Entendez-vous au loin les cloches qui sonnent le glas de la vie paisible d’Ethan Winters ? Dans les allées fumantes d’un village reculé, théâtre des événements du nouveau Resident Evil, Capcom garde la vue subjective avec pour objectif de surprendre par un univers empruntant à la fantasy plutôt qu’au slasher surnaturel. Adieu les Molded et la famille de psychopathes hantant la Louisiane, bienvenue aux loups-garous menés par une meute de vicieux gourous. Mais sur les bancs de l’église, les doutes se propagent. Est-ce que ce virage vers les contrées d’une Europe de l’Est ravagée par l’occultisme tient plus de la bénédiction que de la malédiction ? À l’instar d’Alcina Dimitrescu, nous avons tranché.
Acheter Resident Evil Village sur Amazon
Winters is coming
Depuis quelques mois, de sombres présages animent les échanges ayant lieu sur la Toile. Ainsi, la série des Resident Evil serait artistiquement à l’agonie, perdue dans un “grand n’importe quoi scénaristique” et “forcée de reprendre les codes d’Outlast pour exister”. Mais ce serait oublier que Capcom a fait de la résurrection des morts son fond de commerce. Confortée par des ventes au beau fixe – Resident Evil VII s’étant écoulé à plus de 8,5 millions d’exemplaires dans le monde – la société japonaise fait une nouvelle fois confiance aux yeux d’Ethan Winters pour montrer l’horreur d’une épopée qui s’ouvre sur un conte. Celui du Village des Ombres, narré par Mia à sa fille Rosemary. Contrairement à la jeune mère munie de son livre, le couple Winters a du mal à tourner la page. Les tragiques événements intervenus en Louisiane en 2017 sont encore dans les mémoires, et le déménagement des époux vers l'Europe de l’Est n’a pas suffi à effacer des esprits l’épisode terrorisant de Dulvey. C’est un Ethan papa-poule que l’on découvre lors des premiers instants de Resident Evil Village. L’ancienne victime puis bourreau des Baker s’occupe de sa petite Rose et s’apprête à déguster une bonne chorba (soupe locale) quand un personnage bien connu du casting interrompt cette tranche de vie. En quelques secondes, la vie d’Ethan bascule de nouveau. Après la capture de sa femme dans le précédent épisode, c’est désormais la chair de sa chair qui se fait kidnapper par un groupe d’illuminés vivant reclus au sein d’un mystérieux village. De quoi attiser chez notre héros une flamme vengeresse de tous les diables.
Resident Evil Village propose différents bonus qui permettent d’approfondir notre connaissance du jeu. Nous retrouvons par exemple différents making-of (sous-titrés en français), un résumé des événements de Resident Evil VII, ainsi que des illustrations à consulter. De petites attentions à destination des joueurs qui sont toujours les bienvenues.
À l’instar des nombreux autres épisodes de la saga, il est indispensable de comprendre rapidement les mécaniques du jeu pour espérer survivre à la première heure de l’aventure. Plongé dans la peau d’un Ethan Winters en mauvaise posture, le joueur doit composer avec le gameplay orienté action de cet opus. Il n’a d’autre choix que de se servir des éléments disséminés dans son environnement pour ralentir ses nombreux adversaires, qu’il s’agisse de barils explosifs à faire sauter, de sacs de farine sur lesquels tirer pour créer un nuage déstabilisant, ou d’armoires à glisser contre les portes. Soyons clairs, à l'exception de rares séquences où le joueur se retrouve encerclé, se barricader est rarement mis à l'honneur. Il tient plus de l’hommage à Resident Evil 4 que d’une réelle volonté de mettre en valeur cet élément dans les manières de survivre. Les ressemblances avec le quatrième volet de la série ne s’arrêtent pas là. Outre le côté village européen damné qui sert de terrain de jeu, un marchand ambulant est de la partie et propose cette fois-ci d’acheter directement des munitions. Sa boutique met également à notre disposition des remèdes, des plats qui apportent des effets permanents (plus de vie, plus de résistance, etc.), ainsi que diverses améliorations pour les armes comme l’inventaire moyennant finance/ingrédients spéciaux. Pratique pour affronter les dangers dans de meilleures conditions. L’inventaire, puisque nous l’évoquons, rappelle forcément celui de Leon S. Kennedy avec ce système de cases à combler précisément utilisé dans de multiples Hack'n Slash. Il est à noter que les objets obligatoires à la progression tels que les clés, ou encore les éléments d’artisanat (herbe verte, poudre noire, etc.), ne prennent aucun bloc : ils occupent en fait une rubrique dédiée à la capacité illimitée. Un choix de game design qui renforce l’accessibilité de cet épisode auprès d’un public qui ne serait pas disposé à faire des allers-retours réguliers pour se rendre à des coffres, désormais absents de l’aventure. Attention cependant, un objet retiré de la valise par manque de place disparaît dans les limbes. Il n’est pas laissé au sol comme cela se faisait dans Resident Evil 0, qui s’était risqué lui aussi à supprimer ces grosses malles interconnectées.
La qualité du moteur RE Engine et sa grande souplesse sur PC n’est plus vraiment à démontrer. Resident Evil 2 et 3 tournaient déjà comme un charme et c’est une fois de plus le cas avec Resident Evil Village. Cette version PC a l’avantage de proposer un large panel d’options graphiques et le tout est particulièrement bien présenté via un système de “jauges”, qui vous permet de voir l’impact de telle ou telle fonctionnalité. Vous pouvez également opter pour des profils “type”, qui vont mettre en avant la performance au détriment de la qualité graphique, ou un rendu plus équilibré. Capcom s’est par ailleurs acoquiné avec AMD pour cette version PC, avec la présence de fonctionnalités “Radeon” comme Fidelity FX (qui améliore les ombres et les contours des objets, sans impact sur les performances) ou un Variable Rate Shading (VRS) optimisé pour les GPU sous architecture RDNA2 (Radeon RX 6000). Rappelons que le VRS est une technique qui consiste à calculer plus ou moins précisément un objet 3D en fonction de sa position dans l’espace et par rapport au regard du joueur. Le but est évidemment ici de soulager un maximum le GPU. À noter que ces fonctionnalités estampillées AMD fonctionnent également sur un GPU Nvidia, mais les cartes Radeon bénéficient d’une meilleure optimisation sur ces points spécifiques.
En matière de ray-tracing, le rendu se montre convaincant, mais la différence par rapport à un rendu rastérisé (sans ray-tracing) n’est pas non plus flagrante. L’intérêt du RT se verra surtout sur les surfaces réfléchissantes comme les miroirs ou l’eau, ou encore dans le rendu des ombres projetées, qui sont un peu plus douces et réalistes. Bref, Resident Evil Village sur PC est bardé d’options graphiques que l’on peut régler finement, ce qui permet au jeu de tourner extrêmement bien sur un très large panel de configurations. Nous l’avons testé avec 17 modèles de GPU (sur un PC doté d’un processeur Ryzen 7 3800X et de 16 Go de RAM) et le constat est sans appel : à partir de la GeForce GTX 1060, vous serez calé sur 60 FPS en 1080p avec le niveau de rendu au maximum (sans le ray-tracing bien entendu). Avec une RTX 3060 ou une 2070, vous pourrez monter sans souci à 60 FPS en 1440p avec le ray-tracing, tandis que la 4K avec RT à 60 FPS est accessible à partir de la RTX 3060 Ti. En matière de stabilité, notre premier run d’une dizaine d’heures s’est déroulé sans heurt, avec une fluidité quasi totale. Nous avons cependant constaté de brutales chutes de framerate à des moments très précis du jeu et bien souvent scriptés (lors de combats de boss notamment). Ils ont heureusement été très peu nombreux et n’ont duré qu’une poignée de secondes. Une version PC stable, donc, qui propose tout ce qu’on attend en matière d’options graphiques et qui se paie luxe d’afficher une grande fluidité, même sur une petite configuration.
Les montagnes (presque) russes
En ne forçant pas le joueur à se soucier de la place que prennent les objets de quête ou les éléments liés à la fabrication, le message de Capcom est clair : Resident Evil Village insiste sur l’importance des armes, des munitions et des remèdes, seuls items à devoir être organisés précautionneusement dans la valise du héros. Et des pétoires, il y en a ! Du simple pistolet semi-automatique au puissant fusil à pompe, en passant par la mitraillette et le lance-grenades, les amateurs apprécieront un arsenal certes classique mais toujours efficace. Le petit plus de Village vient de la disponibilité d’un fusil sniper qui prouve son efficacité contre les ennemis volants ou les Lycans posés sur les toits. En effet, le level design assez ouvert du bourg et le fait que la plupart des ennemis “existent” dans le monde plutôt que d’apparaître soudainement rendent l’arme de précision grandement utile. Pour le reste, en situation de combat, rien ne bouge drastiquement. Il faut toujours viser la tête (ou le point faible immédiatement identifiable) pour faire un maximum de dégâts, parer avec une gâchette si les ennuis ne peuvent être évités, et fuir lorsque cela est possible. Par rapport à Resident Evil VII, les affrontements de Village se révèlent un tantinet plus intéressants grâce à des adversaires de types différents plus nombreux, bien que finalement proches de ceux déjà rencontrés par le passé. Les monstres humanoïdes peuvent par ailleurs être désarmés avec une balle bien placée, tandis que des variants mieux équipés apparaissent au fil du périple afin d’éviter de laisser le joueur dans sa zone de confort, si tant est qu’elle existe. Maladroitement comparé à Outlast, ce nouveau Resident Evil tient surtout du FPS horrifique. Dans Village, seule une séquence autorise le joueur à se cacher dans les armoires vides sur les dix heures de jeu qui composent l’épopée (en standard). Et si la fuite est encouragée – surtout dans les niveaux de difficulté avancés – elle n’est pas nécessaire à la progression, pas plus que l’infiltration. Une nouvelle fois, le jeu alterne les passages d’action et de pure angoisse, bien que la balance penche ostensiblement du côté de la poudre que de la peur. Disposant d’un contenu généreux, d’un rythme soutenu et de situations variées, Village est un parc d’attraction de l’affreux. Avec son grand huit qui a des montées parfois trop hautes : quelques combats de boss et parties de niveaux tirent un peu trop en longueur. L’absence de réalité virtuelle se fait douloureusement sentir, et une personne ayant connu les déboires d’Ethan en Louisiane avec un PSVR fixé sur la tête déambulera dans les rues du village comme s’il s’agissait d’un vulgaire parcours de santé. Voilà qui est fort regrettable.
L’atout charme de ce Resident Evil repose principalement sur son ambiance gothique et sur son univers issus d’un conte ayant mal tourné. Ici, le merveilleux, le fantastique et l’horreur se côtoient telle une sainte trinité des enfers. Comme vous le constaterez avec nos captures d’écran, les intérieurs décrépis rappellent les natures mortes, tandis que les paysages visités nous font penser à ceux du film “Abandonnée” de Nacho Cerdà. Certains panoramas sont à tomber, ils feront la joie des photographes du sordide. Le travail de recherche effectué sur le style européen rural, avec les chaises blanches en plastique défigurant les jardins ou le carrelage jaunâtre posé au mur des cuisines, est un véritable atout pour l’immersion. De plus, un effort a été fait sur la narration environnementale, alors que les divers documents se lisent aisément grâce à un nombre restreint de pages à consulter. Les rares trésors secrets à dénicher dans des grottes plus ou moins cachées ainsi que le bestiaire plutôt inhabituel avec ses gargouilles, loups-garous et autres vampires donneraient presque l’impression de se balader dans un Skyrim horrifique, ce qui est loin d’être déplaisant. Sauf qu’ici le curseur est dirigé vers le storytelling, au point où même le monde hub oblige un certain ordre dans les boss à éliminer. Nous n’en dirons pas plus sur l’histoire ni sur les moments marquants de l’épopée, mais sachez que Resident Evil Village dispose de séquences savoureuses. Que vous tentiez l’expérience sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One ou Xbox Series X|S, le RE Engine affiche un rendu globalement impressionnant. Les visages sont expressifs, les textures sont très détaillées (hormis celles des surfaces visqueuses) et les animations sont convaincantes. Sur PlayStation 5 et Xbox Series X, le jeu reste fluide même quand le ray-tracing est activé, ce qui en fait un mode tout à fait envisageable pour découvrir les mystères qui rôdent dans les entrailles de ce village maudit.
À l’Est, rien de nouveau ?
Nous l’évoquions dans le paragraphe précédent : Resident Evil Village tire son épingle du jeu grâce à son ambiance originale (pour la saga), à des affrontements plus intéressants et à des passages surprenants. Néanmoins, nous ne pouvons cacher notre déception face à sa structure qui se révèle peu ou prou la même que celle de son prédécesseur. Nous retrouvons un monde hub (ici le village, auparavant le jardin des Baker) à l’intérieur duquel se trouvent quatre chemins principaux menant vers autant de boss à liquider. Car oui, si le sous-titre de ce Resident Evil est Village et non pas Castle, c’est pour la simple et bonne raison que le château de Dimitrescu n’est qu’une courte étape de l’aventure. Ethan passe plus de temps à crapahuter dans les paysages dévastés du bourg paumé que sur les carrelages luxueux du château. Là aussi, nous avons un début de jeu plus intimiste (le château à la place de la maison des psychopathes), et là aussi, le final fait plus parler la poudre que la peur. Les couloirs métalliques du niveau final (dont nous tairons la nature) donneraient presque l’impression de revivre les événements de Doom 3, ce qui est assez troublant. Il divisera sûrement les amateurs de la série.
Une fois l’aventure principale terminée, un magasin fait son apparition et propose tout un tas de suppléments à acheter contre des points spéciaux. Avec à l’intérieur de quoi débloquer des armes, des munitions illimitées, des concept arts, les modèles 3D utilisés dans le jeu des divers monstres/protagonistes, ou encore le nouveau mode Mercenaires.
En croquant à la fois le quatrième et le septième volet de la série pour étancher sa soif de références, Resident Evil Village n’apporte pas beaucoup de sang frais à son organisme. Il n’a ni l’aspect révolutionnaire de Resident Evil 4, ni l’effet de surprise de Resident Evil VII. Nous apprécions découvrir les nombreux hommages disséminés çà et là, à l’image d’une énigme s'exécutant sur un piano, mais nous déplorons la surexploitation de quelques poncifs : l'indéboulonnable séquence où le joueur perd toutes ses armes est de la partie, de même que l'habituel passage où le héros se fait poursuivre par un monstre invulnérable (avec Lady Dimitrescu dans le rôle de Mister X). Il n’échappe pas non plus aux révélations pressenties depuis le début, ni aux méchants stéréotypés aux lignes de dialogue entendues et réentendues. Enfin, le soft n’évite pas les détails cocasses que nous n’osons qualifier d’invraisemblances (comme le point faible de certaines créatures, et d'autres détails scénaristiques que nous ne souhaitons pas révéler ici). La marque de fabrique de Capcom éructeront certains. Des éléments qui ne gâchent pas foncièrement l’expérience, mais qui atténuent un brin notre enthousiasme. Le scénario, s’il part dans tous les sens, se suit heureusement avec plaisir.
Acheter Resident Evil Village sur Amazon
Points forts
- Très bonne ambiance
- Généreux et varié dans son contenu (pluralité des armes, situations, etc.)
- Aussi joli que fluide sur next-gen
- Une aire de jeu légèrement plus ouverte sans que cela ne dilue la narration
- Quelques passages surprenants
- Des combats un peu plus intéressants que ceux de RE VII
Points faibles
- Contrairement à son prédécesseur, il est amputé de la réalité virtuelle !
- La structure, presque identique à celle RE VII
- De la redite dans certaines séquences, des clichés, des invraisemblances...
- La balance peur/action en faveur de la poudre
Plus abouti que son prédécesseur à qui il pique éhontément sa structure, Resident Evil Village est une expérience complète comblant avec une force tranquille toutes les cases nécessaires au succès d’un survival-horror en vue subjective orienté action. Bien qu’il puise ses inspirations du fond des oubliettes espagnoles appartenant au quatrième volet, le titre de Capcom parvient à tirer son épingle du jeu grâce à son ambiance teintée de fantastique originale pour la saga. L’absence impardonnable de réalité virtuelle et la présence d’un sentiment de “déjà joué” l’empêchent toutefois de prétendre au titre de chef éminent du village. Pas de quoi initier une querelle de clocher cependant : ce nouveau Resident Evil est une réussite.