Pour beaucoup, Mafia 3 a constitué le premier contact avec la franchise, sans pour autant que celui-ci soit représentatif de l'essence qui a fait le succès de la saga. Difficile néanmoins de reprocher à celles et ceux qui « n'étaient pas là » lors de la sortie du premier opus de ne jamais avoir eu le courage de s'y essayer, le titre d'Illusion Softworks ayant plutôt mal supporté les 18 ans qu'il célèbre d'ailleurs cette année. C'est pourquoi Hangar 13, responsable de Mafia 3, s'est attelé à remanier en profondeur l'épisode fondateur de la saga afin de le rendre accessible à toutes et tous, tout en préservant la recette qui a fait son succès. Pari réussi ?
Pour commencer par l'aspect le plus trivial, il n'est pas inutile de clarifier l'offre proposée par 2K concernant la trilogie Mafia. En l'occurrence, ce remake sobrement baptisé Mafia Definitive Edition, pourra être acheté seul pour environ 40 € mais sera également inclus dans Mafia Trilogy, qui embarquera également les deuxième et troisième volets ainsi que leurs DLC respectifs. Ceci étant précisé, attardons-nous maintenant sur ce que ce remake a dans le ventre et surtout, si l'équilibre entre modernité et respect de l'oeuvre originale a été savamment dosé.
Une ville entièrement refondue
La chose la plus évidente et la plus regardée au premier abord lorsque l'on évoque un remake est bien évidemment la refonte graphique. En l'occurrence, cette dernière est totale. Autrefois assez vide et, époque oblige, plutôt uniforme et gavée de clipping, la ville fictive de Lost Heaven a fait peau neuve. La population s'avère nettement plus dense qu'auparavant, et un travail à saluer sur les effets de lumière permet aux différents quartiers de proposer des atmosphères vraiment différentes. Souvent joli dans ses panoramas, Mafia Definitive Edition pèche cependant par un clipping toujours assez présent, surtout sur consoles, et par des contrastes parfois un peu exagérés, notamment lors du passage d'un extérieur ensoleillé à un intérieur sombre. Pas franchement gênant à pied, ce point l'est davantage lors du passage sous un pont de la ville, alors que la moitié des forces de l'ordre vous collent au train. Une fois introduit dans le tunnel, il faudra une petite poignée de secondes avant d'y voir plus clair, secondes pendant lesquelles vous prierez pour que votre chemin ne croise pas celui d'un autre véhicule, vous conduisant le cas échéant à l'inévitable collision qui vous coûtera la réussite de votre fuite. Pas de quoi gâcher fondamentalement l'expérience, toutefois, ces écueils s'avérant assez ponctuels.
Si, lors de notre preview, nous avions principalement émis des réserves quant aux animations faciales, notre version de test s'est avérée plus convaincante. Sans pour autant être en accord avec les canons du jeu vidéo actuel sur ce point, les différents protagonistes sont toutefois plus expressifs qu'auparavant (à l'exception des regards, souvent un peu vides), ce qui n'est assurément pas un mal dans un jeu dont le principal intérêt réside dans son histoire et les personnages qui la racontent. Certes, tout n'est pas au beau fixe, et les moments de colère ne sont pas toujours d'une crédibilité à toute épreuve, au même titre d'ailleurs que certaines animations corporelles, un peu rigides. La descente d'escaliers un rien simiesque des personnages ou l'ouverture très rigide d'une porte de voiture sont autant d'éléments mettant en exergue un petit manque de finition qui plane au-dessus de cette Definitive Edition.
De bien étranges scripts de dialogues
Cette finition s'avère surtout « problématique » lors du déclenchement de certains scripts de dialogues, qui manquent clairement de naturel. Si, lors d'une conversation en voiture, une collision coupe le monologue d'un passager, ce dernier s'interrompra, déclarera, une fois les choses calmées : « ah oui, qu'est ce que je disais au fait ? » (comme le veut désormais la coutume), et reprendra sa phrase de départ avec la même intonation que lorsqu'elle a été interrompue. Dans une course poursuite, entendre Paulie hurler d'aller plus vite et expliquer l'endroit où l'on doit se rendre, puis s'interrompre pour subitement dire sur le ton de la plaisanterie, lors d'une collision : « c'est comme ça que tu conduis ton taxi Tommy ? » pour ensuite reprendre ses indications depuis le début en recommençant à hurler manque assurément de naturel et déclenche parfois le pouffement involontaire du joueur. Notez d'ailleurs qu'il existe quelques petits soucis au niveau du doublage, intégralement refait, certaines voix n'étant pas prêtées aux bons personnages sur quelques phrases et assez ponctuellement. Ces soucis, assez récurrents lors des phases de conduite, ne doivent cependant pas vous faire oublier que le travail de doublage français (et anglais) sur cet épisode est presque exempt de tout reproche. À l'exception de quelques lignes de dialogues, on y croit, et c'est bien là l'essentiel, car l'histoire de Mafia a elle aussi profité d'une refonte, plus nuancée que le remaniement visuel, mais tout aussi importante, autant pour les vétérans que pour les nouveaux venus dans la famille Salieri.
Une ambiance que l'on se plaît à retrouver
Pour le bref rappel des faits, si vous découvrez cet épisode avec ce remake, Mafia raconte l'histoire de Tommy Angelo, simple chauffeur de taxi peinant à boucler ses fins de mois dans la cité de Lost Heaven, au cœur de l'Amérique des années 30 et de la prohibition. Un soir de travail, Tommy tombe sur Paulie et Sam, deux gangsters en fuite qui lui demandent, sous la menace d'une arme, de semer leurs assaillants. De fil en aiguille, Tommy intégrera et fera sa place au cœur de la famille Salieri, en proie à une guerre latente contre Morello, autre parrain de la pègre ayant étendu son contrôle sur une bonne partie de la ville et de ses fonctionnaires. Partant de cette histoire, somme toute assez classique, Mafia coche toutes les cases de ce que l'on attend d'un bon film de mafieux. Sens de la famille, personnages attachants, romance, trahison, conspiration, violence... tous les ingrédients qui ont fait le succès de l'épisode original répondent ici présents, mais profitent d'un traitement plus profond qui fait vraiment honneur au matériel de base.
Une journée de travail presque ordinaire
Lorsque Hangar 13 a déclaré avoir façonné une « histoire étendue », nous pouvions craindre qu'il disperse trop une histoire qui était parfaitement cadrée à la base, notamment en ajoutant des collectibles ou en se servant du monde ouvert comme d'un prétexte à des quêtes annexes. Fort heureusement, à l'image de l'épisode de 2002, le monde ouvert n'est qu'un atout favorisant l'immersion, rien de plus. Vous pourrez même, si vous le souhaitez, activer une option qui vous permet de sauter les trajets en voiture qui vous conduisent vers votre prochain point de mission, ce que nous ne vous recommandons cependant pas. L'immersion dans la ville, et y conduire, fait assurément partie du charme et de la relative lenteur de Mafia. Il faut bien le garder à l'esprit, Mafia est un jeu narratif avant tout et Hangar 13 a bien compris que céder aux sirènes de l'open world au sens où on l'entend aujourd'hui n'était pas le meilleur format pour un jeu tel que celui-ci. Il en a d'ailleurs fait les frais sur Mafia 3. Ici, toute la refonte n'a été amorcée que pour renforcer la profondeur des relations qui unissent les différents protagonistes de l'histoire.
Un grand soin apporté à la réécriture du jeu
Dans l'ensemble, la trame est parfaitement respectée, vous jouerez (quasiment) les mêmes missions, croiserez les mêmes personnages et visiterez les mêmes environnements que dans le jeu d'origine. Cependant, un gros travail de réécriture a été effectué. Si l'esprit de ce qui est déclaré au cours des cut scene et des dialogues en jeu est respecté, la lettre, elle, a gagné en épaisseur. Les actions sont plus justifiées, les relations entre les personnages, plus crédibles et surtout plus subtiles. L'insertion de quelques nouvelles cut-scene et de quelques moments de vie participe indubitablement à faire de ce nouveau Mafia une expérience aussi poignante, sinon plus, que l'originale, que l'on prend plaisir à parcourir pendant environ 10 heures. Si un élément important de l'intrigue a été modifié, nous nous garderons bien de vous révéler lequel, c'est là encore pour favoriser la crédibilité d'un tournant opéré dans l'histoire du jeu, ce qui ne devrait pas choquer les plus fervents défenseurs du titre de 2002.
Un remaniement a également été opéré dans la structure de certaines missions, qui ont été parfois rallongées pour nous offrir des scènes d'action plutôt intenses tandis que d'autres ont été raccourcies au profit de cut-scene expliquant les motivations des personnages d'une manière plus cinématographique et un peu moins interactive. Et si l'on pourrait, sur le papier, pester contre ce parti pris, dans les faits, il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que ces choix narratifs profitent au jeu plus qu'ils ne le desservent. Cette histoire étendue est donc une réussite et la réinterprétation de nombreux dialogues était nécessaire, les facilités d'écriture étant plus facilement acceptables il y a 18 ans qu'aujourd'hui, surtout à l'ère d'une emphase généralisée portée à la narration dans le jeu vidéo actuel. Ainsi l'intrigue sonne plus juste, les personnages gagnent en épaisseur et leurs motivations comme leurs doutes sonnent plus « vrais ». Assez palpable tout au long de l'aventure, l'écriture étendue saute au visage lors d'un épilogue assez mémorable, faisant un lien idéal entre cet opus et le deuxième de Mafia. En somme, s'il était un point sur lequel les équipes de Hangar 13 n'avaient pas le droit à l'erreur, c'était celui-ci et, grand bien nous en fasse, le challenge a été relevé avec brio.
Un gameplay qui gagne en fluidité
Et bien évidemment, faire un remake de Mafia revenait fatalement à en rectifier le gameplay, qui, lui aussi, ne laissait rien passer dans son approche simulation en son temps. Effectivement, la version d'origine ne brillait pas vraiment par ses gunfights, assez rudimentaires, ni par sa conduite, particulièrement lourde. Si cette dernière était justifiée par un souci de réalisme faisant des véhicules de l'époque de véritables paquebots à conduire, il était aujourd'hui presque impensable de reproduire à l'identique une telle approche. Les courses poursuites de l'époque étaient d'une grande lourdeur et si ce point était acceptable pour le public d'il y a 18 ans, un nouveau venu pourrait sans conteste être rebuté par ces séquences proches de l'immaniable aujourd'hui. Ainsi la conduite est-elle devenue plus fluide et véloce, même si les fusillades au volant ne procurent pas d'excellentes sensations. Sans être de parfaits bolides, certaines voitures étant de vraies tortues, d'autres sont en revanche plus réactives et la sensation de vitesse qu'elles procurent largement améliorée, rendant ainsi les (nombreux) allers-retours plus agréables à traverser qu'auparavant. Ne vous attendez cependant pas à piloter des véhicules modernes en termes de sensations, Mafia se situe dans les années 30, avec les lourdeurs qui vont toutefois avec, aussi améliorées soient-elles. Notez d'ailleurs qu'en mode « normal », vous profiterez d'indications supplémentaires sur votre HUD. Dépourvu de GPS en son temps, et demandant donc de s'orienter en permanence avec la carte intégrée de Lost Heaven, Mafia Definitive Edition joue la carte du confort en vous guidant explicitement vers votre point de rendez-vous.
Extrait d'une séquence de combat
Notez que les puristes regretteront sans doute que même le mode de difficulté « classique » ne permette pas de supprimer le GPS et que le mode de conduite « simulation » ne change pas vraiment les sensations au volant, du moins, pas au point de retrouver la lourdeur de l'époque. L'expérience classique change simplement quelques indications sur votre interface, la perte des munitions du chargeur lorsque vous changez de magasin d'arme, et bien sûr la réactivité de la police. Cette dernière pourra être beaucoup plus réactive et vous verbaliser en cas de collision ou en cas de feu rouge négligé si vous choisissez l'option la plus proche de l'expérience originale. Mais d'une manière comme d'une autre, vous devrez toujours veiller à activer votre limiteur de vitesse pour vous éviter des contrôles de police impromptus, les excès de vitesse étant, eux, un tronc commun aux modes de difficulté du jeu, sans être franchement handicapants pour la fluidité de l'expérience.
Une course pas trop académique
Côté combats, Mafia Definitive Edition rempli convenablement son cahier des charges sans pour autant être renversant. Si les combats ont plus de punch que lors de notre session preview, ils restent assez classiques, fournissent un système de couvert plutôt simple et efficace, mais ne marqueront assurément pas les mémoires, comme c'était d'ailleurs le cas à l'époque de la sortie du premier opus. Si l'approche frontale se traverse sans déplaisir, l'infiltration s'en sort moins bien, et quelques-unes de ses séquences peuvent s'avérer pénibles, essentiellement en raison d'une intelligence artificielle clairement pas au point. Le comportement des adversaires est souvent imprévisible et surtout incohérent. La saga Mafia n'a jamais brillé par son IA, et cet épisode ne changera rien à l'affaire.
Enfin, parfois, il faut bien l'avouer, Mafia Definitive Edition nous rappelle qu'il est un remake d'un jeu vieux de presque 20 ans. Au-delà de sa technique, ou de son IA, c'est aussi parfois dans sa crédibilité que le jeu peut être pris en défaut. Effectivement, difficile d'accepter aujourd'hui qu'un Tommy fasse exploser un bâtiment, éradique à coups de fusil Thompson la moitié des forces de l'ordre de la ville et que, en se cachant derrière un mur hors de portée des policiers qu'il vient de semer, déclenche la fin des recherches, lui permettant ainsi de se promener tranquillement dans les rues de la ville, au nez et à la barbe des flics auxquels il vient d'échapper. Ce sont ces petites incohérences dans un monde qui l'est pourtant beaucoup qui mettent en exergue un décalage entre sérieux du ton et cohésion de l'ensemble. Pas de quoi cependant bouder son plaisir, si l'on accepte ses quelques pépins techniques et certaines de ses lacunes, Mafia Definitive Edition est un remake respectueux et réussi d'une œuvre qui a marqué son époque.
Points forts
- Un travail de réécriture impeccable
- Une refonte visuelle la plupart du temps réussie
- Des ajouts de dialogues, de cut-scenes ou de séquences de jeu toujours bien sentis
- Excellents doublages, en VF comme en VO
- Toujours cette atmosphère incomparable
- Une bande-son impeccable
- La conduite remaniée, enfin agréable
- Les combats repensés, classiques, mais assez efficaces
- Aujourd'hui très à propos pour découvrir, ou redécouvrir le jeu
Points faibles
- Beaucoup de clipping sur consoles
- Animations faciales et corporelles peu convaincantes
- IA des adversaires totalement à revoir
- Quelques bugs ici et là, des déclenchements de scripts de dialogues parfois peu naturels
- Parfois vieillissant dans la structure de certaines missions
Si l'on excepte ses quelques pépins techniques et sa structure qui parfois fait sentir l'âge du jeu dont il s'est inspiré, ce remake de Mafia est une réussite. Outre la refonte graphique, la modernisation de la conduite et des gunfights, c'est essentiellement le remaniement des dialogues, l'ajout de cut-scenes ou de certaines séquences de jeu entièrement repensées qui font la force de cette Definitive Edition. Mafia a enfin retrouvé de sa superbe et ce remake sera un très bon point d'entrée pour quiconque désirerait découvrir un jeu qui a marqué son époque, avec un peu d'indulgence, tandis que les fans apprécieront ce coup de jeune qui ne trahit jamais l'essence de l'expérience originale, tout en la modernisant en dépit de ses aspects parfois vieillissants.