Adaptation libre de l'œuvre du maître du suspense, Alfred Hitchcock : Vertigo est la dernière proposition des créateurs aguerris de Pendulo Studios. Cette deuxième aventure éditée par Microids s’engage dans la tumultueuse spirale de mystère propre au thriller psychologique.
Runaway, The Next BIG Thing : ces deux étendards du point’n click 2D (comprenez jeu d'aventure avec pointeur) ont une signature distinguable : un humour d’exception dans un délicieux univers cartoonesque ; soit l’essence des productions de Pendulo Studios jusqu’au début des années 2010. Désormais engagés sur la route du jeu narratif 3D, les Espagnols se réinventent depuis 2019 dans le terreau fertile des adaptations de licences cultes sous la houlette de Microids. D’abord avec Blacksad : Under the Skin, récit inédit et partiellement apprécié du chat détective. Pour son deuxième essai, l’équipe s’attaque à l’adaptation très libre d’un monument historique : Sueurs Froides, aussi appelé Vertigo ; thriller encensé d’Alfred Hitchcock sorti en 1958 et porté par James Stewart et Kim Novak. Ed Miller, comme Scottie le héros du film, est victime de sérieux vertiges. Acculé dans une lutte pour reconstituer ses souvenirs perdus, il s’engage dans un périple psychologique teinté d’autres inspirations : La Maison du docteur Edwardes, Rebecca, ou même encore Psychose.
Psychose
Archétype de l’écrivain charismatique sujet au si récurrent syndrôme de la page blanche, Ed Miller est le moteur de l’aventure. Rescapé de la chute de sa voiture dans le canyon de Brody en Californie, il assure à qui veut l’entendre qu’il voyageait avec sa femme et sa fille le jour de l’accident. Mais personne n’a jamais été retrouvé dans l’épave du véhicule. Sujet à d’importants vertiges depuis la tragédie, Ed va devoir sonder ses souvenirs afin de rétablir la vérité. Une étape épaulée par une psychologue, Dr Lomas, deuxième personnage jouable de ce mystère interactif troublant. Le troisième étant un détective aguerri lancé dans une enquête parallèle. Pendulo nous greffe à une palette de points de vue sans laquelle l'aventure se serait peut-être montré trop pénible. Les périples de nos trois têtes pensantes alimentent habilement les thématiques du thriller psychologique : la confusion, le sens de la réalité, un protagoniste peu fiable et des rebondissements à foison. La vérité étant le MacGuffin (voir définition ci-dessous) de notre aventure. S’en détachent dès lors une trame plutôt bien construite, des protagonistes cohérents et un suspense constant.
- MacGuffin : concept du maitre, Hitchcock lui-même, consistant à donner un prétexte au développement du scénario
Une bande originale terriblement efficace drape une mise en scène somme toute classique. La musique est signée Juan Miguel Martin, artiste fidèle de Pendulo Studios qui s’est inspiré des mélodies de Bernard Herrmann, compositeur de Vertigo, La Mort aux trousses, Psychose et Les Oiseaux. L’hommage est dignement rendu. Le travail sonore, qui intègre également de très bonnes voix françaises, alimente une atmosphère sous tension dont l'esthétique très cartoonesque aurait pu faire défaut. Aussi sur le plan purement photographique, Vertigo n’est pas désagréable. Mais les animations rigides, la forte désynchronisation labiale ou simplement les bugs d’affichage ternissent abusivement le spectacle. De même que les écrans de chargement qui parasitent le récit à une fréquence bien trop excessive.
Le passé ne meurt jamais
Dans la veine des productions Quantic Dream et Dontnod, Alfred Hitchcock : Vertigo fait le pari d’une expérience hautement narrative et linéaire. Un schéma sélectionné au péril d’interactions qui peuvent paraître trop minimalistes. Le jeu vous sollicitera pour explorer des espaces fermés, observer des éléments, réaliser des tâches rudimentaires ; des manipulations si sommaires qu’elles s’oublient presque et s'exécutent machinalement. On comprend que cette dimension très passive sert un récit à un seul embranchement qui préfère conserver sa cohérence en tout point. Vous avez aussi à effectuer une poignée de choix, lesquels n’auront que trop peu d'incidence sur le cours des événements. Le Dr. Lomas notamment, trie à deux reprises les notes récoltées lors de ses sessions de thérapie avec Ed pour que vous en tiriez des conclusions finalement assez hasardeuses.
Soutien expert de l’investigation psychologique, Dr. Lomas offre surtout la possibilité de replonger dans les souvenirs d’Ed afin de les analyser. Vous voilà alors forcés d'explorer des scènes déjà vécues qui révéleront de nouvelles vérités. Une façon intéressante de jouer avec les réalités, au détriment d’une dimension ludique très limitée et d’un rythme qui en pâtit. Au long d’une bonne durée de vie d’une petite dizaine d’heures, le fil rouge se tisse mollement, handicapé par des déplacements et des interactions tout aussi lents. Et puis, l’absence de chapitres comme marqueurs de l’histoire appuie la nécessité de cadencer davantage le déroulé de l’intrigue. Il faut dès lors se montrer suffisamment endurant pour découvrir les couches d’un mystère qui heureusement, conserve jusqu’à la fin plusieurs belles zones d’ombre.
Conclusion
Points forts
- Un suspense quasi constant pour une trame bien construite
- Des personnages cohérents
- Une excellente bande son
Points faibles
- Des animations extrêmement rigides
- Une technique très boiteuse
- Un rythme problématique
Note de la rédaction
Alfred Hitchcock: Vertigo est un thriller intrigant à défaut d’être haletant. Son fil rouge se tisse au fil de mystères que l’on a à cœur de dévoiler. Mais il pâtit d’un rythme si lent qu’il peut en devenir pesant. Le spectacle s’apprécie aussi en demi-teinte ; Pendulo Studios met au point une atmosphère sonore concluante au détriment d’animations et d’une technique particulièrement boiteuses.