En 2018, le jeu d'aventure Wandersong nous proposait d'évoluer dans un monde influencé par la musique. Son créateur, Greg Lobanov, décide cette année de s'attaquer à un autre art : la peinture. Aperçu pour la première fois sur Kickstarter, Chicory nous invite à ajouter des couleurs dans le vaste univers monochrome de Picnic. Une délicieuse aventure faite de puzzles et de plateformes.
La province de Picnic, cadre champêtre de Chicory : A Colorful Tale, a perdu toutes ses couleurs et se retrouve prise au piège dans des teintes monochromes. Chicorée, peintre attitrée de ces terres et détentrice du grand Pinceau magique, s'est réfugiée dans sa chambre et refuse catégoriquement de travailler. Nous incarnons sa concierge - et admiratrice - qui portera un nom personnalisé, celui de la nourriture que vous préférez ; le nôtre sera "Poulet". Poulet décide de s'équiper du pinceau sacré laissé de côté par son artiste préférée et se donne pour mission de rendre à Picnic sa superbe. Au-delà de son ambiance de conte candide et de ses décors dignes d'un véritable livre de coloriage, Chicory va nous proposer une aventure oscillant entre grande exploration et casse-têtes laborieux.
L'art du coloriage
Considérer la peinture comme élément central du gameplay d'un jeu n'est pas nouveau. Il s'agit d'une caractéristique déjà maniée avec vivacité dans Splatoon, ou avec un peu plus de poésie dans Concrete Genie et The Unfinished Swan, lequel nous demandait souvent de révéler des décors invisibles par jets de peinture. Dans Chicory, ces derniers sont déjà tous tracés, façonnés par une mine épaisse et une imagerie très enfantine. Équipé de notre pinceau dont les styles - autrement dit les formes - peuvent varier au gré des découvertes, nous pouvons agrémenter les paysages des couleurs d'une palette qui évolue. Libre à nous de nous appliquer à ne pas dépasser les contours et à accorder les tons ou à gribouiller grossièrement pour simplement marquer notre territoire. Si elle peut manquer de lisibilité en début de jeu, la carte est à considérer comme une toile vierge qui révélera tous ses morceaux au fil de notre progression. Et peindre ce qui nous entoure deviendra vite un automatisme pour signer nos passages. Aussi, fouler chaque parcelle de terre et la peinturer offrent une activité tout aussi divertissante que notre objectif principal : comprendre l'origine des maux de Chicorée, notre peintre en grève, et de l'étrange corruption qui s'empare de Picnic, univers charmant où cohabitent animaux et autres mignonneries en tout genre.
On se plaît à dialoguer avec chaque habitant et à s'impliquer dans leurs petites problématiques touchantes. L'écriture est simple, légère, mais ne manque pas d'attendrir. Au-delà du mal pernicieux qui sévit et occupe tous les esprits, nous discutons des petits tracas du quotidien ou des interrogations de Poulet sur sa légitimité à hériter du pinceau. Rien qui ne devrait vous pousser dans vos retranchements ou vous arracher une larme, mais l'ensemble constitue un joli conte à parcourir, entre la cité centrale de Collation, la bourgade de Ptitdèj, en passant par les collines d'Apéro jusqu'aux eaux de la Grande Tasse. À l'origine de la création de cet univers qui peut sembler aussi simpliste qu'abondant, on trouve Greg Lobanov, auteur du jeu musical Wandersong. À la bande-son, on apprécie entendre à nouveau les compositions toujours aussi entraînantes de Lena Raine - que l'on connaissait déjà pour les musiques de Celeste - qui viennent englober parfaitement l'ambiance de Picnic.
Un contenu éclatant
Les résidents de ce monde fantastique proposent leur petit lot de quêtes, consistant à retrouver tous les chatons en fugue d'un papa agacé, composer le jardin d'un voisin en deuil ou mener l'enquête sur un terrible cambriolage. Certaines réussites nous accordent des récompenses, telles que des meubles ou autres babioles à disposer dans notre intérieur ou dans celui d'autres personnages. Nous pouvons aussi collectionner les tenues et les accessoires de mode, des chapeaux aux paires de lunettes. D'apparence si sobre, Chicory fourmille de contenus, entre petites récréations et dangereux périples semés d'obstacles. Comptez enfin sur quelques mini-jeux de dessins où il s'agira de réaliser le logo d'une pâtisserie, suivre un cours de peinture ou réaliser le portrait de Chicorée. En tout, l'aventure devrait vous occuper bien plus de 10 heures si vous choisissez de la vivre au grand complet. Le temps investi dans Chicory peut aussi drastiquement évoluer en fonction de votre facilité à répondre aux casse-têtes présentés, qui, dans leur globalité, peuvent représenter de réels défis. Ils séduiront sans le moindre doute les joueurs qui aiment se creuser les méninges.
Pour achever notre quête principale, il sera question la plupart du temps de débloquer des passages, de dénicher des codes pour déverrouiller des portes ou de faire preuve d'un excellent sens de l'orientation pour trouver son chemin. Notre environnement comme notre attirail peuvent être utilisés à bon escient : des champignons géants servent de trampolines entre les plates-formes, les lianes font office de conduits pour se déplacer facilement et les grandes roches peuvent être détruites par des bombes disposées à proximité. On peut également se frayer des passages en traversant l'eau, en remontant des collines ou en bondissant dans des nuages, chaque chemin étant tracé par de la peinture. Et si l'objectif est difficilement atteignable à votre goût, vous pourrez toujours demander de l'aide à vos parents en passant un coup de fil depuis l'une des cabines disposées sur la carte ; un moment toujours plaisant lors duquel votre père, un raton laveur à l'énergie débordante, s'évertue à vous partager des conseils toujours très précis. Et puis, autre surprise sympathique à noter lors de la découverte de Chicory : les fins de chapitres pigmentées de combats de boss à l'esthétique hypnotisante qui requièrent esquives et coups de pinceau effrénés sur l'ennemi. C'est incontestable, le jeu fourmille de bonnes idées pour nous maintenir occuper.
Chicory propose un mode coopératif en local pour deux joueurs qui s'avère être très anecdotique lorsqu'il est question de progresser à travers les casse-têtes ou d'explorer. On peut toutefois beaucoup plus l'apprécier lors de simples sessions de coloriage à plusieurs dans le monde de Picnic ou durant les mini-jeux créatifs.
De petit apprenti à grand artiste
Passé chaque nouveau chapitre, le jeu nous offre un agréable sentiment de progression traduit par de nouvelles capacités accordées à notre héroïne ou à notre outil de travail. Ainsi, Poulet pourra éclairer les ténèbres de ses coups de pinceau, elle apprendra à effectuer des rebonds entre les plateformes, ou mieux encore : elle pourra nager dans sa propre peinture. Autrement dit, elle sera capable de réaliser des dash dans des traînées de couleurs. Une fois doté de toutes ces possibilités, la visite du vaste monde de Picnic n'en devient que plus agréable à mesure que l'aventure poursuit son cours, dévoilant progressivement de nouvelles zones que nous n'étions d'abord pas permis de pénétrer.
Ce champ d'actions assez large et habilement exploité durant les casse-têtes peut en revanche souligner une prise un main un poil laborieuse et pas des plus confortables. Nous ne pouvons que vous conseiller l'utilisation du clavier/souris, bien plus pratique pour répandre de larges couches de peinture. Avec le pad, le tracé s'appliquant à la gâchette est bien moins précis, presque agaçant. Dans les deux cas, ce n'est certainement pas avec les outils donnés dans Chicory que vous pourrez réaliser vos meilleurs travaux d'art. A contrario, l'usage des capacités de mouvements lors des phases de plateforme sera plus aisé et d'autant plus fluide manette en mains. De fait, il nous est arrivé d'alterner entre les deux accessoires durant la partie ; des déséquilibres sans lesquels l'expérience aurait pu se montrer vraiment exceptionnelle.
Points forts
- Des casse-têtes robustes
- De petits combats de boss qui sont de vraies récréations
- Le plaisir relaxant de peindre des décors immaculés
- Un contenu satisfaisant pour une durée de vie correcte
- Un petit univers charmant
- Une bande-son impeccable
Points faibles
- Une prise en main bien trop déséquilibrée entre le combo clavier/souris et le pad
- Une orientation parfois difficile qui peut devenir frustrante
Sous ses traits épais et ses airs enfantins, Chicory abrite des défis bien corcés. Ensemble, le créateur Greg Lobanov (Wandersong) et la compositrice Lena Raine (Celeste) sont parvenus à façonner un univers généreux en exploration, en découvertes et en obstacles à franchir, offrant une durée de vie tout à fait correcte. Si vous ne souhaitez pas prendre le temps de résoudre les casse-têtes ingénieux qui se présentent à vous, vous aurez le loisir de vous impliquer librement dans les autres petites quêtes de l'adorable monde de Picnic, peuplé de ses charmants animaux. En revanche répétons-le, l'aventure sera bien meilleure si vous opter pour le clavier.