Malgré son retrait de la scène vidéoludique, l’éditeur Konami continue d’abreuver, de temps à autre, les étals des magasins et les boutiques numériques. Après eFootball 2024 et Super Bomberman R2, le studio japonais nous gratifie d’une collection réunissant les trois premiers jeux emblématiques de sa franchise ultrapopulaire (mais pas seulement...) : Metal Gear Solid. Si la qualité intrinsèque de ces titres est intacte, les bonus proposés et le gap technique sont-ils suffisants pour convaincre les fans comme le nouveau public ? Éléments de réponse dans le test qui suit.
Née sur d’obscurs ordinateurs japonais appelés MSX, la série Metal Gear a pris son envol sur PlayStation, la première console de Sony, avec un épisode resté dans toutes les mémoires : Metal Gear Solid. Révolutionnaire en son temps, cette aventure en 3D (d’où le terme « solide » en anglais) a marqué tous les esprits avec ses idées ingénieuses, son scénario passionnant et ses personnages charismatiques. Fort d’un succès immédiat, le titre de Konami fut la rampe de lancement pour une licence qui allait traverser les générations de consoles. Cristallisant les attentions et les agacements, son créateur-star, Hideo Kojima, est alors monté en grade jusqu’à un cinquième épisode canonique, synonyme de point de rupture avec son employeur. Après une longue absence, cette compilation tombe donc à point nommé pour raviver les souvenirs ou faire découvrir cette saga culte aux nouveaux venus.
Les origines de Metal Gear et Metal Gear Solid
Pour comprendre d’où vient Metal Gear, il faut remonter au milieu des années 1980. À l’époque, le Japonais Hideo Kojima termine ses études et découvre le jeu Super Mario Bros.. Totalement sous le charme du plombier de Nintendo, il comprend que ce média peut nourrir son autre passion : le cinéma. En 1986, alors âgé de 23 ans, Kojima rejoint le studio Konami et son talent de dessinateur lui octroie le droit de créer son propre jeu. Malheureusement, le garçon ne sait guère par où commencer et doit subir les railleries de collègues plus expérimentés. Alors qu’il envisage de quitter le milieu du jeu vidéo, celui qui deviendra son mentor, Naoki Matsui, le prend sous son aile. Grâce à celui-ci, Hideo Kojima rejoint l’équipe du jeu Penguin Adventure pour comprendre le processus de la création d’un jeu vidéo, puis obtient une demande surprenante : « On m’a demandé de réaliser un jeu de guerre ». Soucieux d’apporter un nouveau souffle à un genre qui tourne un peu en rond, l’intéressé imagine un concept qui ressemble au film La Grande Évasion. Appuyé par Naoki Matsui, Hideo Kojima obtient l’aval de sa direction et commence à croquer une aventure où le personnage doit plutôt s’infiltrer au lieu de foncer dans le tas.
Cette aventure, qui deviendra Metal Gear, pose les concepts du jeu d’infiltration. Snake, un agent spécial de l’organisation Fox Hound, est envoyé en Afrique du Sud pour enquêter sur la disparition d’un collègue et une arme surpuissante. La particularité du titre réside dans son approche qui diffère totalement des jeux d’action : les gardes patrouillent, les systèmes de surveillance (caméras, détecteurs infrarouge…) sont nombreux et de multiples gadgets (détecteur de mines, lunettes à vision thermique…) sont mis à disposition de Snake en plus des armes plus conventionnelles. Le système de détection, quant à lui, est représenté par un ou deux points d’exclamation au dessus des gardes qui matérialise le niveau d’alerte. Malheureusement pour nous, le jeu, tout comme sa formidable suite (gameplay optimisé avec des soldats encore plus réactifs), sont restés exclusifs au Japon et il a fallu se contenter de d'une adaptation poussive et d'une fausse séquelle, Metal Gear : Snake's Revenge, sur NES, la célèbre et populaire console de Nintendo.
Fort de ses deux succès sur MSX, Hideo Kojima prend du galon chez Konami. En 1993, alors que le créateur envisage la création d’un nouvel épisode de Metal Gear, il découvre que Sony travaille sur une console révolutionnaire : la PlayStation. En un instant, il comprend que cette machine est assez puissante pour réaliser un univers en 3D. Et c’est exactement ce qu’il va s’efforcer de faire, avec son équipe, pendant trois longues années. Secondé par une équipe ultra talentueuse, dont l’artiste Yoji Shinkawa, le créateur japonais va alors multiplier les expérimentations (utilisation de petites caméras dans des décors en LEGO, apprentissage auprès d’un véritable consultant militaire…) pour faire de Metal Gear Solid, premier épisode en 3D, un jeu d’exception.
Une compilation sous le signe de la PlayStation
Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que cette compilation, répondant au doux nom de Metal Gear Solid : Master Collection Vol. 1, réunit les tous premiers épisodes originaux (ceux des ordinateurs japonais MSX, mais aussi ceux de la NES) ainsi qu’une partie des volets plus modernes de la saga. En l"occurrence, il s’agit de Metal Gear Solid, Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty et Metal Gear Solid 3 : Snake Eater. Il y a donc largement de quoi faire, mais encore faut-il que le studio de développement se soit donné les moyens de créer une collection à la hauteur de la saga. On va donc analyser, point par point, chaque épisode en prenant le temps de disséquer les ajouts du titre de Konami. Et autant vous le dire immédiatement, si la qualité des jeux reste intacte (malgré des mécaniques qui vieillissent forcément), il y a quelques impairs.
Tout d’abord, il est impératif de savoir que la compilation ne propose pas une interface avec une sélection des jeux. Comme chaque titre est achetable séparément, les développeurs ont tout simplement conservé un modèle basique, à savoir que le joueur lance chaque jeu à part depuis son écran d’accueil, qu’il se trouve sur console PlayStation, consoles Xbox, Nintendo Switch ou PC. Autant dire que la première impression n’est pas des plus rassurantes. Mais sans plus attendre, commençons avec le premier Metal Gear Solid…
De vieux jeux vidéo à peine recyclés ?
À l’image de ses petits frères, le Metal Gear Solid de la Master Collection Vol. 1 n’est en réalité qu’une réadaptation de la Metal Gear Solid HD Collection parue en 2011 sur PlayStation 3 et Xbox 360. Par conséquent, et au risque d’agacer la communauté de fans, cette compilation ne propose à aucun moment une résolution en 4K. En lieu et place des standards actuels, Konami s’est contenté du 1080p (1920 x 1080) sur chacune des machines, avec un ajustement en 720p pour la Nintendo Switch en mode docké, sur la télévision. Certains diront que la PlayStation avait une résolution bien plus basse et qu’un tel affichage peut largement convenir au premier jeu en 3D de la série. Dans les faits, il faut reconnaître que l’expérience n’est pas mauvaise, la résolution en 1080p évite un affinage trop prononcé des textures, ce qui permet de profiter de la 3D de l’époque sans avoir l’impression de contempler une bouillie disgracieuse. Là où ça coince un peu plus, c’est que ce premier épisode, aussi bon et innovant soit-il à l’époque, ne dépasse pas les 30 images par seconde. Ce sera sans doute un goût amer pour certains lorsqu'on comprend que les deux autres jeux, Sons of Liberty et Snake Eater, carburent à 60 images par seconde.
Fidèle à lui-même, Metal Gear Solid est proposé en plusieurs langues, y compris la version française (désormais culte) d’Emmanuel Bonami. Cette première aventure de Solid Snake est remarquable à bien des égards. Malgré la 3D « approximative » de l’époque, l’ambiance a été peaufinée à l’extrême et chaque détail impressionne (le froid qui s’échappe de la bouche des soldats, les rats qui crapahutent dans l’entrepôt, l’oscillation des flaques d’eau…). Sur le plan visuel, on note l’ajout de petits effets comme l’intégration de flou durant les mouvements de caméra. Les imperfections graphiques du jeu original (effets d’escaliers sur les objets) sont présentes, mais l’aventure est toujours d’une grande immersion. Alors oui, le gameplay a un peu vieilli et certains aspects – comme le fait d’appuyer sur un bouton pour grimper à une échelle - peuvent paraître un peu raides, mais l’immersion est là et il est toujours intéressant de voir des ennemis qui réagissent de façon plutôt intelligente (ils sont sensibles au bruit, au pas qu'ils voient dans la neige, etc.). 25 ans après sa sortie, Metal Gear Solid demeure toujours un jeu exceptionnel, que ce soit par ses boss, son scénario ou sa propension à briser le quatrième mur (lorsqu'un élément du jeu s'invite dans votre réalité). Et il est accompagné de toutes ses versions alternatives : son extension Metal Gear Solid : Missions Spéciales et sa version anglophone VR Missions ainsi que Metal Gear Solid Integral, sorte de mouture ultime comportant des contenus additionnels (nouveaux costumes, mode de difficulté très facile…). Dommage que l’épisode Gamecube, Metal Gear Solid : The Twin Snakes, qui est un remake (un peu déjanté d'ailleurs...), n’ait pas été intégré à l’ensemble. Une telle décision aurait fait sens, mais on peut prier pour qu’il soit présent dans le Volume 2. De la même manière, il y a des détails qui interpellent, comme la validation dans tous les menus qui s’effectue, comme au Japon, avec le bouton Rond sur PlayStation (chose qu’on ne retrouve pas sur les autres jeux) et le menu de pause qui vient s’intercaler dans l’interface d’enregistrement vidéo de la console PS5.
Les chefs-d’œuvre de la PlayStation 2
Après cette première aventure, on passe à la génération suivante avec Sons of Liberty, celui qui a retourné les têtes à l’époque (lors du salon E3 2000, dès que la bande-annonce du jeu se lançait sur le grand écran du stadn de Konami, tout le monde s’arrêtait pour la regarder, Aymeric peut en témoigner, il y était...) et l’époustouflant Snake Eater. Tels des blockbusters hollywoodiens, ces titres ont marqué à jamais l’industrie du jeu vidéo faisant pratiquement passer le premier épisode pour un brouillon. Mis en musique par le compositeur Harry Gregson-Williams (Narnia, Spy Game...) Metal Gear Solid 2 débute par une séquence incroyable sur le pont George Washington de New York. Après une première phase, le scénario prend une tournure étonnante et livre une aventure au gameplay remarquablement optimisé. Il est désormais possible d’interagir avec l’environnement, de se cacher dans des placards, de tirer en vue subjective, de se suspendre à des passerelles, de tirer à couvert, etc. L’intelligence artificielle des adversaires, qui gère leur réaction, a fait un bond impressionnant. Pêle-mêle, on peut tirer dans leur radio pour qu’ils ne communiquent plus entre eux et ils sont capables de repérer une anomalie dans le décor (bouteilles cassées, élément qui a bougé, etc.) ou de réagir en groupe pour encercler le joueur. Et force est de constater que plus de 20 ans après, il est toujours aussi efficace. La haute résolution en 1080p apporte un petit plus indéniable et le traitement en 60 images par seconde procure d’excellentes sensations. Les VR missions et missions alternatives sont également là pour prolonger le plaisir.
Passons maintenant au dernier épisode de cette compilation. Metal Gear Solid : Snake Eater, que certains considèrent comme le meilleur volet de la saga, change d’époque pour nous plonger dans la jungle russe durant la guerre froide. Prenant la forme d’une préquelle, cette aventure se déroule en milieu naturel et exige que le joueur s’adapte à cet environnement extrême. Le gameplay est donc plus systémique dans le sens où l’attirail de Snake a un impact sur son endurance (plus le sac-à-dos du héros est lourd, plus les déplacements sont difficiles) et sur sa progression. Outre le système de camouflage permettant de se fondre dans le décor (on adapte son vêtemements pour mieux se cacher dans les décors...), Metal Gear Solid 3 mise également sur la survie pour enrichir l’expérience. Il faut se nourrir, boire, se soigner avec les moyens du bord, mais aussi s’infiltrer sans user de multiples gadgets modernes comme pour les précédents épisodes. Sur le plan technique, l’apport du 1080p et de l’animation en 60 images par seconde permettent de profiter de personnages encore plus détaillés (les visages sont affinés et la synchronisation labiale est plus réussie) et de très jolis effets. En revanche, la compilation ne comprend pas la version alternative et optimisée Metal Gear Solid 3 : Subsistence. Un oubli qui fera grincer les dents de certains fans, à n'en pas douter...
Mis bout à bout, tous les éléments de Metal Gear Solid Master Collection Vol.1 en font un programme de qualité pour les amoureux de la saga et les nouveaux venus. Cette compilation nous rappelle à quel point cette saga était en avance sur son temps et on comprend pourquoi tant de franchises se sont inspirées des idées d’Hideo Kojima et de son équipe. À l’heure où l’on écrit ces lignes, plusieurs éléments sont indisponibles, comme les langues japonaises et l’absence de traduction (ils sont intégralement en anglais) des livres numériques laissent à penser que le travail effectué par Konami aurait mérité, sur certains aspects, un meilleur traitement. L’absence de résolution 4K est tout de même regrettable (au moins pour les deux épisodes PS2) et le fait que chaque épisode soit éparpillé (car aussi vendu séparément) souligne l’implication limitée de l’éditeur japonais. Et indiscutablement, les détenteurs de la HD Collection de 2011 se poseront la question à deux fois avant de craquer tant les ajouts sont finalement assez light. C’est une compilation honorable dans le sens où cela reste des jeux d’exception, mais avec un gap technique et des bonus trop légers (où sont les making of ?) pour en faire un indispensable.
Conclusion
Points forts
- 5 jeux d'exception
- Les premiers Metal Gear sont présents
- L'animation en 60 images par seconde pour MGS 2 et 3
- Le choix des langues
- Des heures et des heures de jeu
Points faibles
- Absence du remake The Twin Snakes
- Aucune résolution en 4K
- Livres numériques non traduits
- Pas d'interface réunissant tous les jeux
- Bonus globalement trop légers
Note de la rédaction
Saga culte du jeu vidéo, Metal Gear Solid reste égale à elle-même et cette compilation nous rappelle toutes les qualités des oeuvres du créateur japonais Hideo Kojima. Qu'on se le dise, c'est un réel plaisir de faire chaque épisode dans l'ordre chronologique (ou pas) et de revivre certains des moments les plus épiques de l'histoire du jeu vidéo (si, si, on peut le dire...). Mais d'un autre côté, avec une telle série à disposition, on ne peut s'empêcher de pester contre l'absence de certains éléments (Metal Gear Solid : The Twin Snakes pour ne citer que lui) et une technique qui aurait mérité un meilleur traitement. L'initiative de Konami n'est pas mauvaise en soi, mais on garde la sensation amère qu'ils ont récupéré la HD Collection en la dépoussiérant légèrement pour créer cette compilation. Après oui, ces jeux vidéo resteront à jamais de purs chefs-d'oeuvre et ça peut être une formidable occasion pour les (re)découvrir.