Non, les jeux en coopération de ce style ne sont pas la chasse gardée d’Electronic Arts et de ses studios partenaires qui ont donné vie à des titres comme Unravel, A Way Out ou encore It Takes Two, sacré jeu de l’année 2021. Dans un petit coin de l'Hexagone, une équipe nantaise, prénommée Casus Ludi et spécialisée dans les expériences interactives et ludiques, a voulu démontrer le savoir-faire à la française en créant une aventure émouvante portée par un duo que tout oppose : un louveteau et un faon. Depuis ses prémices, ce projet ébauché lors d’une Game Jam à Québec en avril 2018 a bien évolué : presque cinq ans plus tard, il est temps… de suivre la piste.
Dans le cadre de cet article, nous avons eu l’opportunité de tester Blanc sur Nintendo Switch à l'aide d'un code fourni par l’éditeur. Le test a été réalisé à la fois en solo et en mode portable, ainsi qu’en mode docké et en coopération. De plus, les remarques techniques ne s’appliquent qu’à la version console testée, et non à la version PC (disponible via Steam et l’Epic Games Store).
Sommaire
- Blanc, ce n’est pas de la poudre(use) aux yeux
- Le contraste de Blanc nous fait voir la vie en rose
- Une aventure pas tout à fait blanche comme neige
Blanc, ce n’est pas de la poudre(use) aux yeux
Sans crier gare, c’est lors d’un Nintendo Direct Mini : Partner Showcase que Blanc a pointé le bout de son museau. Entre l’annonce d’un jeu Pac-Man et le retour de Guybrush Threepwood, il se devait de faire sa place, chose qu’il a brillamment réussi grâce à sa direction artistique unique. Une fois la manette équipée, le plaisir d’observer les décors faits à la main de Blanc, ensuite transposés en 3D, n’en est que plus envoûtant. Graphiquement, Blanc est une aventure cohérente. À l’image de son adorable duo que tout oppose de prime abord, ce jeu de différence se retrouve un peu partout : les environnements en noir et blanc, les décors où le bois et la pierre se répondent sous une tonne de neige, … L’hiver vous manquait ? Vous allez être servis ! Dans ce monde qui semble revenu à l’état sauvage après une tempête que l’on imagine des plus violentes, on progresse d’un élément à l'autre, grimpant sur des murets enneigés, se hissant sur des caisses recouvertes d’un blanc manteau et avançant à pas de loup sur des tuyaux où s’amassent les flocons. Bref, on est totalement dépaysé par cet exploit graphique, quand bien même les décors ne sont pas forcément des plus variés durant cette courte aventure (nous y reviendrons).
En l’espace de quelques heures, Blanc nous immerge dans son univers. Pour cela, le studio Casus Ludi a eu le souci du détail, notamment en nous permettant de modifier les aides en jeu à l’aide de plusieurs options (toutes, réduites, minimaliste, mode photo). Bien évidemment, les efforts ne s’arrêtent pas là puisque le titre est dénué de dialogue ce qui implique, pour construire son univers, de se reposer sur la narration environnementale. Ainsi, c’est le décor qui étoffe le récit et sert de fil rouge, plus précisément les traces de pas des familles de nos héros que la neige a daigné préserver. Sur ce même chemin neigeux, on peut être les témoins de ce soin apporté à la direction artistique. Les amas de flocons se soulèvent au rythme des pas, le souffle du vent est représenté par des traits plus épais et ondoyants, … Les sonorités, elles aussi, jouent un rôle dans l’aspect immersif de Blanc. Entre deux énigmes, on apprécie le son de la poudreuse dans laquelle notre duo s'enfonce, ainsi que le bruit des pattes et des sabots sur les différentes surfaces. Pourtant à son premier coup d’essai vidéoludique, le studio Casus Ludi réussit une jolie prouesse qui nous offre parfois de vrais moments contemplatifs et de petites respirations dans des zones plus ouvertes — c’est peut-être là les moments où Blanc nous fait le plus voyager, et il y a même un peu de la poésie de Journey là-dedans —, sublimés par de douces notes de piano et une belle gestion de la musique.
Le contraste de Blanc nous fait voir la vie en rose
Dès sa présentation lors de l’événement Nintendo, on a de suite compris que Blanc allait se servir de son univers poétique pour nous offrir une expérience en coopération touchante. Enfin, nos deux héros, un louveteau et un faon, sont un peu comme chien et chat au début du récit : ils s’extirpent tous les deux d’une montagne de neige, soulevée par une tempête, et tentent de rattraper les leurs. Mais ce n’est pas si simple ! Blanc est un jeu sur la différence, qui éloigne autant qu’elle rapproche, et, forcément, il y a une petite animosité qui règne entre les deux durant les premiers instants. En progressant à travers une petite poignée de tableaux, guidés par leur odorat, nos deux héros vont vite comprendre qu’ils ont un but en commun et qu’ils vont devoir mettre leurs différends de côté, notamment parce qu’ils ne pourront pas avancer l’un sans l’autre. À l’aide de sa mâchoire, notre jeune loup peut tirer des objets. Le faon, lui, peut utiliser sa plus grande taille pour pousser des éléments de décor et même servir de tremplin. Blanc joue donc intelligemment sur la différence de taille et la complémentarité de son duo pour résoudre les énigmes et accroît, au fil de l’aventure, les mécaniques de gameplay pour mieux illustrer la complicité et l'amitié naissantes entre les deux animaux. Ce n’est pas grand chose en soi, et c’est normal puisqu’on ne leur demande pas de réaliser des exploits animaliers à même de figurer dans les documentaires National Geographic. Blanc cherche l’émouvant, et non le spectaculaire. Le rare souci autour de ce duo, c'est que l'on nous vend une entente quasi-fraternelle sans qu'on ne puisse l'exprimer avec de plus amples interactions.
Tout au long de ce destin autant croisé que parallèle — leurs familles tentent de survivre dans un monde à la fois glacial et désert —, les deux amis feront également diverses rencontres qui mèneront à de nouvelles formes d’énigmes et à de belles surprises, rendant le récit émouvant, à défaut d’être totalement poignant, et réflexif. Sans dire un seul mot sur la conclusion de cette aventure, attendrissante de bout en bout, on aurait aimé vivre quelque chose de plus percutant. Ce n’est pas faute d’essayer : il y a certes de petits moments de tension et des étapes difficiles, mais ceux-ci ne nous ont pas pleinement convaincus. En matière de jouabilité en solo, comme le tendre duo de Blanc, on tâtonne, un peu perdu au départ, mais l’on finit par prendre confiance, motivé par cette récompense réconfortante qui nous attend au bout du chemin. Dans Blanc, il y a plusieurs façons de jouer qui s’offrent à nous : en solo avec une seule manette (les parties gauche et droite de la manette sont assignées à un animal), en coopération en local, avec une manette ou un Joy-Con chacun — les commandes se limitent à l’utilisation de deux boutons et du stick —, et en ligne. Forcément, comme on s’y attendait, après avoir testé l’aventure en solo et en duo, le plaisir offert par cette production de Casus Ludi est décuplé à partir du moment où l’on vit l’histoire à deux, chacun dans la peau de l’animal de son choix.
Une aventure pas tout à fait blanche comme neige
Comme on vient de le dire ci-dessus, Blanc, bien qu'un peu trop scolaire dans son approche, est avant tout une expérience à partager, ce qui lui permet d’être plus marquant car le jeu se traverse vite, peut-être même un peu trop. En coopération, et pour celles et ceux qui sont rusés comme des renards, le jeu devrait vous occuper le temps d’une petite soirée puisque vous devriez finir les dix chapitres en l’espace de deux, voire trois heures. Seul, comptez entre trois et quatre heures pour apercevoir les crédits de fin. Effectivement, ça passe très vite et le souci, c’est que cela laisse peu de temps pour développer le côté dramatique de l’œuvre et notre attachement complet à ces deux frêles héros. Du côté des énigmes, cela manque parfois d’un peu de clarté — le noir et blanc flatte la rétine, mais il n’est pas toujours évident de s’y retrouver — et la manière d’appréhender les puzzles semble quelque peu confuse à certains moments. Surtout, on aurait aimé plus de profondeur pour davantage se creuser les méninges, cela aurait d’ailleurs conféré plus de poids et plus d’impact à l’épopée du louveteau et du faon. Au final, on se retrouve avec un cheminement classique — un poil scolaire, comme l’a dit précédemment — et des énigmes relativement simples, parfois plombées par de petits bugs qui empêchent leur résolution.
Sur l’histoire donc, il y a peu de reproches à faire car c’est sur l’aspect technique que le bât blesse pour Blanc. Seul aux commandes, la maniabilité n’est pas des plus confortables si tant est que notre duo échange de côté et que vous souhaitez les contrôler en même temps. À cela s’ajoute de petits inconforts de lisibilité et de déplacements liés à l’absence de contrôle de la caméra. D’ailleurs, il nous est arrivé d’avoir le droit à quelques placements hasardeux de celle-ci, ce qui n’aide pas forcément à profiter de certains paysages. En mode portable, Blanc tient plutôt bien la route et, malgré quelques chutes de framerate lors des portions plus dynamiques de l’aventure — elles sont un peu moins présentes quand la console est placée dans son dock —, les performances font honneur à la production de Casus Ludi. Enfin, l'une des rares petites ombres que l'on peut encore souligner à propos de ce magnifique tableau peint par Blanc, c’est la présence de textures parfois peu esthétiques et de clipping. Quoi qu’il en soit, pour une première expérience, c’est un pari des plus réussis !
Conclusion
Points forts
- Une direction artistique éblouissante
- Un vrai plaisir en coopération...
- Une histoire émouvante...
- Un duo attachant et complémentaire...
- Un joli travail sur le sound design et la musique
Points faibles
- Des énigmes un peu trop classiques
- ... qu'on aurait aimé vivre plus longtemps
- ... mais pas assez percutante
- ... aux interactions assez réduites
- De petits soucis techniques sur Switch
Note de la rédaction
Non, Blanc ne va pas broyer du noir. Après cette prise en main, le soft Casus Ludi nous a confirmé qu’il avait plus que ses beaux atours à faire valoir, et l’aventure de ces deux adorables quadrupèdes nous le prouve bien. Certes, le titre n’a pas esquivé toutes les embûches qui se dressaient sur son passage mais l’émotion est là, et c’est ce qu’il nous promettait initialement. Au lieu de s’essouffler sur la durée, Blanc a fait donc le choix d’une aventure brève qui se consomme en une soirée, ce qui pourra en décevoir certains. Au final, c’est un mal pour un bien qui permet à Blanc d’être raccord avec ce qu’il est : une petite et jolie fable qu’on n’oubliera pas de sitôt.