En 2012, puis 2013 dans sa version finale, Bravely Default s’est fait un nom dans le JRPG grâce à une approche intelligente. Il mélangeait les codes old school tout en apportant du neuf, que ce soit en termes de gameplay ou d’écriture. Aujourd’hui, et ceci après un spin-off qui surfait sur les mêmes bases, la série change de machine et arrive sur Nintendo Switch, non sans surprise à la clef. Et si je vous disais que ce nouvel opus est bien mieux que son prédécesseur ?
Une base old-school
Encore plus que dans le cinéma, le jeu vidéo est un marché où chaque sortie se veut être une amélioration de la sortie précédente. C’est d’ailleurs connu, les premiers épisodes de chaque série sont souvent des croquis d’un travail qui dévoile toute sa finesse dans l’opus qui suit. Uncharted, Mass Effect, … Les exemples sont nombreux. Si la formule Square Enix se veut très différente avec des suites qui n’ont souvent pas de rapport avec les jeux précédents, la formule reste identique, corrigeant les erreurs du passé. En cela, Bravely Default II arrive après un premier essaie fort réussi, mais dont on connaissait aussi les erreurs, comme une certaine répétitivité et une dernière partie du jeu des plus pénibles et redondantes. 8 ans plus tard, Silicon Studio laisse la main à la Team Asano, du nom du producteur Tomoya Asano, toujours présent. Ce que vous allez comprendre dans ces lignes, c’est que l’amour d’Asano-san pour les JRPG old school prend toute son ampleur avec Bravely Default II.
Quand on démarre ce qu’on pourrait appeler le chapitre 0, Bravely Default II s’ouvre sur un classicisme déstabilisant. Seth, jeune marin venu de terres lointaines, est retrouvé sur la plage après un naufrage par Olivia et Messire Sloane, une jeune souveraine sans royaume et son vieux chevalier/mentor/gardien. Si vous avez déjà joué à un jeu d’Asano, vous connaissez la suite : Seth et Olivia sont rapidement rejoints par Elvis, un magicien porté sur la beuverie, et Adèle, une mercenaire qui cache son passé. Eux quatre vont rapidement découvrir qu’ils sont les héros de la lumière, choisis par les quatre cristaux pour lutter contre un mal ancestral qui menace de se réveiller. Voilà une trame de base qui sent fort le réchauffé, et il faut bien avouer que la première heure de jeu fait peur tant elle ne prend pas de risque. Pourtant, c’est bel et bien grâce à son histoire, et surtout grâce à sa structure scénaristique, que Bravely Default II se démarque pendant les dizaines d’heures de jeux qui suivent.
Une modernité permanente
L’un des écueils que l’on peut faire aux JRPG old-school comme on pouvait en voir dans les années 90, c’est le rythme de la narration, qui semble étendre une histoire basique à l’infini en incorporant plein de sous-quêtes avec de nombreux personnages sans importance dans l’histoire final. Certes, un Dragon Quest VII dure 140h, mais avouons-le, la moitié du jeu ne fait pas vraiment avancer le schmilblick. Bravely Default II, c’est tout l’inverse. En ne s’attardant que sur l’essentiel, il parvient à nous faire rentrer dans son univers, que ce soit le passé, la politique, ou encore la vie et les craintes de chaque personnage. Même après avoir aidé une ville, vous y retournerez souvent pour voir les conséquences de vos actes, et même aider la ville à régler les nouveaux problèmes qui en découlent. Ainsi, vous n’avez pas l’impression d’enchaîner des missions sans en comprendre l’impact et vous pouvez ainsi observer le monde, et les autres personnages, évoluer pendant toute l’aventure.
Ainsi, alors que le début du jeu semble nous indiquer avec précision qui sont les gentils et qui sont les méchants, le chapitre 2 fait voler en éclat les certitudes, approfondissant chaque personnage à l’extrême. Pour donner une idée sans trop en dire, le couple de premiers boss que vous affrontez semble être des mercenaires lambdas qui ont soif de pouvoir. Pourtant, le reste du jeu (principalement via des quêtes secondaires) raconte leur évolution en filigrane, jusqu’à en faire des personnages attachants. Il faut dire que l’écriture de Bravely Default II ne manque pas d’humour et de légèreté, chose que l’on ressent aussi entre les quatre protagonistes. S’ils ne se connaissent pas au début (hormis Elvis et Adèle), on voit rapidement l’amitié se former entre chacun d’entre eux jusqu’à devenir une vraie bande de potes. Les conversations tournent souvent autour de la bouffe ou de la boisson, mais c’est justement ce qu’on attend de quatre amis, et cette fraîcheur permet de faire passer les heures encore plus rapidement.
Un système de combat génial
Mais soit, assez parlé de l’univers : un JRPG se doit d’avoir un système de combat et d’évolution attractif. En effet, puisqu’il s’agît de tour par tour, on sait déjà que la stratégie est le maître-mot pour gagner chaque confrontation, et Bravely Default II a les armes pour être original. On retrouve donc le système de Brave et de Default, qui se résume en la possibilité de prendre des tours en avance ou de sauvegarder des tours pour plus tard. Une sorte de pari qui permet d’enchaîner les attaques dans les moments opportun ou de se préparer pour les grosses offensives ennemis par exemple. Ne jamais gaspiller ses tours est souvent une nécessité, surtout contre les boss qui peuvent retourner une situation en un instant d’inattention de la part du joueur. Il faut dire que ces derniers peuvent aussi utiliser le système de Brave et de Default, ce qui veut dire que vous n’êtes jamais à l’abri de les voir enchaîner 4 tours d’un coup ! Ce simple principe instauré par le premier épisode est, selon moi, l’une des meilleures évolutions du combat au tour par tour depuis la barre ATB (elle aussi présente, soit dit en passant).
A cela, il faut ajouter le système de classe (appelé Astérisque dans l’univers Bravely Default), qui malgré des contours simplistes dévoile rapidement sa profondeur. Chaque classe (24 en tout) se divise en niveaux pour autant de compétences, actives ou passives. A tout moment, vous pouvez cumuler deux classes, une primaire et l’autre secondaire. Si la primaire régit vos stats, votre maniement de chacune des classes d’armes, vos compétences spéciales et vos compétences actives, vous avez aussi accès à toutes les compétences actives de votre deuxième classe. Vu que vous pouvez interchanger vos classes à tout moment hors combat, cela donne 529 possibilités de combinaisons ! Un mage qui peut aussi capturer les monstres, un voleur qui chante comme un barde, c’est vous qui voyez ce que vous voulez faire avec chacun des quatre persos, vous adaptant à la situation comme bon vous semble. De plus, chaque personnage dispose de cinq compartiments supplémentaires pour placer les compétences passives qu’il a appris, sans restriction de classe. En somme, chaque perso est customisable à l’infini et vous pouvez passer quelques heures à peaufiner votre équipe si cela vous chante.
Tout est dans le rythme
Comme nous vous le disions en début d’article, Bravely Default II se pose comme un JRPG old-school qui évite les écueils faits habituellement aux jeux du genre. Et les jeux du genre, justement, ont souvent été accusés d’être redondants, que ce soit à cause de quêtes annexes dites FEDEX ou de périodes intensives de farming qui n’ont rien de fun. Là encore, Bravely Default II s’en sort avec brio. Si le jeu propose de très nombreuses quêtes annexes, les quêtes dîtes FEDEX sont très peu nombreuses. A vrai dire, la plupart approfondissent les personnages et deux d’entre elles débouchent carrément sur des astérisques supplémentaires ! Si ces quêtes annexes ne sont, comme leur nom l’indique, pas obligatoire, elles font partie intégrante de l’histoire et il serait bête de passer à côté. A vrai dire, filer tout droit peu même vous faire rater le jeu de cartes B&D (pour Barrage et Domination), un jeu dans le jeu qui vous prendra des heures de votre temps à lui tout seul.
En somme, tout comme le Triple Triad, Le B&D peut se jouer avec de nombreux PNJ à travers le monde de Bravely Default. Et comme le Triple Triad, vous pouvez gagner des cartes du deck adverse en cas de victoire, mais aussi perdre des cartes en cas de défaite. Dans la pratique, il faut le voir comme une sorte d’Otello évolué. Vous placez des cartes sur un plateau de 5x5 cases pour tenter d’avoir plus de cases que l’adversaire à la fin de la partie. Chaque carte à un effet différent et il existe même un système de classe de cartes qui peuvent être boostés par des effets par exemple. Stratégique et fun, le B&D est une vraie réussite en soit qui mérite largement que vous vous y attardiez. De quoi varier encore plus la trame du jeu grâce à ces récréations bienvenues.
Bravely Default II : B&D, le jeu de cartes à la Triple Triad
Même lorsque l’on parle de farming, Bravely Default II se veut être un excellent élève du genre. Première chose, vous pouvez toujours multiplier la vitesse des animations en combat jusqu’à x4, ce qui est, vous le devinez, très rapide. Mieux encore, via des objets spécifiques, vous pouvez enchaîner les confrontations sans repasser par la map, ce qui a pour bénéfice de multiplier les PC reçus, ceux-là mêmes qui vous font gagner des niveaux de classe. Ajouter à cela des objets et compétences pour booster les récompenses de combat, ainsi qu’une compétence assez tard dans le jeu qui permet de tuer automatiquement tous les monstres 20 niveaux en dessous du votre tout en gagnant toutes les récompenses et vous avez un système d’évolution qui n’est jamais barbant. Une feature supplémentaire continue d’ailleurs dans cette idée - les expéditions - grâce auxquelles vous pouvez gagner des objets pour améliorer vos persos pendant que la console est en veille ! Cela fait beaucoup d’outils anti-frustration, à un point où l’on arrive à se demander si Bravely Default II n’est pas allé trop loin. En effet, si vous abusez de tout cela pour engranger rapidement de l’expérience et des PC, il n’est pas impossible que vous rouliez rapidement sur le jeu. S’il est possible de changer la difficulté à tout moment, on conseillera aux joueurs d’expérience de jouer en mode difficile, et de se réfréner à trop farmer.
D’une beauté insolante, d’une technique insultante
La patte artistique de Bravely Default premier du nom avait tapé dans l’oeil de nombreux joueurs grâce aux artworks, dans le sens littéral du terme, qui représentaient les villes et villages du jeu. Bravely Default II continue dans cette lignée avec ces magnifiques visuels dans lesquelles nous naviguons avec plaisir. Il est toujours amusant de voir nos personnages 3D évoluer dans ces dessins en 2D, mais le résultat reste saisissant bien que, forcément, statique. Cependant, il ne faut pas s’y méprendre : on ne peut pas dire que Bravely Default II est un beau jeu dans l’ensemble. En effet, la technique est clairement au second plan, avec un aliasing tellement permanent qu’il se rapproche du bug visuel. Les cheveux, les arbres... Dès que notre œil croise le bord d’un modèle 3D, il est agressé par un effet de brillance qui clignote dès que la caméra bouge. C’est fort dommage, d’autant que le titre n’est même pas d’une extraordinaire fluidité avec quelque chutes de framerate dans les environnements les plus vastes. Bien que cela ne vient jamais gâcher le gameplay, cela reste des plus notables, au moins sur téléviseur vu ces défauts sautent moins aux yeux en version portable.
Bravely Default II : Combats à haut niveau
Pour revenir au domaine artistique, un élément qui ne souffre d’aucun écueil est la musique, par Revo, l’artiste qui avait déjà officié sur le premier opus. Si vous connaissez un minimum le bonhomme (qui a aussi travaillé sur L’Attaque des Titans), vous savez déjà que l’on est sur une valeur sûre. A vrai dire, Bravely Default II est bien au-delà de ça : aucun morceau n’est à mettre à la poubelle et si on sent une inspiration Uematsu bien volontaire sur quelques morceaux comme les combats, d’autres musiques se démarquent avec force, surtout quand on approche de la fin du jeu. Il s’agît d’une des excellentes BO de JRPG de ces dernières années, même si nous ne la mettrons pas au niveau d’un Final Fantasy 7 Remake ou d’un Xenoblade Chronicles 2 pour citer des chefs d’oeuvre en leur genre.
Pour finir, sachez que Bravely Default II a une durée de vie tout à fait respectable. Bien qu’il soit possible de tracer une ligne droite en 50h, il serait hérétique de ne pas faire les quêtes annexes qui proposent un contenu que beaucoup de jeux auraient proposés dans leur trame principale. Si vous voulez aller au bout du bout, vous pouvez dépasser les 100h. D’ailleurs, sachez que de nombreux ennemis bien plus fort que le combat final vous attendent, même si là encore, le vieux briscard que je suis aurait aimé un poil plus de challenge. Enfin, sachez que je ne vous ai pas tout dit concernant Bravely Default et sa fin. Parce que je n’aime pas spoiler, je n’en dirais pas plus, mais j’espère juste avoir éveillé votre curiosité…
Points forts
- Un des meilleurs systèmes de combat au tour par tour
- Les nombreuses combinaisons de classes et de compétences
- La structure narrative dense et surprenante, jusqu’au bout
- L’humour et la légèreté des conversations
- Parfait pour les fans de JRPG old-school
- L’excellent jeu de carte B&D
- Les quêtes annexes aussi importantes que la quête principale
- Les outils anti-frustration, notamment pour éviter le farming
- Les musiques de Revo
- Les artworks en guise de villes/villages
Points faibles
- L’aliasing et la technique très en retard
- Les chutes de framerate
- Un petit manque de challenge vers la fin
- On aurait aimé jouer au B&D avec d’autres joueurs en ligne
- Les donjons assez classiques
Bravely Default II est l’apogée du JRPG old-school. En délivrant ce qui fait le charme des œuvres d’antan tout en mettant au goût du jour la trame scénaristique, le rythme et le ton général, il réussit un vrai tour de force. Chaque personnage gagne en densité au fil de l’aventure et les sujets abordés n’épargnent pas des thèmes comme la mort ou la religion, parfois avec un regard plutôt sombre. Pourtant, c’est par sa légèreté et son tempo effréné qu’il emportera les joueurs dans son monde, à tel point qu’on ne voit pas le temps passer. S’il est parfois à la peine d’un point de vue purement technique, il propose toutefois quelques visuels de grande beauté et une bande-son au top avec de nombreuses variations pour ne jamais lasser. Sans conteste possible, Bravely Default II est une réussite exceptionnelle qui mérite sa place dans votre ludothèque Nintendo Switch.