En 2019 sortait Blasphemous, un jeu vidéo indépendant marchant dans les pas de Metroid, Castlevania ou du plus récent Hollow Knight. Un titre salué pour son gameplay aux allures de chemin de croix mais aussi pour son univers. Le studio The Game Kitchen s’est inspiré (entre autres) du Moyen-Âge du sud de l’Espagne et de son Inquisition. Une période remplie de contes et légendes qui continue d’être dépeinte dans Blasphemous 2. L'Évangile de l'Inquisition espagnole prêche-t-il à nouveau la bonne parole ?
Le test de Blasphemous 2 a été effectué sur PC. Durant la vingtaine d’heures de jeu nécessaire pour récupérer l’intégralité des collectibles, aucune scorie technique n’a été observée. Une conclusion qui peut être différente sur les autres supports puisque le titre sort également sur PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series et Nintendo Switch.
En 2016, donc trois ans avant la sortie de Blasphemous 1 dans le monde, le level-designer de The Game Kitchen Enrique Colinet déclarait ceci :
Nous nous sommes demandé (en 2016) comment un jeu basé sur le folklore espagnol pourrait être perçu par des personnes extérieures à l'Espagne. Nous avons beaucoup vu cela dans les jeux japonais, les jeux chinois, les jeux réalisés en Suède ou en Norvège avec des styles vikings, alors nous nous sommes demandé comment un jeu basé sur notre folklore fonctionnerait.
Est donc né Blasphemous en 2019. Sa suite, elle, arrivera le 24 août prochain sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series et Nintendo Switch. Un deuxième épisode qui reprend le flambeau du premier pour représenter les contes et légendes andalous. Quelque chose qu'il arrive à faire à travers son histoire, son level-design, son atmosphère mais aussi ses combats.
Sommaire
- Le Miracle a ressuscité
- Tous les chemins de croix mènent à Rome
- Une dépiction de l’âge religieux espagnol dans un univers en constante évolution
- Il faut savoir (se) brûler les zèles
Le Miracle a ressuscité
Lors de sa sortie il y a quatre ans, Blasphemous se voyait déjà décrire comme la suite spirituelle de Castlevania : Symphony of the Night que l’on aurait croisé avec les Dark Souls de From Software. S’il faut remonter légèrement plus en arrière pour mettre le doigt sur les inspirations du studio espagnol The Game Kitchen, il est clair que la licence Blasphemous partage un gros point commun avec les jeux supervisés par Hidetaka Miyazaki : une histoire plus que cryptique qui se dévoile à qui le souhaite vraiment.
Soulignée comme un point négatif dans notre test du premier épisode, l’histoire floue de ce dernier doit être assimilée pour quiconque souhaite s’immerger à coup d’eau bénite dans sa suite. Ce qu’il faut garder en tête, c’est que notre mission n’est finalement pas terminée. Malgré notre victoire contre la forme finale d’Escribar dans le DLC gratuit Wounds of Eventide, le Miracle est toujours présent : une espèce de dieu crainte et admirée, qui élève ou puni selon sa volonté. Comme on va le voir plus tard, c’est le Miracle qui serait responsable de toutes les damnations subies par les habitants de Custodia, le monde dans lequel prend place Blasphemous 2.
Pénitent : personne qui confesse ses péchés. C’est une nouvelle fois sous ce pseudonyme que le joueur va, entre autres, être porteur du blasphème. Si ses péchés sont ignorés (on ignore pourquoi notre héros doit faire pénitence), il a fait vœu de silence et son sacerdoce est lui bien connu : il est chargé par Anunciada (qui se considère comme préceptrice) de repousser la Naissance du Miracle. C’est cela qui avait été teasé à la fin du DLC. Pour se faire, il doit d’abord vaincre les membres de l’Archiconfraternité. Ce n’est qu’une fois leur fragment du Regret récupéré que le Pénitent peut atteindre les sommets de la ville.
C’est à peu près tout pour l’histoire. Si l'on conçoit bien que le flou entretenu sur l’intrigue est tout à fait volontaire, il reste trop épais pour nous et ce malgré une bonne maîtrise du lore du premier opus. Néanmoins, il faut reconnaître que cela engage le joueur à se renseigner, à lire chaque description d’objets pour se faire sa propre aventure, d’autant que le jeu fait comme son grand frère : il dispose de deux fins. L’une considérée comme bonne, l’autre comme mauvaise, et il faudra réellement se creuser la tête pour afficher la fin A. Toutefois, cette intrigue s’efface pour faire briller l’un des aspects les plus importants du jeu en tant que metroidvania : l’exploration.
Tous les chemins de croix mènent à Rome
Pas de panique, Blasphemous 2 est un jeu que les amateurs du genre apprécieront même sans accorder d’importance à l’histoire. Encore une fois, le studio The Game Kitchen démontre sa maestria dans le domaine. Le level-design est un régal. On se prend vite au jeu de l’exploration, d’aller inspecter chaque pièce et de griffonner notre avancée grâce aux marqueurs que l’on peut inscrire sur notre carte. Une envie d’explorer amplifiée par les nombreux collectibles du jeu : les frères de Proximo sont de petits anges qui nous forcent à regarder en hauteur tandis que les cobijadas sont cachées dans des couloirs secrets qui ne se révèlent qu’à condition de taper dans les murs.
C’est un genre de jeu qui tire ses caractéristiques de deux licences de jeux vidéo : Metroid et Castlevania. Ce sont souvent des jeux d’action et de plates-formes dont les univers sont composés de mondes connectés entre eux. Le joueur découvre alors la map au fur et à mesure de son aventure en récupérant différentes capacités : pouvoir s’accrocher aux murs et effectuer un saut dans le vide sont des exemples que l’on peut régulièrement voir dans ce type de jeux.
Probablement dans un souci de faire mieux et plus quand dans Blasphemous premier du nom, les développeurs espagnols ont non seulement décidé de multiplier par trois les armes disponibles (on reviendra sur le gameplay plus tard dans ce test) mais surtout d’en faire des pouvoirs pour l’exploration à part entière. Par exemple, le fléau Veredicto est une arme lourde qui permet également de faire tinter des cloches. Celles-ci envoient alors des ondes permettant d’ouvrir un certain type de portes ou de faire apparaître des plate-formes. Une idée très maline qui casse à coup sûr la linéarité du titre.
Néanmoins, il est important de noter deux choses. Il y a une certaine lourdeur dans les phases de plateformes, une certaine latence qui peut frustrer les joueurs. Encore une fois, c’est ici probablement quelque chose de voulu afin de renforcer le sentiment de malaise éprouvé manette en main. Ce n’est donc pas un défaut en soi mais certains pourraient être déçus de ne pas retrouver un certain dynamisme comme celui de Hollow Knight par exemple. À ce sujet, le rythme de l’exploration de Blasphemous 2 n’atteint pas non plus celle de Hollow Knight et souffre de quelques périodes de creux. C’est ce que l’on a ressenti entre le moment où l’on a récupéré les trois armes du jeu (en un peu moins de trois heures) et l’obtention d’un nouveau pouvoir.
Une dépiction de l’âge religieux espagnol dans un univers en constante évolution
Comme dit plus haut et malgré ce léger problème de rythme, Blasphemous 2 arrive à de nombreux égards à pousser le joueur dans son exploration. Outre les collectibles cachés et les pouvoirs à récupérer déjà mentionnés, c’est surtout par son ambiance qu’il ne cesse de nous émerveiller. Les équipes du studio d'inspirent de la période de l’Inquisition espagnole, dont le siège était à Séville… au même endroit que le quartier général du studio. Une ère où la religion catholique était prédominante et a généré son lot de contes, parfait pour insuffler cette touche de malaise propre à leur licence.
À cela, ils ajoutent comme source d’inspiration le peintre espagnol Fransico de Goya : un artiste libertaire connu pour avoir dénoncé, avec ses œuvres, les actes de violence commis par le tribunal religieux. Il a, par ailleurs, réalisé une série de 14 fresques intitulée Les Peintures Noires peu avant sa mort. Un style qui a aussi influencé Kentaro Miura avec son manga Berserk, qui a, à son tour, influencé à plusieurs reprises Blasphemous (voir encart ci-dessous).
Un petit écart historique nécessaire à faire : une fois que l’on a vraiment pris conscience de tout ça, il est encore plus enivrant de se plonger dans Blasphemous 2. Encore une fois, tout fait penser au religieux : le nom des zones (Ville du Nom Béni, Chapelle des Cinq Colombes), les ennemis mais aussi (et surtout !) les rares personnages que le Pénitent va rencontrer lors de son périple. Le sculpteur d’effigies, Anunciada ou encore Lesmes, le Sacristain Corrompu. Comme vous, ils doivent tous faire pénitence de quelque chose et compte sur vous pour les aider. Au fur et à mesure que vous répondez à leur demande, leur apparence change ainsi que leur discours. De quoi, une fois de plus, motiver l’exploration et savoir ce que le Miracle leur réserve une fois leur pénitence accomplie.
Mais tout n’est pas si simple que ces lignes le font paraître. Une fois l’aventure terminée, il est probable qu’il vous reste quelques objets sur les bras dont vous ignorez totalement quoi faire. Il y a alors une chance non-négligeable pour que vous ayez loupé votre tour, de sorte que l’interaction avec ces dits objets n’existe plus. On regrette alors sincèrement la présence d’une nouvelle partie + (ou NG+). En effet, pour éprouver ses théories, il faut alors simplement recommencer une partie. Quelque chose qui devrait prendre moins de temps de par l’expérience acquise mais qui peut être considéré comme rébarbatif pour certains.
En résumé, on sent que la direction artistique est plus que maîtrisée et fait parfaitement son office en provoquant malaise et macabre dans un univers religieux.
Si elle saute moins aux oreilles que les visuels aux yeux, la bande-originale discrète s’efface probablement pour laisser place à la contemplation. Elle reste similaire au premier et évoque, encore une fois, le Moyen-Âge espagnol avec le flamenco. Et de manière amusante, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Hadès ou à Dead Cells lors de certains passages musicaux. De quoi surfer sur deux titres qui ont pas mal en commun avec Blasphemous 2, surtout en ce qui concerne l’exigence du gameplay.
Comme mentionné précédemment, The Game Kitchen a glissé plusieurs clins d’œil à Kentaro Miura et son manga Berserk. En voici quelques exemples.
- Le studio espagnol s’est également inspiré de Goya pour son jeu.
- Comme dans le premier, le signe qui apparaît lors de la mort du protagoniste ou d’un ennemi se rapproche de celui porté par Casca et Guts
- Il y a même un succès intitulé Toujours parmi nous qui demande au joueur de trouver ces dites marques
- L’histoire générale de la licence Blasphemous rappelle celle de Berserk. Elle tente de dépeindre le catholicisme radical du Moyen-Âge Européen, un peu à l’instar de Miura dans l’arc narratif ‘’L’ère des châtiments avec l’Inquisiteur Mozgus. Les deux suggèrent que c’est l’Humanité elle-même qui est responsable du mal qui les inflige.
- Certains ennemis sont tout droit sortis de Berserk, comme cet amalgame de béhérit.
Il faut savoir (se) brûler les zèles
L’exploration et l’intrigue abordées, il reste toutefois un gros morceau à aborder : celui de gameplay. Ce dernier reste très similaire à celui de son frère aîné à la différence près que le joueur peut choisir entre trois armes (soit trois styles) au début : deux fleurets pour de la rapidité, une lame équilibrée ainsi qu’un fléau pour ceux privilégiant les attaques lourdes. Se déroule alors le tutoriel qui explique les bases : il y a une attaque principale, un système de parade et la possibilité de glisser sous les ennemis ou de leur sauter par dessus. Ce sont les trois choses à appréhender en début de partie. La prise en main est rapide et naturelle et l’on se retrouve vite à devoir taper du monstre, que dis-je, du boss.
Ce premier obstacle passé, le jeu met alors le joueur sur la route d’un verset : un sort de magie rapide, en opposition aux prières qui demandent plus de temps d’incantation. Les deux consomment de la ferveur, le nom donné à la barre bleue. Il en existe quatre : feu, mystique, miasme, foudre.
Quelque chose que l’on peut rapidement prendre en compte pour personnaliser son style de jeu, notamment via l’arbre de talents de chaque arme. Chacune d’elles est liée à un type en particulier (la lame au mystique et les épées à la foudre). Chaque arbre est divisé en trois paliers, paliers que l’on débloque grâce à des statues découvertes lors de notre exploration. Ce sont les points de martyrs (à acheter grâce à la monnaie du jeu ou à récupérer également lors de l’exploration) qui permettent de débloquer de nouvelles compétences. Elles peuvent être simplement passives (plus de dégâts) voire changer le style de jeu en rajoutant un coup à l’enchaînement.
Une personnalisation qui ne s’arrête pas là puisque deux autres aspects sont à prendre en compte. Le Pénitent croise vite la route du sculpteur. Il lui permet d’avoir un étable à effigies : des représentations sculptées liées au folklore du jeu qui octroient des bonus supplémentaires (dégâts mystiques augmentés, plus grande fenêtre pour parer les attaques ennemies). Le système de rosaires fait aussi son retour avec des charmes à équiper permettant majoritairement de réduire certains types de dégâts.
Que ce soit les prières, les points de martyres, les larmes d’expiation (la monnaie principale du jeu), les rosaires ou encore les effigies, tout s’obtient en majorité grâce à l’exploration et la réalisation de quêtes. Il y a donc une source de motivation supplémentaire de passer au peigne fin l’intégralité de la carte.
Mais comme on vous le fait sentir de manière répétée à travers l’intégralité de Blasphemous 2, le périple est un chemin de croix et la mort vous guette à chaque coin de chapelle. Le joueur peut alors compter sur ses flasques de bile, principale source de soin, s’il prend des dégâts. Des potions qui se rechargent à chaque fois notre Pénitent s’agenouille devant un prie-dieux. Un meuble bien utile qui permet de sauvegarder, recharger les batteries… et faire réapparaître tous les individus zélés qui veulent votre mort. Vous n’échapperez pas éternellement à cette dernière. Celle-ci a pour conséquence de vous faire réapparaître au dernier prie-dieu devant lequel vous vous êtes agenouillés mais surtout de vous tirer un fragment de culpabilité : de quoi limiter votre ferveur. Un péché qu’il faudra expier en allant voir le confesseur ou récupérer à l’endroit même de votre décès.
Conclusion
Points forts
- Une maîtrise absolue de l'ambiance par son char-design et ses biomes
- Un level-design classique mais très efficace
- Une durée de vie parfaite
- L'exploration poussée à fond, très dynamique
- Une personnalisation plus riche que dans le premier épisode
Points faibles
- Un petit problème de rythme dans l'obtention des pouvoirs
- L'absence d'un NG+
- Une histoire encore trop murmurée
- Un poil timide pour une suite
- Un bestiaire peu varié et proche du premier
Note de la rédaction
The Game Kitchen arrive à faire très bien en conjugant jeux vidéo et folklore andalou. Il démontre à nouveau sa maîtrise du metroidvania avec Blasphemous 2 en poussant plus la formule du premier épisode : trois armes directement intégrées au gameplay, une ambiance toujours aussi lugubre et des combats gratifiants loin d'être insolubles. Toutefois, ceux n'ayant pas accroché au premier épisode ne risquent pas d'être convertis tant l'évolution reste trop timide selon nous. Et si l'on satisfait notre soif d’exploration, celle de compréhension n'est jamais vraiment assouvie. C'est dommage pour une licence qui se veut être l'apôtre de cette période historique du sud de l'Espagne, d'autant qu'elle arrive avec brio à nous y plonger.