Dans le radar des jeux de science-fiction potentiellement exceptionnels de 2024, The Alters s'est offert à nous le temps de quelques heures.
Après l'important récit de guerre de This War of Mine, les développeurs d'11bits s'engagent dans la 3D avec une expérience hybride mêlant construction, survie, et aventure de science-fiction. The Alters raconte la portée des choix, « ces décisions minuscules et binaires qui se prennent souvent en quelques nanosecondes, mais qui peuvent influencer toute une vie » comme le dit si bien le studio, sous le prisme des alters de Jan Dolski, un ouvrier spatial engagé dans une course contre la mort. Les créateurs polonais nous ont conviés à Varsovie, à huis-clos, pour nous laisser approcher les deux premières heures de ce nouveau jeu qui promet d'être très spécial.
« Seul sur Mars », sauf que c'est pas Mars
« Nous ne le savons pas vraiment, mais nous le sentons : il y a un navire jumeau de notre vie qui prend une route totalement différente. Tandis que le soleil brûle derrière les îles. »
Inauguré par quelques mots évocateurs du poète Tomas Transtromer, The Alters s’ouvre sur le monologue d’un astronaute davantage troublé et absorbé par l'introspection de ses choix passés que par l'imminence de l'échouement de son vaisseau sur une planète désolée. S'en suit le crash, une tentative vaine de recevoir un signe de vie du restant de l'équipage, et puis nous voici les pieds dans le plat, sur l'immensité d'une planète aux énergies très particulières. Calfeutré dans une armure lourde qui ne l’empêche pas pour autant de se déplacer à une vitesse très confortable Jan Dolski, notre explorateur spatial, traverse un biome dont l'immense tension se fait ressentir dans les vibrations d'un sound design dense et palpable. Et puis la musique - signée Piotr Musiał, compositeur génial de Frostpunk - devient rapidement un élément omniprésent, déployant une force magistrale qui drape avec beaucoup de style une direction artistique sombre et léchée, façon Returnal. L'image à ses défauts, l'inexpérience de 11bits dans l'animation de ses visages 3D est visible, mais l'atmosphère, et les jeux d’ombre et de lumière fournissent un travail suffisant pour offrir un rendu captivant.
Jan Dolski semble être le seul survivant d’une expédition ratée, mais sa solitude écrasante constitue un problème mineur dans le pétrin dans lequel il s’est fourré : La planète sur laquelle il a atterri tourne lentement sa face vers un soleil géant, présageant l’arrivée de radiations mortelle. Pour sa survie, sa base devra toujours rester en mouvement, ce qui nécessite la réalisation d'une flopée de micro-objectifs dans des biomes renouvelables, mais pour l’heure assez semblables. Dans son exploration des lieux, Dolski est incapable de sauter, mais il va pouvoir se munir d’accessoires très utiles comme un d’un grappin pour s’accrocher aux longues parois, craftable depuis l’atelier de votre QG. La récolte d’éléments organiques et autres ressources transformables devient dès lors un aspect crucial de l’expérience. Très vite, notre aventurier doit par exemple manier un scanner à la recherche de denrées aqueuses, nous laissant un peu hagards face à des manipulations et des objectifs pas toujours clairs. L’activité, dans son grand ensemble, semble néanmoins suffisamment étudiée pour imaginer un système de craft qui se révélera maîtrisé et profond, mais qui peut, en cas de surdosage, présager une boucle de gameplay un poil pénible.
L'après-Moon de Duncan Jones
De retour au bercail après une première expédition où il déniche une substance spéciale, le Rapidium, Dolski va rapidement pouvoir créer son premier alter pour l’aider dans ses tâches quotidiennes. Un point de départ qu'on ne peut s'empêcher de comparer à Moon, ce chef-d’œuvre de la science-fiction de Duncan Jones dans lequel un astronaute isolé dans une station lunaire se retrouve nez-à-nez avec son propre clone, pensant alors à une hallucination. Une inspiration parmi d'autres références cinématographiques brillantes que l’on ne peut que saluer, à la différence qu’11 bits tient bien à ce que nous fassions la distinction entre clones et alters, ces derniers étant surtout des versions alternatives de Jan, soit des produits de choix passés différents. Chaque alter est voué à être doté d’une personnalité et d’une histoire qui lui est propre, laquelle plongera probablement souvent Dolski dans une myriade de méditations mélancoliques. D’ailleurs, à chaque fois qu'il se confronte à la création d’une nouvelle version de lui, il doit faire face à une frise chronologique, représentation visuelle très réussie de l’entièreté de ses choix culminants, ces derniers pouvant encourager l’activation d’un alter.
La performance vocale de l’acteur Alex Jordan - également doubleur sur les bruits de sexe dans Baldur’s Gate 3, pour la petite anecdote - pour chaque personnage est à ce propos assez remarquable, sa voix adoptant de nouvelles tonalités à chaque alter rencontré, de quoi renforcer leur individualité. Entretenir de bonnes relations avec ces semblables constitue un pilier fondamental et très plaisant du jeu. C’est ainsi que de nombreux choix de dialogue se présenteront à vous, lesquels altèrent constamment l’humeur de votre interlocuteur, une remarque mal placée pouvant vite le rendre anxieux, voire agressif. Tant de paramètres intéressants à prendre en compte qui ont un impact direct sur leur productivité, et non sur le cours de l'histoire. Car oui, les alters vous servent avant tout ici de suppléants et représentent des sortes d’archétypes spécialisés : Jan le technicien et Jan le scientifique vont par exemple pouvoir vous délester assez vite de quelques tâches secondaires trop fastidieuses. Un système diablement malin, bien qu'on accuse tout de même des interactions assez pauvres en termes d’intensité, la tentation d'en passer certaines, parfois trop longues, étant palpable.
Ce qu'il reste à voir...
Pléthore d’aspects n’ont pas encore été évoqués dans cet extrait de The Alters. Le temps est censé être une dimension particulièrement notable de l’expérience, la survie de Jan s’apparentant à une course contre la mort. Mais si les jours défilent bien chaque fois que notre héros se doit de prendre un repos bien mérité pour recharger ses batteries, aucune contrainte ne semble encore affecter durablement le gameplay, si ce n'est quand les radiations nous attaquent la nuit tombée. Difficile également de deviner si les alters disposent d’un système de progression. Pour l’heure, le seul élément améliorable de l’expérience reste votre base, qui peut plaisamment s’agrémenter de nouvelles salles pour accompagner vos entrepôts de stockage, votre salle de communication, la machinerie, la chambre ou encore la cuisine. Reste à savoir où les disposer dans cet espace modulable façon Tetris assez limité en placements. En ce sens, l'aspect construction du jeu est encore très sommaire et on ne demande qu'à en voir plus.
C'est pour l'instant le concept si particulier de The Alters qui captive le plus : des versions alternatives d'un protagoniste qui servent durablement aux systèmes de survie et dont se dégage une dimension narrative très intéressante faite de thématiques très précises sur les choix et le passé. On s'émerveille également sur le travail sonore remarquable de 11 bits, du sound design électrisant aux compositions toujours aussi folles de Piotr Musiał qui drapent la planète de Jan Dolski d'une atmosphère particulière et qu'on se languit de retrouver. Et puis on grince un peu plus des dents face aux séquences plus laborieuses d'extraction de ressources, dont on espère une balance équitable avec le reste des activités qui nous attendent, et dont l'évolution est encore pour l'heure très nébuleuse.