Entre guerre froide, enjeu nucléaire, télé-réalité et ambiance à la 1984, Hitcents s’aventure sur un tout autre terrain que celui auquel le studio nous avait habitué avec la saga des Draw a Stickman par exemple. Avec Ministry of Broadcast, l’éditeur a choisi de miser sur un jeu mixant forme et fond pour produire un platformer 2d tout en pixels, où l’humour noir et le sarcasme règnent puis s’efface peu à peu à mesure que l’horreur de ce monde dystopique, elle, se dévoile pleinement.
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C’est d’un postulat étrange que part Ministry of Broadcast. Vous y incarnez un roux (c’est d’ailleurs le seul semblant de nom qui vous est attribué) débarquant dans un endroit barricadé et bien gardé, qui se révèle être le lieu de tournage d’une télé-réalité bien particulière. Pas de secret à découvrir ici ni de supposée âme-sœur à trouver, le «Wall Show » s’apparente plus à un Hunger Games qu’à l’une des nombreuses télé-réalités qui pullulent aujourd’hui. Votre but ? Remporter les différentes Arènes afin d’avoir une chance de pouvoir traverser le Mur qui sépare le pays en deux, fuir le Régime autoritaire qui gouverne dans votre moitié et rejoindre votre famille et la liberté de l’autre côté.
Peu exigeant techniquement, le jeu n'a aucun mal à tourner sur la console de Nintendo. Aucun bug n'est à signaler et les commandes sont assez intuitives et ne sont pas gênantes pour découvrir ce titre. En somme, le jeu se prête bien à une expérience optimale sur Nintendo Switch.
Prince of Persia à la sauce Hunger Games
Et oui, quoi de mieux qu’un platformer pour juger les capacités d’une personne ? Car c’est autant le personnage que le joueur qui est testé à travers ce jeu. Ministry of Broadcast n’est pas d’une extrême difficulté, mais il est tout de même exigeant. Entre les puzzles vous permettant d’avancer et les réflexes qui vous sont demandés pour passer certains obstacles, c’est autant l’esprit que le corps qui est évalué. Dans Ministry of Broadcast, il faut en effet faire marcher son cerveau : appuyer sur le bon bouton au bon moment, pousser la bonne caisse au bon endroit, utiliser les ennemis pour débloquer une situation… Rien de nouveau en soit donc, même si certains puzzles se montrent assez ingénieux. S’il n’y a pas besoin de se faire des nœuds au cerveau et de passer des heures sur une énigme trop compliquée à résoudre, quelques unes s’avèrent tout de même piégeuses et peuvent mettre votre expérience en pause le temps d’une dizaine de minutes. À noter que deux niveaux de difficulté sont possibles dans le jeu, « Facile » et « Normal », et que le premier vous permettra d’obtenir des indices si vous êtes réellement bloqué.
Globalement, le jeu jauge bien sa difficulté. Si votre nullité est raillé à chaque mort, il est normal de mourir dans ce jeu. Ministry of Broascast est un die and retry. À moins d’être devin, il y certaine mort que vous ne pourrez pas éviter. Le but ? Apprendre de ses erreurs et braver les obstacles qui, une fois connus, n’ont plus rien de bien surprenant. Une caractéristique qui peut parfois s’avérer frustrante en jeu. Ici, il n’en est rien. Cette mécanique est savamment maniée, pour pimenter un peu le jeu, sans pour autant qu’il ne devienne une épreuve laborieuse vous forçant à passer des heures sur le même tableau. Ces différents moments périlleux sont en fait courts et ainsi les recommencer 5 ou 6 fois ne posent pas vraiment de problème. Ce sont des challenges, et non des obstacles insurmontables. Le système de checkpoints facilite également l’expérience de jeu. Sur le point de mourir ou ne pouvant résoudre un puzzle, il suffit de presser une simple touche pour rejoindre rapidement le dernier checkpoint qui ne se trouve jamais bien loin de votre position, afin d’éviter, encore une fois, la frustration.
Malheureusement, elle est tout de même parfois présente dans Ministry of Broadcast et ce pour un détail qui peut prendre de la place : les mouvements. En effet, les déplacements sont pour le moins rigides : gauche, droite, haut, bas, saut à la verticale ou à l’horizontal… Si cette mécanique de mouvements est sans doute voulue, le jeu se revendiquant comme un hommage au platformer de l’époque comme Prince of Persia ou Oddworld : Abe’s Exoddus, elle n’en reste pas moins désappointante, tant elle peut vous mener vers la mort de nombreuses fois. Dans un monde vidéoludique où les déplacements sont devenus beaucoup plus fluides, permettant notamment de sauter en diagonal, il est parfois compliqué de s’adapter à ces mouvements limités.''' Si à la fin du jeu, on s’habitue à ces mouvements restreints, ils peuvent néanmoins causer un certain sentiment d’injustice et se révéler être le point noir principal de cette expérience.
Car pour le reste, il faut dire que le jeu n’a pas beaucoup de défauts. On évoquait plus haut l’équilibre de la difficulté, mais il en va de même pour les phases de gameplay. Les moments de run and jump et d’énigmes s’enchaînent de façon intelligente, de sorte que l'on ne s'ennuie jamais de l’un ou de l’autre. Ni trop long, ni trop court, ni trop facile, ni trop difficile… Le jeu n’a rien de mauvais, mais ne brille pas vraiment non plus. Un bon moment sans plus ? Sur la forme oui. C'est sur le fond que le titre se révèle plus intéressant.
Entre 1984 et Limbo
C’est là que réside le gros point positif du jeu : son atmosphère à la fois pesante et sarcastique, et les messages qui se cachent derrière. Les développeurs ont su, avec quelques pixels, produire un environnement crédible et parlant. Les premières secondes du jeu suffisent à faire comprendre l’ambiance et le lieu dans lequel on évoluera ensuite. Barbelés, murs imposants, bunkers et autres affiches plantent le contexte : un régime autoritaire où les libertés sont bridées et la guerre peut éclater à tout moment. Les différents tableaux sont travaillés et transmettent chacun une ambiance différente, de la folie pure et dure à la peur de la catastrophe nucléaire, et ce grâce à la musique et les couleurs qui animent l’écran, mais aussi le gameplay correspondant. Une zone radioactive proposera ainsi une ambiance visuelle et sonore alarmiste, avec une phase de run and jump stressante.
À la manière d’un bon film, le scénario sait se montrer aussi profond que drôle. Les clins d’oeil se multiplient, que ce soit à d’autres dystopies comme 1984 et ses différents ministères douteux, ou à d’autres jeux à ambiance forts, tels que Limbo, directement cité dans le jeu. Ministry of Broadcast brise d’ailleurs régulièrement le quatrième mur en rappelant qu’il est un jeu parmi tant d’autres, que cela n’est pas réel, que vous n’êtes qu’un (mauvais) joueur et que les scènes défilant à l’écran ne sont que la concrétisation d’un scénario réfléchi répondant à certains codes. Le jeu se moque d’ailleurs délibérément de lui-même à la suite de certaines scènes qui relèvent plus de la symbolique et du cliché que du réel et du plausible. Et ce n’est pas le seul point sur lequel Ministry of Broadcast se montre railleur.
Car en parallèle de cette ambiance sombre et froide, le sarcasme est omniprésent dans Ministry of Broadcast. Il prend forme de part la situation : un personnage naïf et presque bête évoluant dans un univers dont il ne comprend pas les enjeux. Les dialogues avec les différents personnages relèvent ainsi souvent de l’absurde ou de l’humour noir. Tout cela est accentué par un étrange personnage qui vous suit tout au long de votre périple : le corbeau. Si c’est lui qui vous aidera parfois à surmonter certains obstacles, c’est surtout lui qui commentera, non sans une certaine moquerie, chacun de vos actes. Un piaf énervant qui pourtant pimente l’expérience et vous permet de découvrir ce qu’il se cache derrière le peu que l’on veut bien vous dire.
L'expérience de Stanford en jeu vidéo
Sans ce corbeau, difficile de remettre en doute ce qu’il se passe sur votre écran : une sorte d’expérience sociale où tout le monde joue un rôle prédéfini et respecte ses directives sans aucun questionnement moral. Dans cet télé-réalité, certains sont en effet policiers, et d’autres simples participants. À la manière de l’expérience de Stanford, on peut ainsi voir l’évolution des participants, qui peu à peu, à force de suivre les instructions à la lettre, intériorisent leur rôle et se mettent à effectuer des actions immorales de leur propre chef. Des actions que vous mêmes êtes amenés à réaliser, faisant naître un véritable questionnement sur le bien fondé de certaines actions et sur la notion de libre-arbitre face à une autorité jugée légitime.
Un thème qui se prête particulièrement bien au prisme du jeu vidéo. En effet, le joueur a beau souvent avoir l’illusion d’être libre, il est en réalité limité par les possibilités imposées par les développeurs. À la manière des personnages de Ministry of Broadcast, il remplit le rôle qui lui a été attribué sans même en avoir conscience. La limite entre le joueur et le personnage qui l’incarne est donc floue, comme aime à le rappeler le jeu, sublimant ainsi les différents messages qu’il cherche à faire passer.
Outre l’inspiration évidente que constitue l’expérience de Stanford, on sent bien sûr que le jeu se veut dans la veine du fameux 1984. Avec son Ministère de la Diffusion (traduction française du titre du jeu), il rappelle les Ministères de la Vérité ou de la Paix, symboles du gouvernement autoritaire de 1984. Avec ses dialogues parfois tronqués, c’est le fameux novlangue qui se rappelle à notre bon souvenir. Avec ses dichotomies symboliques, c’est l’absurdité d’un pouvoir qui ne fait pas ce qu’il dit qui s’expose au grand jour. Les clins d’œil sont ainsi nombreux et, même s’ils sont loin d’être originaux tant 1984 est utilisé par tous types de créateurs, ils ont le mérite de parler aux plus grands nombres et ainsi trouver une plus grande résonance.
Il faut néanmoins noter que le propos de Ministry of Broadcast ne se limite pas à dénoncer l’autoritarisme et la privation de libre arbitre, qui, bien que superbement réalisé, pourrait la rendre banale aux yeux de certains tant il existe des dystopies de ce genre aujourd’hui. C’est en effet la télé-réalité et toutes ses dérives qui est également pointé du doigt dans Ministry of Broadcast. Le manque d’humanité, la volonté de briller même, et surtout, aux dépends des autres, l’absence de vie privée, et surtout, l'apparence primant sur le réel… Voilà ce que cherche également à dénoncer les développeurs à travers cette courte mais intense aventure.
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Points forts
- Un jeu fort en challenges..
- Bonne maîtrise du pixel art
- Ni trop long ni trop court
- Un sarcasme qui fait mouche
- Une ambiance sonore entraînante...
- Des messages forts, amenés de façon intelligente
Points faibles
- ...mais sans fulgurances
- Déplacements restreints très frustrants
- Une fin prévisible
- Trop de questions sans réponses
- ...mais qui peut se révéler agaçante à la longue
Ministry of Broadcast est un bon platformer à l’ancienne qui gagne à être connu. Entre l’ambiance prenante et des phases de gameplay divertissantes, difficile de passer un mauvais moment. C’est avec un sourire en coin qu’on commence Ministry of Broadcast et des questionnements plein la tête qu’on finit cette courte mais intense expérience à l’atmosphère travaillée et aux messages forts. Entre humour moqueur, sarcasme, morbidité et questionnement, mais aussi course, difficulté et puzzle, Ministry of Broadcast a su trouver un parfait équilibre, avec le juste milieu comme ligne directrice. Mais à trop tourner autour du juste bien, le jeu n’excelle jamais et s’impose comme une expérience sympathique, mais sans grande envergure. Un jeu qui vaut le coup de s’y attarder donc, mais qui manque d’un petit rien pour devenir mémorable.