Dans Sherlock Holmes : Chapter One, le célèbre détective anglais mène pour la première fois l’enquête en monde ouvert. Cet épisode inédit se montre t-il à la hauteur des nouvelles ambitions de Frogwares ?
Toujours entre les mains des créatifs du studio Frogwares (Sherlock Holmes, The Sinking City), Sherlock Holmes s’émancipe de la formule portée par la dernière trilogie pour revenir à ses jeunes années. Sobrement baptisé Chapter One, l’épisode dépose les valises du détective britannique sur l’île de son enfance ; Cordona, gangrenée par la corruption, a été le théâtre de la mort mystérieuse de sa mère. En cherchant à refermer de vieilles blessures familiales, notre héros va également se heurter à quelques grandes affaires criminelles.
Enquête en monde ouvert
Préquelle ancrée fin des années 1880, Chapter One nous présente à un vingtenaire acerbe et encore naïf ; Sherlock Holmes apparaît ici tout aussi antipathique envers ses semblables qu’attaché à l’idée qu’il se fait d’une justice impartiale pour tous. Son acolyte n’est pas encore Watson, mais il s’agit d’un autre John, un brin plus dandy et sarcastique. Si ce dernier ne se montre jamais guère particulièrement aidant, le duo entretient une relation progressivement utile à l’intrigue qui se développe doucement. John sert principalement d'oreille attentive aux complaintes de Holmes, lui permettant de dévoiler les couches de sa personnalité. Et notons par ailleurs que leur doublage anglais est une franche réussite.
Pour la première fois, l’enquête est menée en monde ouvert, lequel profite d’une généreuse étendue. Un système de voyage rapide, soit un pousse-pousse garé çà et là, vous offre la possibilité de la traverser confortablement. Au mépris d’un manque de finesse, les décors jouissent de jolies compositions, des bourgades modestes de la vieille ville aux vues imprenables des balcons de l’occupation bourgeoise. Les développeurs expliqueront avoir pris pour inspiration Grèce sous domination ottomane, Gibraltar ou encore Malte. Havre méditerranéen, Cordona est façonné par le colonialisme britannique et le séparatisme que ce dernier impose ; à chaque grand quartier sa classe sociale associée. L’ensemble constitue une ballade tout à fait agréable comblée d’un cachet évident. Et si les ruelles étroites abondent, elles profitent toujours de belles ouvertures ; assez pour ne jamais se sentir coincé entre quatre murs. La traversée de Cordona est drapée d'une ambiance sonore qui s'inscrit parfaitement dans l'ambiance des lieux. Frogwares sert globalement une proposition très honnête sur le plan esthétique, surtout sublimée par une poignée de cinématiques aux très belles mises en scène.
Quelques désavantages à cet univers fictif : ses bâtisses trop souvent impénétrables, la démarche mécanisée de ses habitants et leur tendance à répéter inlassablement les mêmes lignes de dialogue. Ajoutons aux défauts de l’exploration de trop fréquentes chutes de framerate rencontrées sur PlayStation 5 ainsi que du clipping. Notez toutefois que lors du test du jeu, l’équipe de développement indiquait encore plancher sur quelques finitions techniques incluant une correction du comportement de la foule et une optimisation des performances.
Sur la piste des origines de Sherlock Holmes
En tout, l'aventure peut être bouclée en une quinzaine d’heures si vous la traversez en ligne droite. Mais la trentaine d’histoires secondaires disponibles doublent la mise ; et si certaines sont anecdotiques, d’autres en revanche se montrent étonnamment consistantes. Appelé sur une scène de crime, Sherlock s’attelle naturellement à l'examen des premiers indices, bien souvent déjà numérotés par la police scientifique ; une étape cruciale avant d'œuvrer à la reconstitution. Les traces plus discrètes peuvent être révélées via le mode Concentration. En l’activant, un cercle blanc tracé indique un point d’intérêt. Celui-ci permet aussi d’un simple regard de profiler les passants en affichant quelques-uns de leurs attributs et motivations personnels ; une faculté toutefois peu exploitée. Toutes vos observations importantes sont ensuite répertoriées dans votre carnet d’affaires. Ainsi certaines preuves peuvent être épinglées et faire l’objet de recherches approfondies dans les archives locales, de conversations avec les témoins, voire d’analyses chimiques. La palette de possibilités est tout à fait honnête. Mais à terme, l’ensemble de ces manipulations s’avère rébarbatif tant le processus reste sensiblement le même. Les investigations empruntent presque toujours le même schéma d’action. Notons que ces dernières s’apprivoisent d’ailleurs difficilement en début de partie, le menu comme les systèmes d’analyses manquant un peu d’ergonomie.
Pour pallier un cheminement trop classique, Frogwares a tout de même eu la bonne idée de le saupoudrer de quelques rafraîchissements. Citons notamment les quelques défis bon enfant proposés par John en cours d'enquête, facultatifs mais bienvenus. Le studio mise également sur quelques phases d’action ; Holmes, pris d’assaut mais heureusement toujours équipé de son élégante arme à feu, doit user de son environnement pour étourdir ses adversaires sans leur ôter la vie. Si notre protagoniste se montre certes plutôt rigide quand il est question de gunfight, la proposition est plutôt acceptable ; d’autant qu’elle sait se montrer occasionnelle. Libre à vous néanmoins de faire irruption au sein des gangs de brigands qui agrémentent la map contre quelques pièces. Isolée, l’activité se montre toutefois très limitée.
Le vrai du faux
Cinq grandes affaires bâtissent le périple principal de notre héros à Cordona tandis qu’il tente d’éclairer les zones d’ombres qui perturbent la mort de sa mère. L’ensemble constitue un fil hétérogène dont la seconde partie semble être la plus consistante. Ainsi le récit qui manque de mordant lors de ses premières heures se bonifie dans une investigation plus sombre et plus propre au dilemme pour un final touchant. Holmes doit imposer sa justice au gré de décisions plus ardues de la part du joueur. Les animations excessivement rigides des personnages ne vous aideront pas à déceler la vérité dans leur regard comme avait pu le proposer L.A. Noire dix ans plus tôt. Par des détails physiques, il s’agit de dépeindre le portrait le plus approprié à la personne ; les marques rouges sur le nez de cet individu sont-elles le signe d’une maladie ou d’un parfait ivrogne ? de fond en comble l’exercice est toujours très distrayant.
Le pinacle de l’enquête réside dans la désignation du coupable. Vos indices sont à connecter dans le palais mental de Sherlock, lieu privilégié de vos enquêtes où chaque connivence créée procure une grande satisfaction. Et les accusations que vous avez à faire peser passent progressivement par de plus longues hésitations. Mais la justesse de vos verdicts reste trop peu évaluée : si le journal local du kiosque résume volontiers les conséquences votre dernière affaire close, il semble difficile de savoir si toutes vos décisions étaient réellement les bonnes. Il faut d'abord se contenter des statistiques disponibles en menu qui affichent votre score d’affaires élucidées.
Points forts
- Le palais mental et les déductions, cœur de l'aventure
- De jolies compositions de décors
- Des cinématiques séduisantes
- Une jolie conclusion
- Une belle étendue à explorer
- Un excellent doublage (sous-titré en français)
- Une durée de vie solide
Points faibles
- De nombreux ralentissements pendant l'exploration
- Une gestion de la foule pas franchement convaincante
- Un schéma d'enquête trop rébarbatif
- Un manque de recul sur les verdicts
Note de la rédaction
Pour son ambitieux préquel, Frogwares a misé sur un monde ouvert qui jouit d'une étendue plutôt généreuse pour une belle palette d’enquêtes. Celles-ci confèrent par ailleurs au jeu une durée de vie très solide. La proposition se montre en revanche difficilement à la hauteur sur le plan technique, ralentissements, animations rigides et clipping à l’appui. Plus engageant dans sa seconde partie, Sherlock Holmes : Chapter One offre un dynamisme progressif et une conclusion louable. Le cœur de l’aventure réside dans ses indices à connecter et les accusations à mener, lesquelles succèdent à un schéma d’enquête qui s'essouffle toutefois beaucoup trop.