Cette nuit, il pleuvait, la marée était haute,
Un brouillard lourd et gris couvrait toute la côte,
Les brisants aboyaient comme des chiens, le flot
Aux pleurs du ciel profond joignait son noir sanglot,
L'infini secouait et mêlait dans son urne
Les sombres tournoiements de l'abîme nocturne ;
Les bouches de la nuit semblaient rugir dans l'air.

Cette nuit, il pleuvait, la marée était haute de Victor Hugo

Les marées… Quel phénomène fascinant… Entre eau, terre et espace, il rassemble les éléments naturels pour créer un mouvement parfois fertile, parfois destructeur. Les grandes marées s’attaquent parfois à la côte avec une rage dévorante, prêtes à l’avaler toute entière. Mais comme après le calme vient la tempête, après la marée haute vient la marée basse, plus calme, plus reposante, propice à la quiétude et à la poésie. Ce mouvement descendant, c’est ce qu’on appelle le jusant. Et c’est ainsi que Don’t Nod a choisi de nommer son prochain jeu. Un titre qui, comme ce phénomène marino-astral, a sa part de poésie et de pouvoir de fascination. Ce n’est pas pour rien que nous avons ouvert l’introduction de ce test avec un bout de poème. Don’t Nod a choisi de s’aventurer sur un nouveau terrain, celui de l’expérience méditative, poétique et écologique. Alors, prenez une grande inspiration, il est temps de gravir un nouveau mont : Jusant.

Entre montagne…

Vous l’aurez compris, il va falloir enfiler son baudrier et escalader. Le jeu débute en effet en bas d'une tour vertigineuse. Autour, il n'y a rien, que le vide. Pas le choix, il faut monter. Tout commence simplement. Une main/touche après l'autre pour s'agripper. Puis arrivent les sauts à maîtriser, les pistons pour s'assurer, les grappins pour se jeter et l'endurance à gérer. Petit à petit le gameplay évolue sans trop proposer de challenge. Si bien qu'au bout d'une heure ou deux, on aurait presque envie de se dire "trop facile". Mais si le début est certes assez simple, le gameplay évolue au fur et à mesure des chapitres avec de nouvelles mécaniques et éléments naturels à prendre en compte dans votre ascension. Le tout est assez bien rythmé et permet de contrer la lassitude avant qu'elle ne s'installe. En somme, pour la grimpette, c'est une réussite !

Mais il y a tout de même quelques ombres au tableau, à commencer par des indications trop présentes (même après avoir changé les paramètres). On a rencontré également quelques bugs et imprécisions par moment. Pour un jeu qui centre son gameplay sur l'escalade, c'est assez dommageable. Ça sort alors un peu du côté immersif et finit de tuer le sentiment de pression normalement inhérent à ce genre de sport extrême mais finalement rarement présent dans Jusant. Ce second point est certainement dû à une volonté de rendre le jeu accessible au plus grand nombre. Il y a d'ailleurs un certain nombre d'options permettant de vous faciliter un peu plus la tâche si nécessaire. Mais si l'accessibilité est une bonne chose, se priver de l'adrénaline emblématique de l'ascension n'en reste pas moins un peu problématique pour un jeu du genre.

Les développeurs de Jusant ont fait un choix. Si le titre est une lettre d’amour à l’alpinisme et à l'escalade (dont il reprend de nombreux codes), ce n'est pas pour mettre en avant la course à la performance et le goût du risque mais plutôt le rapport sain qu'entretiennent ces sportifs avec la nature. C'est ce sentiment d'humilité et de respect qu'ont voulu retranscrire les développeurs et sur ce point, ils ont réussi leur coup. Dans Jusant, il faudra avancer selon le rythme imposé par la nature, réfléchir son ascension en fonction d'elle. Si une relative liberté est laissée aux joueurs concernant le chemin à prendre, vous ne pourrez pas grimper ou bon vous semble. Vous serez forcément dépendant des chemins que la nature (et quelques installations humaines tout de même) ont laissé pour vous. Et comment ne pas se sentir tout petit face aux paysages époustouflants et vertigineux que nous propose le jeu. Le jeu a opté pour une direction artistique un peu particulière mais qui fait mouche. C’est beau, la réal est parfois particulièrement réussie, les biomes variés et l’ambiance est aussi méditative que fantastique. Il est plaisant de se perdre dans cette nature intrigante. En cela, Jusant parvient à nous montrer une certaine vision de l'escalade et, plus largement, de notre rapport à la nature.

Car aussi étonnant cela puisse-t-il paraître, cette notion d’escalade est venue tardivement dans le processus de développement. Jusant n’a initialement pas été pensé comme un jeu d’escalade développé par des passionnés de cette discipline, comme on pourrait le penser. À vrai dire, Kevin Poupard et Mathieu Beaudelin, les deux initiateurs du projet, n’y connaissaient pas grand chose en escalade avant de travailler sur Jusant. Tout est parti d’un pitch simple : un bonhomme seul face à une gigantesque tour naturelle. Un pitch simple oui, mais avec un fort potentiel narratif et c’est avant tout pour cette raison qu’il a été choisi. Vous l’aurez compris, Jusant a bien plus à offrir qu’une simple ascension mécanique : une aventure poétique.

… et océan

“Moi j'adore l'eau, dans 20 ou 30 ans y en aura plus” disait Jean-Claude Van Damme. Et bien nous y sommes, un monde où l’eau n’est plus. Vous vous en doutez, il y a une part importante de message écologique dans Jusant. Ce n’est pas pour rien si la nature a une importance toute particulière dans le gameplay du jeu, elle en a aussi une dans l’histoire et le monde. Restaurer son équilibre, d’une certaine façon, vous permettra d’avancer. Symboliquement, c’est loin d’être anodin. Et ce n’est pas pour rien non plus que les développeurs tiennent à appeler l'édifice à gravir “une tour naturelle”. Jusant est une lettre d’amour à la nature et ça se ressent à tous les instants. Son traitement de la faune et la flore, ses paysages, le lien mystérieux avec le Ballast, l’histoire de cette civilisation passée…

Et oui, comme beaucoup avant lui, Jusant propose également de revenir sur les traces d’un peuple disparu, on ne sait pas pourquoi, on ne sait pas comment… Enfin sauf si on est curieux. On se retrouve donc avec une narration cryptique, mêlant éléments de décor et récits dispersés ici et là. Cela veut dire que vous pouvez passer totalement à côté de toute cette partie du jeu, mais ce serait bien dommage. Sans prononcer un mot, le titre parvient en effet à nous faire ressentir tout un tas d’émotions. Le jeu récompense d’ailleurs particulièrement bien la curiosité. C’est particulièrement agréable de ressentir ce sentiment de comprendre petit à petit l’indicible, de percer les mystères de ce jeu muet, au fur et à mesure que l’on trouve les différents documents laissés là par ceux qui ont foulé ces chemins avant nous. Tout comme il est plaisant d’entendre la petite musique accompagnant la découverte d’une nouvelle fresque ou l’expérience sonore et visuelle que procure le fait d’écouter à travers un autre coquillage laissé là par les marées.

De façon générale, Jusant vous pousse assez habilement à vous concentrer sur les sons et c’est assez malin. Bien sûr, ça s’accompagne d’un sound design particulièrement bien pensé et d'une bande-son qui invite à l'évasion et à la méditation. Il suffit parfois de fermer les yeux pour s’y croire, comme quand on était petit et qu’on pensait entendre la mer à travers un coquillage. Ceux qui ne veulent rien laisser passer pourront ainsi se fier aux sons du Ballast pour ne rien louper et peut-être atteindre le 100% dès la première ascension. Mais si ce n’est pas votre cas et que vous détestez ce sentiment d'inachevé quand vous lisez "3/5", sachez que le jeu est segmenté en chapitres vous permettant de revenir rapidement dans la zone où il vous manque des collectibles une fois le jeu terminé. Un petit détail mais très important pour les complétionnistes. En revanche, pas de sauvegarde manuelle. Et puisqu'on parle de finir le jeu, sachez qu'il vous faudra environ 5 heures pour achever votre ascension et une petite dizaine pour le 100%. Une durée correcte et pertinente pour un titre qui ne tire jamais en longueur sans se révéler trop court. En somme, une belle aventure à déguster le temps d'un bel après-midi.

Conclusion