Depuis quelques mois, certains évoquent avec les larmes dans les yeux la disparition du jeu de rôle japonais “à l’ancienne”. Il est vrai que depuis un certain temps, ces softs au tour par tour ont tendance à laisser leur place à des titres plus orientés action. Mais certains développeurs continuent de livrer d’excellentes fournées, à l’instar de Acquire (accompagné de Square Enix) avec Octopath Traveler 2 mais aussi le studio québécois Sabotage avec Sea of Stars. Ce dernier affiche clairement ses inspirations. Elles sont tirées de modèles du genre comme Chrono Trigger et Super Mario RPG. Sea of Stars leur rend hommage tout en essayant de leur donner une seconde jeunesse. Par réussi ?
Si l’on met de côté Hollow Knight Silksong, Sea of Stars était probablement le jeu indépendant le plus attendu de l’année. Il faut dire que Sabotage Studio n’en est pas à son coup d’essai. En 2018, le studio québécois sort le jeu d’action/plateforme The Messenger directement inspiré de Ninja Gaiden. Un titre qui affiche déjà la philosophie du studio de se positionner sur la scène vidéoludique en reprenant des classiques rétro avec une touche moderne. Quelque chose qu’il réussit avec brio alors : il est nommé aux Game Awards du meilleur jeu indépendant avec d’autres pointures (Into the Breach, Obra Dinn, Dead Cell et Celeste) et va même jusqu’à être élu meilleur premier jeu indépendant cette année. De quoi permettre à Thierry Boulanger, CEO & Creative Director de Sabotage, de se lancer dans le RPG qu’il a toujours voulu faire : un titre inspiré de Chrono Trigger et Super Mario RPG, deux références du genre sorti dans les années 90. À ce sujet, il déclare dans une interview espérer que "Sea of Stars pourra être rangé chez les joueurs sur les mêmes étagères que les jeux dont il s'est inspiré".
Forcément, s’inspirer des plus grands à de quoi intriguer la sphère vidéoludique. D’autant que Chrono Trigger et Super Mario RPG restent des jeux à part tant peu de studios se sont risqués à les imiter. Simple volonté de faire autre chose ou peur de se casser les dents ? Les raisons peuvent être nombreuses. En tout état de cause, Sabotage s’est lancé avec panache dans sa lettre d’amour de ses jeux-là.
Sommaire
- Sous le sunlight des tropiques
- Des combats engageants et variés mais tirés vers le bas
- Les yeux pleins d'étoiles
Sous le sunlight des tropiques
Si Sea of Stars se déroule dans le même univers que The Messenger, nul besoin d’avoir joué à ce dernier pour comprendre l’histoire. Juste certaines références ne seront pas perçues.
Essayer de rendre hommage à Chrono Trigger, c’est d’abord avoir une histoire forte, rythmée et aux personnages hauts en couleur. Ce que Sea of Stars arrive à faire ! Dans le monde fantastique de Sea of Stars, le joueur incarne Zale et Valere : ce sont deux enfants du Solstice, respectivement du Soleil et de la Lune. Ils sont formés à l’Académie du Zénith dans le but de devenir des gardiens du solstice. Ces derniers sont des combattants aguerris qui peuvent vaincre les Hôtes : ce sont les pions du grand méchant Fleshmancer qui menace de détruire l’humanité. Après leur formation, Zale et Valere se mettent en route pour détruire le dernier Hôte restant. Comme l’on s’en doute, la défaite de celui-ci ne met pas un point final à l’histoire de nos deux protagonistes. On dirait même que c’est à partir de ce moment-là que le scénario prend une tournure intéressante.
De manière générale, l’histoire de Sea of Stars est construite de manière assez classique mais affiche de nombreux petits rebondissements qui lui donnent une saveur particulière. Au cours de leur grande aventure, Zale et Valere croisent des personnalités hautes en couleur. L’équipage du Capitaine Klee’shäe, Malkomud et même l’archiviste qui fait office de narrateur. On arrive vite à s’attacher au casting du jeu, d’autant que, malgré la direction artistique très colorée, le monde de Sea of Stars n’est pas rose et quelques scènes émouvantes peuvent tirer une larme au joueur.
Par ailleurs, il faut reconnaître que le scénario se déroule sans accroc particulier. Le joueur est balancé aux quatre coins du monde sans forcément demander son reste. Il n’y a pas spécialement de temps mort, même si certains joueurs peuvent pointer du doigt certaines séquences un peu trop verbeuses. Rassurez-vous, ce n’est rien de choquant pour un jeu de ce style d’autant que certaines séquences animées viennent parfois prendre la place de texte. De superbes réalisations, qui rappellent sans nul doute celles intégrées au remaster de Chrono Trigger sur PlayStation.
En résumé, Sea of Stars arrive à reproduire en son temps une histoire presque aussi touchante que celle de Chrono Trigger. Elle est superbement rythmée et surtout arrive à garder le joueur captif. C’est grâce donc à l’écriture de ses personnages, tout étant aussi vivants les uns que les autres, que l’on s’y accroche. D’autant qu’à la fin du jeu, il est possible de s’intéresser à chacun des personnages importants grâce à leurs quêtes secondaires. On regrettera juste l’absence de nombreuses fins comme l’avait fait son modèle il y a presque 30 ans, mais c’est peut-être nous qui en attendions trop en connaissant l’envie de Sabotage Studio de surprendre les joueurs.
Des combats engageants et variés mais tirés vers le bas
On l’a dit, l’histoire est superbement rythmée. C’est aussi grâce au travail de Sabotage sur l’exploration que l’on a le sentiment d’être toujours actif. Il y a des murs à escalader, des énigmes à résoudre, des plantes à récupérer pour la cuisine… D’un point A à un point B, le joueur est toujours impliqué dans son environnement. Cela a le mérite de rendre le voyage bien plus palpitant que s’il fallait seulement orienter son joystick dans tel ou tel sens. Pour continuer dans cette idée-là, les casse-tête sont rarement hors de portée (il peut arriver d’être coincé, mais rarement longtemps pour que ça en devienne désagréable) et ralentissent agréablement le voyage.
Un périple pour détruire le Fleshmancer qui orbite autour donc de l’exploration, de personnages riches mais aussi de combats. Sea of Stars mélange ce qui a fait le succès de ceux de Chrono Trigger et de ceux de Super Mario RPG : des affrontements instantanés (il n’y a pas de chargement) où le timing et la position ont une place importante. Chaque ennemi dispose de verrous à faire sauter pour l’empêcher d’attaquer. Ces verrous peuvent être de différents types : armes contondantes ou tranchantes, magie lunaire, corrosive ou solaire… Chaque combat représente en soi une petite énigme pour faire sauter les verrous de l’ennemi avant qu’il passe à l’offensive.
Le timing est d’autant plus important que Sea of Stars engage le joueur à appuyer au bon moment. S’il appuie sur A au moment de se prendre un coup ou de taper, son action aura une réussite supplémentaire. De manière identique, chaque combattant (ils sont 6 au total, mais seuls trois peuvent prendre part au combat) dispose de capacités qui lui est propre (celles de Zales sont autour du soleil par exemple) et qui engage le joueur de différentes façons. Valera dispose de la capacité Lunerang : un boomerang lunaire qu’elle envoie sur un ennemi mais qu’elle peut faire rebondir plusieurs fois si elle appuie sur A au bon moment.
C’est une façon fabuleuse d’engager le joueur sur les affrontements, surtout dans ce type de jeu. Mais c’est un peu par là que le bât blesse. Après une vingtaine d’heures de jeu, les techniques sont peu variées. Zale et Valere en ont gagné deux depuis le début de l’aventure. Il y a bien des attaques duos à réaliser : c’est lorsque deux protagonistes s’allient pour faire sauter les verrous d’une manière supplémentaire. Une attaque duo menée par Zale et Valere peut permettre d’infliger des dégâts solaires et lunaires en même temps. La variété des verrous à faire sauter à chaque affrontement n’arrive pas à combler la répétitivité de la mise en scène provoquée par les animations des attaques et capacités. C’est dommage, surtout lorsque les animations sont d’aussi bonne qualité ! Mention spéciale aux attaques ultimes qui bénéficient d’un soin particulier et que l’on a plaisir à regarder régulièrement.
Les yeux pleins d'étoiles
Parce que c’est aussi ça la force de Sabotage Studio. Déjà remarqué pour sa maîtrise du style rétro (qu’il soit 8-bits ou 16-bits) avec The Messenger, le studio québécois propose une nouvelle fois une direction artistique magistrale. Le joueur est embarqué dans un monde de couleur, extrêmement vivant. Les jeux de lumière, capitaux pour un titre qui oriente son discours à travers la Lune et le Soleil, sont omniprésents. À travers la variété des biomes, on sent que le secteur consacré à l’animation et au pixel-art s’est régalé.
Concernant tout ce qui touche à l’ouïe, Sabotage a une fois de plus réalisé un travail remarquable. L’exploration, qui rend le joueur toujours actif, se rapproche d’un titre comme Golden Sun mais c’est aussi par la musique que Sea of Stars se rapproche de ce jeu culte de la Game Boy Advance. Le sound-design rend les environnements vivants (le vent qui souffle, le craquement des marches d’un pont) et la bande-originale est pixel. Eric W. Brown (Compositeur et bruitages) a réussi à donner une âme à chaque endroit que le joueur visite. Une performance pour laquelle on doit saluer aussi Yasunori Mitsuda : il a travaillé sur les derniers jeux Xenoblade mais a surtout réalisé, avec Nobuo Uemastsu, la bande-originale de Chrono Trigger. Sea of Stars est donc un jeu qui se regarde autant qu’il s’écoute.
Conclusion
Points forts
- Une histoire touchante, rythmée avec de petites pointes d'humour bienvenues
- Un casting de personnalités haut en couleurs
- Le joueur est toujours actif
- Une direction artistique sublime
- Une bande-originale exceptionnelle
- Un hommage plus que maîtrisé aux références du genre
- Des combats toujours différents
Points faibles
- Des combats qui traînent en longueur
- Peu d'évolution de gameplay pour les personnages
- On aurait aimé voir un peu plus de mécaniques d'énigmes liées au Soleil et à la Lune
Note de la rédaction
Sea of Stars a tout de l'excellent hommage aux plus grands noms du jeu de rôle japonais des années 90. Une histoire bien rythmée, un casting de personnages auquel on s'attache vite pour leurs personnalités assumées. Il arrive à faire le même travail d'émerveillement que ses modèles, grâce à sa direction artistique à couper le souffle et sa bande-originale parfaite pour l'aventure. Si les combats sont engageants et poussent le joueur à réfléchir à chaque affrontement, ils tendent à allonger la bonne dynamique du titre. C'est surtout par le manque d'évolution de gameplay pour les personnages que les joueurs pourront trouver une certaine lassitude. Si Sea of Stars n'est donc pas autant révolutionnaire que ses maîtres spirituels en leur époque, il devrait tout de même avoir une place de choix sur une étagère de votre ludothèque en 2023. Il risque bien de s'imposer comme le jeu indépendant de l'année si Silksong reste discret voire prétendre à des prix à la concurrence bien plus féroce. Plus qu'une belle performance pour un ovni venu des années 90.