En 2012, quelque part en Allemagne, quatre amis de longue date se réunissent autour d'un repas et s’y racontent leur passion commune pour le jeu narratif et la stop-motion, procédé artisanal encensé par les amoureux de Wallace et Gromit. L'envie de composer ensemble une œuvre devient alors vite irrépressible. Certains ont déjà une certaine expérience dans la menuiserie, d'autres dans la réalisation de films, ou même encore dans la production de jeux et dans la réalité virtuelle. Des compétences à la complémentarité si évidente qu’elles donneront lieu trois ans plus tard à l’ouverture du studio Slow Bros., bannière sous laquelle le quatuor va pouvoir donner vie à un rêve collectif, un jeu narratif baptisé Harold Halibut. Le projet est présenté au public en 2017 dans le cadre d’une campagne participative malheureusement infructueuse. Mais l’envie reste, les talents persistent et porté par quelques vitrines du regretté E3, Harold Halibut se fraye finalement un chemin cette année sur nos PC et consoles, narguant ceux qui ont osé l’ignorer avec une beauté époustouflante et un univers absolument inoubliable.

Test réalisé sur une version PS5.

Le plus beau jeu de l'année

Difficile de ne pas débuter ce papier par quelques observations sur la beauté d’Harold Halibut. Tout ce que vous voyez du jeu est minutieusement confectionné à la main : les personnages, les décors, chaque petit élément qui compose Fedora, le vaisseau qui sert de cadre au récit, est fait de métal, de bois, de tissu et d’argile, de sorte à créer cette esthétique "stop-motion" aussi très imprégnée du style des magazines de SF des années 70. Peu ont encore usé de ce procédé dans le jeu vidéo, presque aucun n’a jamais vraiment brillé, alors on peut aisément estimer que la patte du jeu est d’une singularité vraiment rafraîchissante. Chaque mur longé et chaque chemin exploré a l'air d'hurler l’amour et le dévouement de Slow Bros. pour son univers confectionné à la sueur de quelques fronts. Les développeurs semblent avoir bien conscience du potentiel des lieux, une pression sur la gâchette de votre manette vous permettant de zoomer sur chacun de leurs recoins.

Sur PlayStation 5, j’ai opté pour le mode qualité et je n’ai jamais cessé de m'exclamer sur le charme du jeu. Il semble assez inutile de choisir le mode performance : notre personnage de papier n’est de toute manière pas doté d’une mouvance particulièrement exceptionnelle et l’action n’est jamais fulgurante. Les développeurs ont néanmoins fait preuve d’ingéniosité en numérisant leurs petites constructions en 3D de sorte à fluidifier les animations, globalement très crédibles à l’écran. Harold a le pas un peu lourd, mais il peut courir sans soucis. Néanmoins la beauté semble ici avoir un prix et j’ai été témoin d’une généreuse poignée de retards d’affichages en pénétrant dans une nouvelle pièce ; les corps de mes compagnons de vaisseau ont ainsi souvent mis quelques secondes à se charger avant d’apparaître complètement à l’écran. Un défaut non négligeable, mais que l’on excuse à moitié en explorant ces adorables petites maquettes qui nous donne presque envie de lâcher ce genre de phrases un peu suffisantes : “on en fait plus des jeux comme ça !”

Harold a les boules

Harold Halibut nous offre de camper un protagoniste éponyme qui n’a vraiment rien d’un héros. Il est maladroit, un peu ringard - beaucoup de ses compatriotes s’étonnent même qu’il n’a encore que la vingtaine alors qu'il fait deux fois son âge - et il a bien du mal à saisir le second degré, déclenchant régulièrement et malgré lui un comique de situation particulièrement délectable. Slow Bros. maîtrise avec brio la construction d’un personnage que l’on croirait tout droit extrait d’un excellent scénario de Wes Anderson, bien que le studio cite comme inspirations princales les animes des années 90, le cinéma de Spielberg et les œuvre de Wong Kar Wai. Harold paraît constamment gêné d’exister et ne semble jamais s’apercevoir de la valeur qu’il représente pour les autres. Sans doute serait-il plus étonné encore d’apprendre qu’il est le protagoniste d’un jeu vidéo. A Fedora, vaisseau spatial de la taille d’une ville, il est l’homme à tout faire et assiste quotidiennement une galerie de personnages d’une densité toujours constante qui servent à une histoire tout aussi généreuse. Notons par ailleurs que les doublages sont vraiment excellents, autant que le reste du travail sonore effectué sur le jeu, qui nous délecte de temps à autre de délicieux petits entractes musicaux.

Cela fait 250 ans que le vaisseau a fui une Terre au bord de la guerre froide pour trouver une planète habitable afin de préserver la race humaine. Seulement, la plateforme s’est retrouvée coincée au fin fond d’un océan extra-terrestre, forçant ses citoyens à endurer une existence entière calfeutrée à bord du Fedora. Si certains se complaisent dans ce train de vie délicat, d’autres, comme la scientifique Jeanne Mateaus, s’efforcent à trouver une manière de quitter ces eaux de malheur. C’est donc dans ce contexte un peu particulier qu’évolue notre Harold, très vite confronté à des situations inattendues et à une rencontre bouleversante. Le jeu de Slow Bros brille constamment par une personnalité éclatante, mais rate en revanche souvent le coche dans son rythme et son intensité. Hormis quelques séquences touchantes, difficile de ne pas observer une certaine platitude dans le déroulé de l'aventure qui ne s'efface vraiment qu'en troisième partie de l'histoire (laquelle est vraiment fabuleuse). Un souci en grande partie causé par la routine des mêmes petits services toujours rendus par Harold.

À jouer un dimanche en pantoufles

Le directeur du titre, Ole Tillmann, l’admet lui-même : "Je pense qu'il faut un peu de patience pour s'habituer à Harold Halibut car le jeu est très axé sur la narration et les cutscenes". L’expérience se veut être un croisement entre un jeu et un film en stop motion, avec une emphase vraiment particulière sur les dialogues que vous aurez généralement à suivre de manière passive. Pas de choix significatif au rendez-vous, ni même d’embranchements possibles. Sur le fond, je pourrais facilement comparer Harold Halibut à Mutazione, un autre excellent titre narratif présenté comme un “feuilleton mutant” qui était essentiellement basé sur les conversations d’humains étranges et sur leurs petites problématiques personnelles. À ce propos, pensez bien à explorer tous les à-côtés de l'aventure, les personnages en second plan ont souvent quelque chose à vous dire entre deux objectifs principaux et cela aidera beaucoup à bonifier votre expérience.

Le récit d’Harold Halibut se savoure de façon quasi linéaire et ne se parsème que d’interactions très sommaires : des allers-retours assez poussifs entre deux salles d’un vaisseau tout de même étroit et des microtâches faussement satisfaisantes à exécuter en attendant patiemment le déclenchement d’un script inopiné ou de quelques cinématiques qui ne se ratent jamais. Ce paramètre est donc à prendre en compte si vous êtes généralement réticents à l'idée de vous lancer dans des jeux narratifs très bavards et routiniers, d’autant que la durée de vie peut aisément atteindre les 18 heures. Aussi si les enjeux du titre de Slow Bros. sont colossaux, les développeurs semblent avoir un peu de mal à nous le faire ressentir, mais la rareté de l'œuvre reste marquante et le voyage est globalement appréciable de bout en bout.

Conclusion