Après une période de deux ans en accès anticipé, Visage vient de sortir en version définitive. Développé par la petite équipe indépendante de SadSquare Studio, cette expérience d'horreur psychologique, qui sait quels leviers activer pour susciter l'effroi chez le joueur, revendique ses inspirations qui empruntent autant au jeu vidéo qu'au cinéma, P.T. et Silent Hill en tête.
Activités Paranormales
Difficile d'évoquer les surprises de Visage sans en spoiler la découverte, toutefois, nous nous efforcerons de préserver un maximum de suspens pour ne pas vous gâcher les éléments clefs du jeu, en nous attardant essentiellement sur son premier chapitre, sur les 3 qu'il comporte en plus de son gros épilogue.
Après une introduction coup de poing, que nous déconseillons d'ailleurs très fortement aux âmes sensibles et qui a pour mérite de fixer le ton particulièrement sombre et radical du jeu, votre personnage, muet et sans identité, franchi la porte d'un grenier et se trouve à l'étage d'une très grande maison, manifestement vidée de ses habitants. À l'exception de quelques planches de tutoriel, vous indiquant notamment que rester trop longtemps dans l'obscurité aura pour conséquence de faire chuter votre santé mentale et ainsi multiplier les manifestations surnaturelles et, donc, vos chances de mort, Visage n'est assurément pas un jeu qui vous prend par la main. Il vous appartiendra de comprendre les mécaniques de ce titre, que l'on pourrait considérer comme une sorte de microanthologie surnaturelle, dont chaque chapitre raconte une histoire différente, mais ayant pour point commun de trouver leur point de départ dans la maison du jeu.
Les 13 premières minutes de jeu (âmes sensibles s'abstenir)
Ainsi, en explorant à votre guise la demeure, vous tomberez par exemple sur un dessin de Panda accroché à une porte, ce qui a pour effet - le jeu vous l'indique clairement – de déclencher le premier chapitre, que vous serez obligé de terminer avant de passer au suivant, sachant qu'au départ, deux segments sont disponibles et qu'ils peuvent être abordés dans l'ordre de votre convenance. Sans pour autant quitter la maison, le lancement de chapitre modifiera certains lieux ou déclenchera certains scripts qui vous guideront pour évoluer au sein de l'histoire, racontée d'une manière assez obscure par le biais de séquences souvent superbement mises en scène, vous donnant des clefs de compréhension des drames qu'a vécus telle ou telle personne, chaque chapitre étant lié à l'histoire d'un protagoniste particulier qui sera aussi votre Némésis.
Le grand frisson ?
Le premier chapitre (celui que nous avons fait en premier, dans tous les cas) racontait l'histoire de Lucy, une fillette à qui il est manifestement arrivé malheur. Ainsi, si vous si vous restez trop statique ou trop dans l'obscurité, les manifestations surnaturelles liées à la jeune fille, très « ringesque », se multiplieront et si vous avez le malheur de trop vous en rapprocher, c'est le game over et le retour au checkpoint précédent. Il faut donc faire preuve d'une mobilité constante, donnant un certain sentiment d'urgence pas désagréable au jeu. Mais c'est dans sa structure même que se trouve la force comme la faiblesse de Visage, structure qui ne sera pas au goût de tout le monde et encore moins au goût des joueurs les plus pressés.
Effectivement, Visage n'est finalement qu'une succession de scripts, et il vous appartient de comprendre comment les déclencher, que ce soit par l'observation d'événements anormaux, par l'orientation que vous donneront certains sons (la plupart du temps inquiétants, bien entendu) ou encore la manipulation, de certains éléments du décor ou l'utilisation d'une poignée d'objets dans votre inventaire. Par exemple, en rentrant dans une pièce où la télévision est allumée, prendre le temps de rester un peu sur place et tenter de rallumer le poste vous permettra de distinguer sans trop en être certain une silhouette se tenant inerte dans un recoin sombre du sous-sol que vous venez de traverser. En vous y rendant pour en avoir le cœur net, vous commencerez à entendre des râles bestiaux et humains à la fois, dans la veine des sons de The Grudge, et vous rendrez compte qu'un appareil photo dont le flash se déclenche seul vient de faire son apparition dans la pièce. À vous alors de vous en équiper afin de vous servir du flash autant comme d'une source d'éclairage fugace (et donc tout à fait à propos pour faire apparaître puis disparaître des formes dérangeantes sous vos yeux) que comme d'un guide révélant des indices que la lumière naturelle ne permet pas de voir.
Sa structure : sa force et sa faiblesse
Visage se déroulera donc souvent ainsi, et parvient, à chacun de ses chapitres et chacune de ses séquences, à varier les manières de faire progresser l'aventure. Cette diversité est sans doute facilitée par une dimension parfois surréaliste, qui vous fera parfois quitter les murs cohérents de la maison pour vous plonger dans un extérieur que l'on croirait issu de Silent Hill ou dans des pièces à l'architecture improbable qui se modifie en fonction des actions que vous y réalisez. Dans l'ensemble donc, les petits puzzles se renouvellent assez agréablement et offrent une vraie diversité à l'expérience de Visage, qui a bien entendu pour principale force de savoir parfaitement tirer les ficelles de l'horreur pour créer le frisson ainsi qu'une tension constante.
Que ce soit grâce aux éclairages, à une science de la mise en scène très affûtée ou un sound design qui ne manquera pas de vous glacer le sang, Visage est une expérience très intense, quasiment d'un bout à l'autre de l'aventure. Sorte de PT augmenté, le titre de SadSquare Studio déploie tout un tas de trouvailles, certes la plupart du temps déjà vues dans divers films ou jeu, pour façonner une expérience malsaine et anxiogène. Si l'on sent clairement les multiples influences qui ont régi le développement du jeu, elles sont suffisamment bien digérées pour faire de Visage une aventure horrifique dotée d'une vraie personnalité.
Cependant, comme nous l'évoquions plus haut, la philosophie générale qui régit la progression demandera d'être un minimum méticuleux dans l'observation des différentes pièces traversées et de bien imprimer la cartographie des lieux traversés afin de s'épargner de vrais moments d’errement et d'allers-retours incessants dans chaque recoin des pièces accessibles pour tenter de dénicher la petite interaction qui enclenchera la suite des événements. Si, globalement, les lieux sont assez ramassés et que le titre verrouille parfois l'accès à certaines portions de la maison pour éviter que le joueur ne s'éloigne trop des points d'intérêts à dénicher, le joueur un peu pressé pourra se retrouver parfois désoeuvré, et errer sans but dans toutes les pièces pour enfin apercevoir quelque chose qui se serait soustrait à sa vigilance. Ajoutez à cela quelques bugs (en passe d'être corrigés à l'heure où nous écrivons ces lignes) qui font parfois disparaître des objets cruciaux et vous comprendrez que la frustration est aussi une possibilité dans Visage, ce qui pourrait porter un coup à l'immersion faute d'une fluidité dans la progression un peu mieux calibrée.
En outre, au registre des imperfections, nous pourrions souligner les problèmes d'optimisation du jeu, qui parviennent à faire ramer des configurations solides, et surtout un système de gestion de l'inventaire (essentiellement des consommables) assez laborieuse. Effectivement, vous ne pouvez équiper qu'un objet par main et embarquer 4 objets dits dynamiques avec vous. Briquets, bougies, lampes ou pilules rétablissant votre santé mentale sont autant d'éléments qui seront indispensables tout au long de l'aventure. Cependant, si vous avez le malheur d'équiper un objet à deux mains, passer d'un objet à l'autre (un briquet + utilisation d'une masse ou d'une barre à mine, par exemple) ne se fait au prix que de manipulations assez lourdes et trop peu intuitives. Est-ce là une raison suffisante pour bouder cette expérience horrifique très bien brossée ? Certainement pas.
Points forts
- Une très belle science de la mise en scène
- Un jeu tout en tension, parfois très intense
- Des énigmes et des situations qui se renouvellent sans cesse ou presque
- Sound Design impeccable
- Souvent inspiré esthétiquement
Points faibles
- Une structure de scripts à déclencher qui pourra déplaire
- Il ne faut pas rechigner aux allers-retours
- Gestion de l'inventaire à revoir entièrement
- Manque de finition (bugs, optimisation)
S'il divisera dans sa structure parfois peu claire et son approche assez lente du jeu d'horreur, et qu'il gagnera à être mieux optimisé comme son inventaire à être remanié, Visage offre une expérience horrifique de très bonne facture. En tirant des ficelles certes classiques, mais éprouvées du registre horrifique, prouvant que digérer intelligemment des influences permet de se façonner une véritable identité, Visage connaît de grandes fulgurances et offre de vrais moments d'effroi, dans une expérience assez longue (comptez 8/10h environ) qui sait renouveler sa mise en scène, ses frissons et ses énigmes. Clairement recommandé pour tous les fans de jeux d'horreur.