En découvrant ses premières images, on aurait pu croire à une nouvelle production d'animation signée Tim Burton. Hautement inspiré, Lost in Random est en réalité le nouveau jeu d'action-aventure du studio Zoink qui rejoint le label EA Originals. Un titre disponible ce 10 septembre sur toutes les plateformes.
Les Noces funèbres de Tim Burton, l’échiquier d’Harry Potter à l’école des sorciers, le titre American McGee's Alice… les références pleuvent pour dépeindre l’univers de Lost in Random. C’est plus précisément à partir d’une œuvre de l'artiste australien Shaun Tan qui illustre une jeune fille et son dé géant que l’idée du jeu naît réellement. Après l’onirique puzzle-game Fe, la deuxième collaboration entre EA et les Suédois de Zoink prend le chemin de l’action-aventure ; un genre campé dans un somptueux conte sombre pour tous les âges.
Les six merveilles d’Aléa
Hommage à l’animation en volume, Lost in Random reproduit les formes et les couleurs de ce qui nous rappelle l'âge d’or de Burton. Tantôt lugubres puis bariolés, les recoins du royaume d’Aléa se dessinent sous notre regard amouraché. La visite s’effectue au gré des mélodies enivrantes de Blake Robinson (Terraria, The Stanley Parable), lesquelles viennent rappeler non sans plaisir celles de Danny Elfman (L'Étrange Noël de monsieur Jack). L’ambiance absolument enchanteresse est vite installée ; et elle est agrémentée de la voix graveleuse d’un narrateur venu nous ouvrir la voie sur les six bourgades d’une dictature menée par une reine et son dé noir : le décrépit Unibourg, l’étrange Doubleville, le chaotique Troyaume, le chic Quartebourg, l’obscur Quintopolis, puis la parfaite Sixtopie. Chacune est gouvernée par ses propres règles et coutumes. À l’âge de douze ans, un simple lancer de dé détermine dans laquelle les enfants d’Aléa termineront leurs jours.
Notre périple débute lorsque notre héroïne Paire, jeune enfant d’Unibourg, est séparée de force de sa sœur adorée Impaire ; celle-ci est brutalement embarquée pour Sixtopie afin de vivre aux côtés de la souveraine. Notre intrépide aventurière s’engage alors dans une dangereuse expédition pour gravir les faces du royaume et retrouver sa moitié. Elle s’épaule de Décisse, un petit dé croquignolet, triste oublié d’une guerre qui a mis fin à l’existence de ses homologues. De long en large, Lost in Random s'avère être un véritable bijou de narration, délicatement construit au sein d’un lore et d’un univers qui ne finissent pas de s’étoffer. Accessoires créés pour la rejouabilité, les pages d’un conte interdit récoltées çà et là vous raconteront également les bribes d’un monde autrefois prospère.
Les habitants, eux aussi, ont tant à raconter ; des silhouettes atypiques d'Eriam, le maire maléfique de la "Ville à l’envers" de Doubleville, à Voiloin, charmante créature à trois yeux qui nous assiste plus d'une fois. À regret, les visages des autres locaux plus secondaires se ressemblent trop souvent, la palette des modèles semblant drôlement limitée. On apprécie en revanche le travail de doublage mené sur chacun d’entre eux. Les voix leur accordent de la personnalité, au détriment d’une synchronisation labiale trop approximative qui leur fait défaut. Les habitants ont leurs propres anecdotes à raconter, aiguillées par nos options de dialogue alternatives. Leurs textes sont écrits par Ryan North, auteur de The Unbeatable Squirrel Girl de Marvel Comics et d'''Adventure Time'', qui leur confèrent un ton léger, parfois drôle et attendrissant, parfois plus tranchant. Certains ont des quêtes et missions alternatives à vous proposer, argent et collectibles à la clé. Il s’agira, la plupart du temps, de retrouver des objets convoités, ou de faire passer un message à un proche. Au cours de votre voyage estimé à 10 heures de jeu environ, ''Lost in Random'' fourmille de choses à raconter et à découvrir. Attention à ne pas vous perdre, car certaines ruelles peuvent se ressembler. Et si la carte est jolie, elle n'est, à l’image du reste du menu, pas forcément intuitive. Ajoutons à la liste des défauts qui accompagnent votre visite une caméra parfois capricieuse et des déplacements occasionnellement laborieux.
Un dé pour les gouverner
L’univers de Lost in Random profitant d’une cohérence presque impeccable, son scénario se marie parfaitement à ses mécaniques, notamment liées à votre fidèle Décisse et à d’autres éléments tirés des jeux de plateau. Aux portes d’un nouveau coin de vie, votre compagnon hérite de points supplémentaires sur ses faces ; par exemple, en pénétrant le Troyaume, le voilà capable de lancer un 3. Et ainsi de suite. Une caractéristique qui profite à une progression et à un rythme ainsi bien lisibles. Avant d’entrer dans le cœur de l’action de chaque contrée, Paire nécessite un brin de préparation ; Celle-ci consiste à se constituer une paire de quinze cartes maximum, la plupart étant achetables auprès d’un humble marchant dont le corps est littéralement sa boutique. Au menu : attaques, triches, pièges ou encore soins, parmi lesquels vous trouverez une épée, des fléches, une massue, des petites bombes, un ralentisseur de temps, du poison et autres accessoires en tous genres. Une variété qui, parfois, nous a semblé un peu trop réduite sur la durée. Ainsi vous voilà par moments contraints de souvent racheter les mêmes cartes, même au bord du chapitre final.
Une fois votre deck prêt, vous voilà maintenant parés pour affronter les sbires de la reine et une poignée de boss que vous aurez tôt fait de rencontrer au détour d’une ruelle. Le combat entamé, la première étape consiste à emmagasiner suffisamment d'énergie en décrochant des cristaux sur vos adversaires à l'aide de votre petit lance-pierre. Cela vous permet d’accumuler la puissance nécessaire pour faire apparaître aléatoirement des cartes au compte-gouttes, lancer votre fidèle dé et ainsi déclencher une pause active. À cet instant, libre à vous de sélectionner le ou les cartes de votre choix. Si votre lancer de dé résulte en un 2, alors vous pourrez utiliser une carte de puissance 2, ou deux cartes de puissance 1. Les consignes sont habilement exécutées et s’assimilent plutôt facilement. En revanche, force est de constater que l’action souffre de redondances sur le terrain, au péril du plaisir de combattre. Notons toutefois la présence d’une plutôt belle variété d’ennemis à mesure que l’aventure avance, entre les corbeaux mécaniques, les bombardiers, les gros balourds ou les adeptes de téléportation. Enfin entre le mode normal et le mode Histoire qui affaiblit nettement la force des adversaires rencontrés, la difficulté semble impeccablement jaugée.
Le jeu aura l’amabilité de vous laisser reprendre votre souffle entre chaque embuscade, alternant avec des phases d’exploration plus tranquilles, ou d’autres petites subtilités de level-design appréciables. A certaines occasions aussi, vous aurez le loisir de vous retrouver au cœur d’un plateau de jeu grandeur nature. L'objectif est bien souvent de faire avancer un pion jusqu’à la case finale d’une sorte de jeu de l’oie tout en éliminant les obstacles ennemis qui surgissent. Malheureusement, les règles manquent de se diversifier ; et l’idée nous paraît globalement sous-exploitée, jusqu’à se faire complètement absente vers les dernières heures du périple. Dommage. Lost in Random n'en reste pas moins une aventure trépidante qui profite d'un rythme éclatant.
Points forts
- Une superbe direction artistique
- Un travail sonore délicieux
- Un univers narratif riche et passionnant
- Des mécaniques de combat bien exécutées
- Un très bon rythme du début à la fin
Points faibles
- Des redondances lors des combats
- Le concept des jeux de plateau sous-exploité
Lost in Random jouit d’un univers exquis, entre une direction artistique qui rappelle l'âge d'or du stop motion et une narration particulièrement riche. Ajoutons à cela des mécaniques de combat savamment construites et bien exécutées malgré certaines redondances et quelques idées sous-exploitées. Mais en définitive, Zoink nous propose un conte macabre passionnant qui ne s'essouffle jamais sur la durée et qui vaut la peine d'être parcouru.