Depuis l'annonce de Cris Tales en 2019, puis sa preview en 2020, une question est sur toutes les lèvres : Avec son concept innovant, la création des colombiens de Dreams Uncorporated est-elle à la hauteur des premières impressions procurées par leur jeu de rôle à la japonaise ?
Un RPG au concept inédit
Il ne faut pas plus de quelques minutes aux commandes de l’héroïne de Cris tales pour comprendre que le titre reprend les codes des RPG japonais, tout en apportant une modernité et des particularités qui s'intègrent à merveille dans des mécaniques de jeu plus traditionnelles. Nous sommes plongés directement dans le feu de l’action avec une première prise en main du système de combat qui ne peut que faire plaisir aux amateurs de RPG japonais, tout en étant accessible à ceux qui sont moins au fait des spécificités du genre. Ce qui fait office de mise en situation montre un combat au tour par tour, dans lequel ennemis et protagonistes agissent l’un après l’autre. Le joueur peut ainsi choisir d'utiliser un objet, de se mettre en position de défense afin d’anticiper le prochain assaut des adversaires et ainsi réduire les dégâts reçus, ou d’attaquer. Comme bien souvent dans les J-RPG, il est possible d’opter pour une attaque qui va permettre d'asséner des coups avec une arme, ou bien d’utiliser différentes capacités spécifiques à chacun des personnages. Jusqu’ici, rien de bien nouveau, mais c’est sans compter sur l’idée de Dreams Uncorporated qui consiste à intégrer la possibilité de manipuler le temps, notamment afin de prendre l’avantage sur l’ennemi. Cette notion de voyage temporel est essentielle, autant dans l’histoire de Cris Tales que dans ses mécaniques de combat.
Les contes de Cris
Nous suivons Crisbell, une résidente de la ville de Narim qui vit dans un orphelinat. La Mère Supérieure qui dirige l’établissement a demandé à la jeune fille de cueillir des roses dans le jardin. Elle s'exécute lorsqu’un personnage étonnant fait son apparition : une grenouille qui porte un haut-de-forme vient subtiliser une rose que Crisbell vient de couper. Elle part à sa poursuite à travers la ville et assiste à une dispute entre le maire et un fermier qui le tient pour responsable de l'arrivée de gobelins qui viennent dévaster les champs. Crisbell parvient finalement à rattraper le batracien dans la cathédrale de la cité. Il se prénomme Matias, il est capable de parler et l'animal lui explique alors qu’elle détient dorénavant le pouvoir de manipuler le temps. Crisbell peut ainsi agir dans le passé puis revenir immédiatement dans le présent pour profiter des effets de ses actions, mais aussi avoir une vision du futur pour tenter de changer l’avenir en fonction de ses agissements et choix présents. La jeune fille va ainsi hériter d'une puissante épée, afin de mener à bien la quête qui lui incombe : éliminer les menaces qui pèsent sur son monde, aidée par ses pouvoirs nouvellement acquis.
C’est ici que réside le génie d’un concept qui parvient à donner son caractère unique à Cris Tales, sans jamais dénaturer les fondements des RPG japonais. Quand cela est nécessaire dans l'aventure, un grand triangle placé au centre de l'écran représente le présent, tandis que les parties de gauche et de droite montrent le passé et l'avenir. Grâce à ce triangle temporel, l’écran est divisé en trois parties qui nous permettent de visualiser ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera, tandis que le pouvoir de Crisbell permet de faire des bons dans le temps. Ainsi, lors des combats, nous pouvons envoyer les ennemis dans le passé ou le futur, afin d'augmenter nos chances de sortir victorieux. Ce procédé unique en son genre est particulièrement plaisant car il permet de percevoir immédiatement les effets de nos actions : plantons une graine lors d’un bon vers le passé et un arbre fait son apparition au temps présent, apportant avec lui un ingrédient indispensable pour atteindre un objectif. Envoyons un ennemi empoisonné dans le futur et il succombe, sans avoir besoin d'attendre la lente agonie provoquée par la substance létale. Cette mécanique implique une dimension stratégique et une bonne dose d’anticipation, car si Crisbell se bat en équipe, elle est la seule à pouvoir manipuler le temps, il est donc nécessaire de bien observer la ligne en haut de l’écran, qui indique progressivement l’ordre d’action des personnages, ennemis inclus, afin de mener l'affrontement le plus efficacement possible.
Cette dimension tactique est non négligeable, puisque de surcroît, chacun des membres de l’équipe a des capacités qui lui sont propres. Là où l’un fait peu de dégâts avec son arme mais est en mesure d’empoisonner les ennemis ou de restaurer les points de vie (y compris ceux des ennemis !), l’autre est doté d’une pièce d'arsenal capable de fortement affaiblir un adversaire ou d’envoyer des sorts élémentaux (eau, foudre...). Les ennemis ayant des faiblesses qui diffèrent selon les individus, il est essentiel d’en tenir compte pour remporter les affrontements. Crisbell et ses acolytes disposent d’un autre moyen pour infliger des dégâts substantiels, une attaque simultanée de l’ensemble de l’équipe, qu’il est possible de déclencher lorsque les coups individuellement portés ont été assez nombreux pour remplir une jauge "Synchro". Comme son nom l'indique, cette option permet de synchroniser les attaques, pour un déluge de coups très efficace.
Nous retrouvons également les éternels points d'expérience acquis à la pointe de l'épée, qui vont permettre entre autre d'augmenter le niveau offensif de Crisbell et de ses compagnons de route. A l'instar des autres jeux de rôle, chaque personnage peut également se procurer des équipements qui vont améliorer des paramètres tels que la défense, afin d'être en mesure d'encaisser les coups en diminuant les dégâts reçus. Les remèdes sont également de la partie : soin, récupération de points de magie, remplissage de la jauge de voyage temporel sont au programme. Tous les élements de jouabilité de Cris Tales font du titre un RPG à part entière, en mesure de satisfaire les amateurs du genre.
Si de nouvelles capacités étoffent progressivement la liste des possibilités d'action offertes aux différents protagonistes, Cris Tales parvient sur le fil à éviter une redondance trop présente, pourtant accentuée par de trop nombreux - et longs - temps de chargement. L'alternance des séquences de combat, d'exploration - bien que sommaires - et de quêtes à réaliser aide le titre à éviter certains écueils induits par la structure répétitive des combats des J-RPG.
Il s'agit certainement du défaut le plus présent dans Cris Tales. Chaque changement de zone, passage sur la map, ou rencontre avec un ennemi est sanctionné par un temps de chargement, lui-même meublé par un écran blanc agrémenté par l'avatar de Crisbell. Initialement débutée sur PS4, j'ai fini par abandonner la partie afin de recommencer sur PS5, tant la fréquence et la longueur de ces séquences vides d'intérêt ont fini par casser le rythme de l'expérience. Ce phénomène est d'autant plus désagréable que les combats se déclenchent au contact d'un ennemi et que contrairement à bon nombre de jeux de rôle japonais au tour par tour, nos adversaires sont invisibles. Il est donc impossible de les éviter afin de s'épargner un combat et les deux temps de chargement que chaque rencontre hostile implique. Il va sans dire que le SSD embarqué dans la PS5 fait des merveilles sur ce point et rend l'expérience bien plus fluide.
Un peu de Persona ?
Ceux qui ont expérimenté le J-RPG Persona 5 Royal et ses choix qui ont des conséquences peuvent voir en lui un point d'inspiration dans l'histoire de Cris Tales. Le titre demande ponctuellement retourner dans le passé pour agir sur le futur et d'effectuer des choix qui font appel à notre morale. Privilégier la sauvegarde de la maison d'une famille, ou celle de la boutique où nous pourrons acheter des remèdes ? Nos décisions ont ainsi une influence sur l'avenir et par conséquent sur certains points dans le déroulement du jeu. Pour autant, le ton de Cris Tales reste teinté d'une certaine légèreté, le titre ne nous pousse jamais à explorer les tréfonds de notre âme et de notre - bonne ou mauvaise - conscience. Cependant, le scénario revêt tout de même un peu plus de profondeur et va au delà d'une simple affaire de monde à sauver. Notre héroïne a des réponses à obtenir au sujet de ses origines, tandis que ses comparses ont également une histoire et une personnalité qui leurs sont propres. Malgré des bases assez classiques, les différents personnages sont attachants et nous prenons plaisir à suivre leurs aventures.
C'est beau et agréable pour les oreilles
Les références et inspirations de l’équipe de développement lorgnent du côté des licences Persona, Paper Mario, Tales of, Final Fantasy, Bravely Default ou encore Chrono Trigger, autant d’éléments glanés qui fondent à la fois les mécaniques des combats et la direction artistique du jeu. Cette dernière semble être un mélange fait d’une pincée de certaines de ces licences, d’un soupçon d'esprit cartoon, et de la géométrie aux couleurs chatoyantes de l’art colombien. Le résultat est superbe, unique en son genre, pour des visuels qui parviennent à surprendre et à susciter l’admiration tout au long de l’aventure, non pas pour leur réalisme, mais pour leur esthétique, pour cette imagerie en 2.5D pleine de charme, mais aussi pour le travail réalisé. En effet, au delà des détails et du soin apporté au design, faire bouger de gauche à droite ce qu'on a précédemment appelé le triangle temporel permet d’alterner en temps réel la vision d’un décor ou d'un personnage au passé, au présent et au futur. C'est fort bien fait et très satisfaisant à observer. Les cartes des différents lieux reprennent un style similaire quoique plus sommaire, cartes auxquelles il est cependant possible de reprocher un manque de clarté, en plus d'une absence d'indications. Sur ce point, le studio semble avoir privilégié l'esthétique à l'ergonomie.
Élément devenu incontournable dans le jeu vidéo, les musiques de Cris tales ne sont pas en reste et ont bénéficié d’un soin tout particulier. La bande son est notamment faite de plusieurs dizaines de pistes différentes, réalisées par le musicien et compositeur japonais Norihiko Hibino ( Etrian Odyssey, Metal Gear Solid, Bayonetta, Yakuza 2, Yu-Gi-Oh!...), ainsi que Tyson Wernli, pour un mélange réussi et hétéroclite de sonorités rock, lyriques, ou encore symphoniques. Certaines mélodies peuvent notamment rappeler celles de l'excellent Tales of Symphonia, provoquant ainsi un brin de nostalgie chez les amateurs de l'épisode culte du J-RPG de Bandai Namco.
Conclusion
Points forts
- Concept innovant
- Du J-RPG, du vrai
- L'integration intelligente du voyage temporel dans les mécaniques de jeu
- La superbe direction artistique !
- Des musiques de qualité
Points faibles
- Un trop plein de temps de chargement, par ailleurs trop longs sur PS4
- L'impossibilité de voir les ennemis et d'éviter des combats parfois dispensables
- Les cartes des lieux difficiles à déchiffrer
Note de la rédaction
Oui, Cris Tales est à la hauteur des attentes suscitées par la démo et confirme l'engouement ressenti lors de sa preview. Avec son concept innovant et sa direction artistique pleine de charme, le premier titre du studio indépendant Dreams Uncorporated a de quoi convaincre les amateurs de RPG traditionnels au tour par tour, à la recherche d'une expérience inédite aux bases solides. De plus, l'accessibilité du titre représente une excellente entrée en matière pour celles et ceux qui voudraient se lancer dans leur premier J-RPG. En définitive, Cris Tales pèche essentiellement par quelques détails techniques à retravailler.