éléments faisant référence à Dragon Ball, à commencer par l’utilisation de capsules pour faire apparaître les moyens de locomotion. D'ailleurs, toute la progression est articulée autour de ces fameux véhicules.
En effet, si l’on excepte les montures animales, Beelzébub est régulièrement obligé de faire appel à ses machines pour progresser dans le monde aride de Sand Land et ses différents donjons. La carte du jeu est très vaste et les terres de sable sont jonchées d’obstacles : rochers, falaises escarpées, ravins béants, sables mouvants, ponts en ruines, etc. À mesure que l’on évolue dans l’histoire, le petit démon obtient de nouveaux véhicules et il doit passer de l’un à l’autre pour traverser des contrées toujours plus hostiles. Pour cela, une touche a été assignée afin de faire apparaître une roue qui permet de passer d’un véhicule à un autre en un instant. Seule une petite animation contextuelle (où on voit le héros lancer la capsule et l’objet apparaître dans un nuage de fumée) se déclenche lorsqu’on est à pied et qu’on souhaite passer à un moyen de locomotion.
La fabrique des déchets
En évoluant dans le monde de Sand Land, on comprend rapidement que la collectionnite est une constante essentielle de cette quête. Les pièces et objets que l’on récupère sur les ennemis ou dans les coffres permettent en effet de profiter d’un garage que l’on obtient en cours d’aventure. Cette bâtisse est l’endroit idéal pour améliorer les véhicules et les doter d’armes à même de résister à des adversaires toujours plus puissants. C’est une méthode classique qui fonctionne parfaitement dans le cadre du périple de Beelzébub et ses amis. Chaque véhicule dispose ainsi d’une section à optimiser : arme principale, arme secondaire, moteur et suspension. Chaque modification a un coût (la monnaie de Sand Land se nomme le Zéni) et nécessite des matériaux spécifiques – que l’on peut également se procurer auprès de certains marchands. Ce passage est obligatoire pour booster son matériel, surtout dans les modes de difficulté les plus élevés. Il existe aussi une section de customisation visuelle pour les amoureux des peintures et emblèmes.
Néanmoins, cette quête perpétuelle du loot est exagérée et les coffres sont si nombreux sur la carte qu’on en vient à les zapper en poursuivant notre route (surtout quand ceux-ci se trouvent en hauteur et qu’ils nécessitent le robot sauteur). Cette approche de la collectionnite est d’ailleurs tellement marquée qu’il est fort possible que les développeurs aient quelque peu gonfler artificiellement la durée de vie par cette mécanique. Il en va de même pour les ennemis qui sont souvent regroupés. La carte étant assez vaste à parcourir, on en vient finalement à suivre les objectifs principaux et secondaires en prenant le temps, lorsque cela devient nécessaire, de faire un peu de recherche de composants. Car Sand Land mise à fond sur les déplacements et cette approche pourrait en gêner certains.
La force des ténèbres
Avec son concept de monde semi-ouvert, Sand Land propose bien évidemment son lot de combats. Ceux-ci sont de différentes natures, que l’on soit à pied ou à bord d’un véhicule. Dans l’ensemble, le corps-à-corps est, à notre sens, la partie la moins réussie. Elle manque clairement de punch, de quelque chose qui donne envie d’y revenir. Beelzébub tape fort, il peut déclencher des pouvoirs spéciaux et faire appel à ses acolytes pour un coup de main, mais la caméra n’aide pas à la précision des collisions et on ressent une certaine latence dans les commandes. Ce n’est pas mauvais, mais ces affrontements au corps-à-corps – malgré l’arbre de compétences de Beelzebub et de ses alliés – sont bien moins intéressants que les rixes à bord d’un véhicule. À commencer par le tank.
Cette machine est un régal à piloter et les développeurs se sont fait un malin plaisir à intégrer des combats, notamment contre des boss, qui impliquent l’utilisation des angles morts et des déplacements latéraux pour surprendre l’adversaire. Si la mitraillette s’avère très utile pour éliminer les missiles à tête chercheuse, les soldats, les pillards et les petites créatures (scorpions, volatiles, crocodiles…), ce sont véritablement ses obus qui font parler toute sa puissance. Ces assauts, qui interviennent à intervalles réguliers, sont presque viscéraux et apportent beaucoup de dynamisme à une aventure qui en manque cruellement par moments.
Par Beelzebub
Sand Land est un jeu sympathique et le respect de l’œuvre originale ne fait aucun doute. On apprécie également que les développeurs aient agrémenté la progression de petits défis comme des phases d’infiltration (avec notamment Thief déguisé en Père Noël comme dans l’anime), des séquences en vue de profil ou des courses de moto. Mais après de nombreuses heures de jeu, on a la désagréable impression que quelque chose cloche dans le game design. Les missions, pour la plupart, sont loin d’être palpitantes (très souvent, il s’agit de collectionnite) et il peut se passer de très longs moments sans qu’il ne se passe rien.
Sand Land mise avant tout sur son scénario pour embarquer le joueur car il peine à surprendre sur la longueur. Malgré la taille imposante de la carte, les allers-retours sont fréquents et on a même noté des soucis de level design (conception des différentes zones), nous obligeant à tourner en rond avant de comprendre quel bout de route emprunter pour rejoindre la destination souhaitée. Alors certes, il existe des tours radio à réparer pour apporter de nouveaux détails sur la map, mais il y a de fortes chances que de nombreux joueurs soient confronté à ce problème. C’est le principal souci des mondes semi-ouvert, les zones sont bloquées par des obstacles (des falaises dans le cas présent) et on ne sait plus où donner de la tête pour retrouver son chemin ! Le robot-sauteur peut aussi être capricieux, obligeant à répéter plusieurs passages de plateformes.
Un style reconnaisSable
Pour autant, ne croyez pas que Sand Land soit inintéressant. Son scénario et ses personnages sont accrocheurs et les graphismes, avec la petite touche de cel-shading (avec des contours un peu plus grossiers autour des personnages), diffusent une atmosphère unique. L’écriture est excellente et le jeu, comme dans l’œuvre originale, transmet une foule de messages sur la cupidité humaine, la protection environnementale ou encore la peur de l’autre. Par ailleurs, plusieurs passages, totalement inédits et signés par Akira Toriyama, participent au développement du lore de Sand Land. Un vrai plus qui nous fait dire que le manga, l’anime et le jeu vidéo sont parfaitement complémentaires. Pour qui aime les jeux narratifs et les longues phases d’exploration, Sand Land est à même de répondre à bien des attentes.
En ce qui concerne la map en elle-même, le studio ILCA a veillé à faire en sorte qu’elle soit la plus vivante possible. Certes, il s’agit d’un vaste désert, mais de nombreuses zones sont constituées de donjons (plus ou moins fermés), de villages, de grottes, de marchés, de ruines, etc. Il existe d’ailleurs des endroits qui tranchement totalement avec l’environnement désertique et certaines positions, à commencer par le repère du Dragon Geji, vous réservent des surprises. En chemin, certains camps vous permettent également de vous reposer et d’attendre le matin ou la nuit (dans la pénombre, les ennemis deviennent plus résistants). De quoi changer d’atmosphère. Le monde semi-ouvert est très classique dans l’esprit et il n’est pas dit que la découverte de Sand Land, par ce seul jeu, soit la meilleure des solutions. Mais son univers est si charmant que les connaisseurs de l’œuvre originale ou de l’anime y prendront obligatoirement du plaisir. Surtout si l’on se réfère aux pans scénaristiques inédits proposés par le jeu. Sand Land ne bouleversera pas l’univers de l’action/aventure, mais cette œuvre posthume porte l’empreinte d’Akira Toriyama et ne manque pas de qualités pour qui adore cet univers appelé « The World » dont l’artiste a tiré toutes ses licences populaires.
Conclusion
Points forts
- Personnages et univers attachants
- Un jeu fidèle à l'oeuvre originale
- Une carte assez vaste
- Les phases de combat en tank
- Doublages et traductions réussis
- Beaucoup d'humour
Points faibles
- Missions qui peine à se renouveler
- Pas mal d'allers-retours
- La précision et le punch des combats au corps-à-corps
- Les phases de plate-forme en robot-sauteur
- Trop de collectionnite
Note de la rédaction
Avec Sand Land, le regretté Akira Toriyama vient poser la dernière pierre d’un édifice prestigieux. Enrichie de pans scénaristiques inédits, cette adaptation vidéoludique est la prolongation idéale du manga et de l’anime. Sur un plan ludique, l’aventure est loin d’être parfaite, mais le scénario et les évènements sont fidèles à l’œuvre originale et la progression offre plusieurs moments marquants. Forte de ses personnages ultra-attachants et de son univers, cette production a suffisamment d’atouts pour combler les amateurs de jeux en monde (semi) ouvert. Si l’idée de jouer à un action-RPG dans un univers à la Mad Max vous intéresse, ce titre peut vous combler.