Tenter de mêler harmonieusement jeu de gestion à grand coup de choix stratégiques et structure narrative à choix multiples est un exercice délicat tant un pan du jeu peut prendre le pas sur l'autre. C'est à ce défi que s'est attelé le petit studio No More Robots, qui parvient à livrer un jeu pas tout à fait à la hauteur de ses promesses, mais qui s'avère une expérience charmante.
Bande-annonce de Yes, Your Grace
Triste mais noble sire
Yes, Your Grace vous place dans les chausses du Roi Eryk, monarque du Royaume de Davern. En votre qualité de guide du peuple, vous devrez vous occuper des différentes doléances des habitants des villages avoisinants votre Royaume. Pour la plupart du temps banales, les requêtes des paysans et autres marchands vous demanderont de ponctionner certaines de vos ressources, si toutefois vous consentez à les aider. Les principaux leviers à activer pour satisfaire aux exigences du peuple reposent sur l'argent et la nourriture. Ici, un paysan a vu tout son bétail dévoré par un loup : vous pouvez choisir de prélever vos provisions pour compenser sa perte, lui octroyer un peu d'or pour qu'il puisse s'acheter un nouveau cheptel ou tout simplement l'envoyer paître, sans mauvais de jeu de mots. Une fois toutes les doléances traitées, un peu à la manière d'un Papers, Please, vous aurez tout loisir de vous promener dans différentes zones de votre château au cœur duquel votre femme et vos trois filles résident en permanence. C'est alors l'occasion de troquer votre couronne de Roi contre le rôle de père de famille et vous devrez gérer les querelles de la sororité, vous occuper de menues réparations de vos fortifications ou passer au cachot interroger éventuellement les prisonniers que vous avez faits au cours de la session de doléances. Vous disposerez également d'agents (chasseur, sorcière, général) qui peuvent être affectés à différentes missions dans les villages environnants ou être envoyés en assistance à vos sujets à la place d'une aide pécuniaire ou alimentaire, mais il vous faudra naturellement rémunérer cette main d'œuvre.
Une question de ressources
La gestion des comptes est un pilier de Yes, Your Grace et, une fois toutes vos tâches accomplies, tâches qui durent une semaine en jeu, vous accéderez à un tableau faisant état des dépenses à prendre en compte pour la semaine suivante. Vos sources de revenus sont diverses. La plupart viennent des impôts prélevés sur la population, qui sera d'ailleurs plus prompte à en verser si vous parvenez à maintenir un certain degré de satisfaction de cette dernière et sur laquelle vous pouvez influer en résolvant ou non ses problèmes. Quelques négociations avec des marchands peu scrupuleux ou une famille reconnaissante pourront vous offrir quelques pièces ou provisions supplémentaires. Il s'agira alors de faire le calcul rapidement pour savoir si vous pourrez vous offrir les réparations de votre donjon ou le renforcement de vos défenses tout en vous préservant suffisamment de trésorerie pour faire face à quelques imprévus.
Car des imprévus, il y en a beaucoup dans Yes, Your Grace. Sans trop vous en révéler, sachez que vous serez très rapidement, presque au début du jeu, confronté à la nécessité de vous constituer une armée face à un agresseur inattendu. Et c'est là que reposera tout le sel du titre. En plus des obligations d'entretien de votre armée, qui grèvera chaque semaine vos comptes, vous devrez compiler avec les rois environnants afin de forger des alliances. Votre royaume n'est plus ce qu'il était et votre armée seule ne saurait être suffisante pour venir à bout de l'ennemi. Allez-vous choisir d'offrir la main de votre fille aînée contre l'armée du royaume voisin ? Allez-vous exécuter un belligérant ou plutôt choisir de le mettre au cachot ? Convoquerez-vous le bon allié au bon moment pour vous aménager ses faveurs ? Autant de décisions qui paraissent anodines sur le moment, mais qui peuvent avoir des conséquences à long terme.
La narration au profit de la gestion
Les semaines passant, vous aurez à continuer à vous occuper des doléances, mais également gérer les crises familiales, l'ensemble étant suffisamment bien écrit pour donner de l'épaisseur aux personnages et beaucoup de charme au royaume dont les occupants sont particulièrement attachants. L'implication du joueur est donc de tout instant et si malheureusement il est assez aisé de ne lire qu'en diagonale certaines requêtes du peuple, celles-ci se ressemblant un peu toutes, pour arriver rapidement à la décision à prendre, vous comprendrez vite qu'il ne sera pas possible d'accéder à toutes les demandes et qu'il vous appartiendra de choisir dans quelle mesure il sera pertinent d'intervenir ou de vous abstenir de le faire.
Quelques autres séquences viennent rythmer le jeu, à l'image de scènes de bataille dont vous devez choisir le déroulement en fonction de vos préparatifs et donc du matériel mis à votre disposition pour repousser l'envahisseur. Même si ces séquences sont suffisamment bien mises en scène pour créer une véritable tension et que l'écriture du jeu vous permet de vous sentir réellement concerné par l'avenir de votre royaume, dans les faits, il semblerait que toutes les cartes aient été distribuées avant l'affrontement et qu'en définitive, vos manœuvres militaires le moment venu n'impactent que très faiblement l'issue du combat.
Car, en dépit de ses quelques mécaniques de gestion, Yes, Your Grace est un jeu majoritairement narratif et tous vos choix n'ont pas un impact significatif sur le déroulement de l'histoire. Ne vous y trompez cependant pas, il existe bien des fins différentes, de la plus tragique à la plus heureuse, comme nous avons pu le constater sur nos deux parties complètes du jeu, mais il est vain d'attendre du titre qu'il soit d'une richesse ahurissante d'embranchements. Oui, votre gestion du patrimoine peut influer sur l'issue d'une bataille, certaines décisions peuvent mettre en péril la perception que votre famille aura de vous et une politique trop cruelle ou trop laxiste impactera sensiblement certains éléments ponctuels du jeu à terme. Mais dans l'ensemble, une partie ressemble beaucoup à une autre. Est-ce cependant un drame ? Non, car Yes Your Grace déploie un pixel art charmant, une atmosphère paisible et sait créer un sentiment de lien entre le Roi que vous incarnez, son royaume, sa famille et ses sujets. Yes your Grace aurait donc gagné à être peut-être un peu plus diversifié dans ses choix et ses manières de traiter les doléances, mais il offre cependant une belle escapade, amusante et rafraîchissante pendant environ 5 heures dans ce royaume qu'il fait bon gouverner.
Points forts
- Un univers plaisant
- Personnages humains et attachants
- Un vrai sentiment de pression et d'implication du joueur sur une première partie
- Certains choix qui comptent vraiment
Points faibles
- Globalement assez dirigiste
- Finalement assez peu de prise sur le cours des événements majeurs
- Plutôt court (environ 5 heures)
- Doléances assez répétitives
Plus narratif que stratégique, Yes, Your Grace est un titre charmant, agréable à mener, qui compense un système de doléances un peu répétitif et un aspect gestion en retrait par une écriture soignée, développant des personnages attachants et des décisions parfois moralement difficiles à prendre, garantissant au joueur une implication de tout instant. Si tous les choix ne comptent pas véritablement et que l'ensemble s'avère plus dirigiste qu'il n'y paraît, l'escapade dans le royaume de Davern s'avère rafraîchissante et touchante, suffisamment en tout cas, pour que les amateurs de jeux narratifs basés sur les choix et conséquences y trouvent leur compte.