Près de dix ans après la sortie de son dernier jeu, Eric Chahi (From Dust, Another World…) revient avec Paper Beast, une exclusivité PSVR mêlant aventure et puzzle-game dans un monde aux créatures de papier. Le bougre est à pied d’oeuvre depuis 2016 avec son studio Pixel Reef, dont il a la charge. Ensemble, ils ont donné vie à un titre singulier, qui conjugue le dépaysement d’Another World et l’art du terraforming - capacité de modifier le relief d’un lieu - de From Dust. Le fils prodigue du jeu vidéo français a-t-il frappé fort ?
Paper Beast - Trailer
Ce test a été réalisé sur PS4 Pro grâce à un code envoyé par l'éditeur.
Compliqué de résumer le scénario de Paper Beast tant il peut avoir de multiples interprétations. Au départ, le joueur se retrouve sur une interface informatique avant de basculer dans un autre monde, où règne des créatures de papier. Certaines grouillent au sol comme des araignées ; d’autres s’apparentent à des chevaux ; et d’autres encore, telle des girafes, impressionnent par leur taille. C’est d’ailleurs sous l’une de ces bêtes particulièrement grandes que l’aventure débute, lorsque l’animal vous donne le pouvoir de vous déplacer par petites téléportations (un classique en VR). Par la suite, il suffira de suivre la route tracée par le Level Design et de faire face à de mystérieux phénomènes météorologiques, où des chiffres tombent du ciel par milliers. Le tout jusqu’aux sous-sols d’un monde définitivement bien énigmatique. Énigmatique, voire cryptique.
Un monde fascinant et déroutant
Vous l’aurez compris, on peut facilement se perdre en interprétations avec Paper Beast. Et c’est sans doute le premier reproche qu’on lui fera : Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi ? Que sont ces créatures ? Du début à la fin (comptez quatre à cinq heures en prenant votre temps), ces questions ne trouveront pas de réponse. Mais ce n’est pas forcément un mal en soi. Paper Beast se veut comme une errance dans un monde à part, où le joueur s’interroge et s’émerveille au moindre élément qui lui passe sous le nez. On est alors comme un scientifique qui cherche à comprendre le fonctionnement d’un tout nouvel écosystème. Et ça, c’est très plaisant.
On doit cette réussite aux têtes d’affiche de Paper Beast : les fameuses créatures de papier. De toutes tailles et de formes différentes, c’est surtout le comportement et l’animation de chacune des bêtes qui poussent à la fascination. L’attitude d’un “cheval origami” face à une boule de papier rappelle sans mal celle d’un chien devant sa fidèle balle ; “les araignées cocotte” s’occupent de leur habitat en votre absence mais gesticulent dans tous les sens quand vous les saisissez ; alors que les “girafes papier” passent fièrement au-dessus de votre tête. Elles n’ont de toute façon pas grande chose à craindre (ni à faire) de votre présence dans les parages.
Paper Beast - Vidéo de gameplay
Comme un VR-ai scientifique
Si Pixel Reef fait fort avec le design et la manière dont il donne vie à ses créatures, la VR vient pimenter une base déjà solide. Oui, la PS4 et son PSVR ne sont pas dans le haut du panier de la réalité virtuelle, mais on ressent sans mal le gigantisme de certaines créatures et le comportement effrayé ou curieux des autres bêtes. Un masque sur les yeux, le joueur est ainsi au plus près de l’univers imaginé par Eric Chahi et ses équipes. La VR va comme un gant à Paper Beast.
Surtout que le titre n’a pas à rougir sur le plan technique. Le design simple des créatures a donné de la souplesse aux équipes de Pixel Reef, qui peuvent se permettre d’afficher un grand nombre d’éléments sans sacrifier le framerate du titre, si important en VR. On a ainsi droit à un moteur physique qui gère parfaitement les bandelettes de papier au vent, l’écoulement des fluides et la gestion du terraforming (important pour les énigmes, on y vient). Le tout sur fond de dunes de sable et de roches aux couleurs pastel. Et la magie opère, même si la direction artistique n’est pas toujours aussi efficace que dans les premiers instants.
Puzzle game comme feuille de route
Tant qu’à parler du moteur physique de Paper Beast, celui-ci est particulièrement important pour résoudre les énigmes qui rythment l’aventure. Ainsi, le jeu de Pixel Reef ne comprend aucun combat mais varie assez élégamment entre observation et puzzle-game. Il faudra par exemple comprendre comment dégager un monticule de sable pour se frayer un chemin ; creuser un sillon pour transporter l’eau d’un endroit à l’autre (d’où l’importance du terraforming) ; ou encore utiliser divers objets laissés çà et là pour faire fondre de la glace ou solidifier un liquide. Mais malgré des énigmes plutôt bien amenées dans sa première partie, le titre s’égare à un moment dans une certaine répétition. Les coutures de Paper Beast apparaissent alors aux yeux de tous, ce qui n’est pas aidé par le scénario du titre, trop cryptique pour inciter le joueur à progresser comme si de rien n’était.
A noter : des petits manques de précision qui viennent parfois alourdir la résolution des énigmes. En effet, certains puzzles demandent de jongler entre différents éléments très proches les uns des autres, ce qui peut s’avérer laborieux quand un souci de détection s’invite à la fête. Pour interagir avec l’environnement, Paper Beast met à disposition un pointeur à longue portée doté d’une aide à la visée, pour sélectionner plus facilement un élément plutôt qu’un autre. Mais pas évident quand plusieurs créatures vous font face et qu’il faut agripper un point très précis de l’une d’entre elles. Il faudra alors utiliser le kit classique du jeu VR : reculer en se téléportant, faire pivoter la caméra et retenter sa chance.
Il est possible d’utiliser les deux périphériques pour apprécier Paper Beast. En fonction de l'un ou de l'autre, pas grand chose ne change, et le jeu est parfaitement faisable dans les deux cas. Le PS Move ne règle pas particulièrement les petits soucis de précision rencontrés dans les énigmes, et vice-versa. Dans le mode bac à sable toutefois, les menus de création sont dispatchés sur les deux PS Move, ce qui peut s'avérer pratique dans certains cas.
En mode "bac à sable"
Enfin, Paper Beast propose un mode bac à sable pour profiter des créatures en toute liberté, sans énigmes. Le joueur apparaît alors sur une carte vierge où il peut invoquer n’importe quelle bête, à condition d’avoir trouvé le collectable correspondant dans l’aventure principale. Les possibilités de terraforming y sont plus souples que dans le mode solo, où la modification du terrain est soumise à des objets éparpillés dans les niveaux. Libre à vous de construire un grand lac et d’y mettre tout et n’importe, ou de faire varier la météo pour voir comment réagissent les bêtes. Mais l’intérêt du mode est limité : difficile d’y passer plus de quelques minutes lorsqu’on a pris son temps dans l’aventure principale et déjà bien observé chaque créature. Pixel Reef tente ainsi d’allonger la sauce, malheureusement sans grande réussite.
Paper Beast - On s'essaye au mode bac à sable
Points forts
- Une ambiance à part
- Les animaux de papier, têtes d’affiche du jeu
- La bande-son
Points faibles
- Trop cryptique pour créer de l’enjeu
- Quelques manques de précision
- Petite durée de vie, même avec un mode sandbox
“On ne peut pas plaire à tout le monde” dit la maxime : Paper Beast se classe indéniablement dans cette catégorie. Cryptique et assez court, le titre d’Eric Chahi et de Pixel Reef est un titre personnel à prendre ou à laisser. Mais comme chaque oeuvre aussi clivante, il réserve aussi une belle aventure pour quiconque adhérera à son univers. Avec ses créatures de papier, ses dunes de sable et ses teintes pastel, le monde de Paper Beast est fascinant. Tout appel à la curiosité, et le joueur, tel un scientifique équipé d’un casque VR, se fera un plaisir de découvrir les subtilités du monde qui s’offre à lui. Malgré quelques soucis de précision et des énigmes parfois répétitives, le dépaysement est là. A vous de voir si vous souhaitez embarquer avec Eric Chahi ou non.