29 septembre 1995. La France assiste à l'atterrissage d'un nouveau constructeur de jeu vidéo sur son territoire et pas des moindres : le géant japonais Sony avec sa première PlayStation. Pour s'opposer à Nintendo et ses jeux de plate-formes qui ont fait sa réputation, le nouveau constructeur proposera dans son catalogue de lancement une licence inédite tout en 3D et en vue à la première personne, conçue comme une démonstration technologique et développée par deux studios aujourd'hui disparus, Exact et Ultra. Ce titre, c'est le bien nommé Jumping Flash!, premier platformer en trois dimensions du jeu vidéo. Super Mario 64 n'avait pas encore pointé le bout de sa moustache et pourtant, notre lapin blanc n'a pas à rougir face à l'expérience qu'il proposait déjà il y a maintenant plus de 20 ans.
Après une cinématique posant les bases d'un scénario servant avant tout de prétexte plutôt que de véritable fil conducteur, notre personnage est lancé à l'assaut de plusieurs petits mondes ouverts. Nous incarnons Robbit, un lapin-robot ayant la capacité de sauter très haut et de déployer un arsenal puissant. Le but du joueur sera de dénicher des carottes, au nombre de quatre et disséminées sur l'ensemble du niveau. Il y croisera des ennemis peu agressifs et pourra prendre rapidement de la hauteur afin d'avoir une vue d'ensemble du terrain à explorer et ainsi, grâce à un efficace système de repère, localiser les objectifs à travers les murs et s'orienter dans la bonne direction.
SAUTER SUR TOUT CE QUI BOUGE, MAIS PAS QUE
C'est bien la force de cette aventure : malgré une jouabilité pouvant paraître austère et rigide de prime abord, le joueur s'approprie rapidement les commandes et devient plus à l'aise avec les déplacements ou les sauts, et ce seulement après quelques dizaines de minutes, car il contient des subtilités améliorant sensiblement l'expérience et rendant le jeu plus agréable. Robbit peut effectuer un double voire un triple saut, afin de parcourir de larges distances ou atteindre des zones très élevées, zones cachant la plupart du temps des objets ou secrets. Là où cela devient plus technique, c'est qu'il existe deux possibilités pour se déplacer après avoir effectué le saut. La première consiste simplement à bondir pour ensuite mouvoir le personnage de manière circulaire. La seconde option permet de bouger latéralement en maintenant la touche saut, permettant ainsi d'ajuster sa position et de mieux cibler une plate-forme ou un ennemi ayant la bougeotte.
Autre mouvement à notre disposition, la vue du dessus qui s'active après avoir pressé la touche saut une nouvelle fois après le double saut. Celle-ci est très pratique pour viser un adversaire dont il est difficile d'estimer la distance et l'emplacement, notamment à cause de la vue très proche du sol de la caméra. La touche R, quant à elle, offre la possibilité de bouger la caméra vers les quatre points cardinaux. Pratique pour observer son environnement, viser puis tirer et repérer les zones dangereuses ou celles qui recèlent de précieux objets. Contrôler le robot-lapin est certes une expérience déroutante en 2019, mais si on le situe dans son époque, son gameplay devient alors une proposition pertinente qui aurait mérité un peu plus de souplesse afin d'atteindre le haut du panier de l'ère 32/64 bits dès son commencement.
UN LAPIN PAS SI CRÉTIN ENTRAÎNANT UNE ABSENCE DE CHALLENGE
Bien que tout le game design repose sur cette action, en atteste le nom du jeu, sauter n'est pas notre seule possibilité et fort heureusement : il est également possible de tirer afin d'occire les ennemis. Certains ne demanderont que quelques tirs, tandis que d'autres exigeront des sauts en amont afin d'activer la vue plongeante automatiquement pour mieux enchaîner les rafales. D'autres encore interdisent de leur sauter dessus, arborant des piques pointues causant des dégâts. Cependant, le jeu restera une promenade de santé, certains ennemis ne disposant d'aucune action pour se défendre ou attaquer, ce qui explique en partie l'absence de challenge, un des gros défauts du jeu. Nous sommes en 1995 et il n'existe pas encore de verrouillage automatique ou de visée indépendante de la caméra, ce qui demande donc parfois une certaine dextérité pour faire mouche, la ligne de mire étant la même que celle de nos déplacements et de l'orientation de la caméra. Rappelons qu'il n'est pas nécessaire de décimer les créatures de chaque monde, les éliminer n'apporte que des points n'ayant aucune utilité… parfois des objets, et rien de plus.
Comme le veut la coutume, les seuls affrontements proposant un peu de challenge sont les boss, peu nombreux mais au design unique et présents dans chaque fin de monde. Ces derniers ont leur propre barre de vie et des patterns spécifiques ; pour les vaincre, le jeu demande un peu plus de concentration, mais il est possible de se faciliter la tâche grâce aux armes secondaires. En effet, le jeu nous laisse l'opportunité de les conserver d’un stage à l’autre jusqu’au boss, rendant les combats trop faciles mais leur offrant une réelle utilité. Citons le laser, les bombes ou encore les dévastateurs missiles rocket. Chacune des armes secondaires possède son propre rayon d'action et sera plus adaptée à une situation donnée, néanmoins toutes causeront d'importants dégâts aussi bien aux ennemis lambda (élimination instantanée) qu'aux gros vilains (parfois la moitié ou le tiers de la barre de vie !).
N'oublions pas l'invincibilité temporaire, qui se déclenche via un objet à ramasser, et nettement inspirée de l'univers Mario de par les effets de toutes les couleurs et la musique qui s'enclenche. Vous l’aurez compris, parcourir les décors parfois vides de Jumping Flash ne demandera aucun effort et surveiller la barre de santé de Robbit, située dans le bas de l’écran, ne sera pas une priorité, hormis peut-être face à certains boss où l’effet de surprise et la malchance pourront piquer un peu la première fois. Enfin, le radar n’offre aucune aide véritable et n’est utile que lorsqu’on se prend des dégâts provenant d’un angle mort.
DES CAROTTES POUR AVANCER, MAIS POUR UNE COURTE DURÉE
Le découpage du jeu est très classique, à savoir six mondes chacun sur un thème précis (ville urbaine, pyramide, parc d’attraction...) et divisés en 3 stages. Le premier permet d'apprivoiser les éléments propres au monde, le deuxième corse le tout avec plus de zones dangereuses et le troisième se résume à un duel contre un boss. Parmi ces derniers certains sont originaux. Pas dans le déroulement du combat mais pour leur design un peu loufoque, comme ces tasses de café à la fin du troisième monde dissimulant des clowns psychopathes géants. Pour terminer un stage, nul besoin d'aller "au bout", car comprenez bien que dans Jumping Flash vous pouvez aller dans toutes les directions dès le début ; une proposition très peu courante en 1995. Ainsi, votre mission consistera à vous frayer un chemin jusqu'aux carottes, nommées "Jet Pods" et qui sont au nombre de quatre, permettant in fine d'activer une plate-forme qui entraînera la fin du stage après avoir posé les deux robot-pattes dessus. C’est l’une des forces du titre et un pari réussi des développeurs.
Car contrairement aux jeux en 2D qui prédominaient dans les années 90, il est ici possible d’atteindre les objectifs de plusieurs façons différentes, en rusant un peu et en empruntant par exemple un chemin optionnel plus difficile que le véritable itinéraire prévu… à l’exception de certains stages en sous-sols, ratés dans leur ensemble car frustrants, qui obligent à suivre une route prédéfinie. Ne pas pouvoir bondir et aller où l’on veut est une contrainte qui ne sert pas l’exploration et n’augmente pas le challenge pour autant. Chaque stage étant chronométré, le jeu vous invite à vous dépêcher et si le temps venait à vous manquer, ce qui ne devrait pas arriver souvent, il existe la possibilité d’avoir recours à deux astuces pouvant prolonger l’exploration.
La première passe par un objet qui vous offre 30 secondes supplémentaires et qui se récupère comme n'importe quel item, visible sur une plate-forme ou bien en guise de récompense aléatoire après avoir terrassé un ennemi. La seconde méthode requiert un autre objet, plus rare, qui permet de figer le temps pendant quelques instants mais s'obtient sur le même modèle, sauf qu'il applique également un filtre de couleur jaunâtre permettant de mieux repérer les objectifs et ce de plus loin. Ces deux options figurent dans la liste des bonnes idées qui s’avèrent au final peu utiles, car il est parfaitement possible de terminer tous les stages en prenant son temps sans en ressentir l’utilité.
Dernière composante du level design, le niveau bonus. Présents dans chaque premier stage de chaque monde, il suffit simplement de le dénicher (il est plus difficile à trouver que les carottes) et de le traverser pour se voir téléporter dans un autre niveau temporaire. Dans celui-ci, il vous faudra détruire des ballons en peu de temps, soit par le saut, soit par le tir, afin d'engranger un maximum de points. Détruire tous les ballons demandera parfois plusieurs essais, car le défi proposé devient légèrement plus relevé et demandera une bonne maîtrise des déplacements. L'intérêt est léger mais les amateurs de scoring auront de quoi s'exercer.
En ce qui concerne la bande-son, le résultat est anecdotique. Le minimum syndical a été assuré avec quelques musiques à l'ambiance bon enfant mais courtes et se répétant rapidement. Seuls les "jingles" venant ponctuer les moments clés resteront sans doute dans votre mémoire. Soulignons que le jeu comporte des voix, notamment pour certaines cinématiques ou actions de Robbit. Il indique par exemple par une courte phrase en anglais qu'il ne reste plus que trois minutes pour terminer le stage. Un rappel sonore utile, incitant le joueur à accélérer la cadence ; néanmoins, on aurait préféré un emballement de la musique à la manière des jeux Mario 2D pour un effet plus immersif.
Points forts
- Innovant pour son époque
- La variété des décors
- Une aventure colorée
- La liberté pour compléter les stages
- Distance d'affichage correcte
- Le premier vrai platformer en 3D de l'industrie
Points faibles
- Trop court, comptez 1h30 pour en voir le bout
- Difficulté inexistante
- Un gameplay qui reste lourd malgré tout
- Les phases en sous-sol
- Des musiques qui peuvent taper sur les nerfs
Si Jumping Flash n’a pas autant marqué les esprits que ses rivaux appartenant au même genre, c’est en partie parce qu’il est sorti trop tôt et ne jouait pas dans la même catégorie. Mais c'est aussi parce qu'il n’a pas pu résister aux jeux de plate-forme en 3D qui ont ensuite envahi le marché, bien plus maîtrisés et généreux. Malgré un New Game+ anecdotique déplaçant seulement l'emplacement des objectifs, l'aventure proposée reste courte, mais divertissante et innovante. Proposer un gameplay basé sur l'action de bondir n'était pas une chose aisée si l'on met en corrélation cette ambition au projet de se lancer à pieds joints dans le monde de la 3D ; pourtant le pari est réussi et Sony disposait d'un jeu de plate-forme de qualité. Néanmoins, il aura vite sombré dans un oubli relatif et ne figurera pas au panthéon des jeux populaires de la cinquième génération. Notons cependant sa présence au sein du catalogue de la PlayStation Classic en Europe, aux côtés de titres cultes comme Metal Gear Solid ou Final Fantasy VII, ce qui atteste d'un potentiel nostalgique reconnu. Premier jeu PlayStation pour beaucoup d'acheteurs day one, il n'en demeure pas moins une aventure unique pour sa jouabilité audacieuse, un des premiers à pouvoir donner un semblant de vertige, et accessible car facile à prendre en mains. Invitant les joueurs à bondir sur tout ce qui bouge pour gravir le sommet de cette aventure, Jumping Flash fut bien plus qu'un saut dans l'inconnu.