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Vous l'aurez sans doute remarqué, les MOBA et autres auto battler ont la cote dans le monde des jeux multijoueurs. Des formules qui marchent et que Riot Games exploitent merveilleusement bien avec ses deux titres phares, League of Legends et TFT. Mais que se passerait-il si on mélangeait ces deux jeux ? C'est ce que propose de faire Noara : The Conspiracy, le tout agrémenté d'un soupçon de RTS. Et puisqu'il est disponible en accès anticipé depuis quelques semaines, on s'est plongé dans ce tout nouveau jeu pour savoir si cette nouvelle formule vaut le détour ou non.
Noara est le projet ultime d’ATYPIQUE Studio… et aussi son premier. Il faut dire qu’en 2017 Jérémy Filali créait ce studio avec une idée bien précise en tête : adapter en jeu l’univers qu’il imagine depuis plus de 16 ans. Suite du livre publié en 2019 (dont la version audio est disponible gratuitement sur Youtube), il s’agit d’un projet de quatre passionnés rassemblés sous la bannière d’un studio indépendant français au nom évocateur. Car atypique est bien le mot pour décrire ce jeu hybride mêlant MOBA, RTS et auto battler. Mais alors, s’agit-il d’un mélange réussi ?
Notez que nous avons testé ce jeu au cours de la semaine du 6 décembre 2021, soit trois semaines après le lancement de la phase d’accès anticipé. Il s’agit donc d’une version améliorée de celle rendue disponible à partir du 15 novembre 2021, mais encore bien loin de la version définitive du jeu. En effet, seuls les parties 2vs2 en ligne, un mode tutoriel très élémentaire et des niveaux « casse-tête » étaient disponible au moment de notre preview.
Changement de stratégie
Prenez Warcraft III, Teamfight Tactics et League of Legends et mettez-les dans un bol. Mélangez le tout et laissez reposer. Ainsi pourrait-on décrire la recette de Noara : The Conspiracy. Ce jeu multijoueur mélange en effet des éléments de RTS, de MOBA et d’auto battler. Une approche innovante animée par une folle promesse : proposer un jeu au tour par tour où le joueur n’est jamais inactif. Mais comment cela est-il possible ?
Pour comprendre, il est important de revenir aux bases. Noara est un jeu de stratégie au tour par tour dans lequel le but est d’anéantir votre ennemi en détruisant son bastion. Pour ce faire, vous devez créer votre armée puis gérer vos unités et vos ressources, tout en vous adaptant à la stratégie de votre opposant et coopérant avec votre allié. En effet, le jeu n’est pour l'instant accessible qu’en mode 2vs2 (un point sur lequel nous reviendrons plus tard).
Une partie de Noara se divise en trois phases qui s’enchaînent et se répètent jusqu’au dénouement final : un tour de gestion, un tour offensif et un tour défensif. Le premier consiste à chiner dans la boutique de Djakpa. Au programme ? Gestion de vos unités, compétences de bastion et objets. En d’autres mots, c’est ici que vous pourrez façonner votre arsenal. Lors de la phase offensive, vous pourrez ensuite décider de le déployer comme vous le souhaitez (attaquer les troupes ennemies, détruire leur silo, observer…). Sachez que chaque unité dispose de deux attaques (A et Z) et d’un passif qui lui est propre. Jusqu’ici, il s’agit d’un jeu de stratégie au tour par tour tout ce qu’il y a de plus classique. Mais c’est avec la troisième phase que Noara rabat les cartes.
Alors que votre adversaire entame son tour offensif, vous rentrez dans une phase de défense en temps réel. Plus besoin d’attendre patiemment que votre opposant finisse ses petites affaires puisque vous pouvez jouer pendant ce dernier. Il est possible en effet d’utiliser les compétences spécifiques de vos unités (Z). Ces dernières sont pour la plupart défensives, vous permettant d’éviter ou de parer les attaques ennemies. Durant ce tour, il est également possible d’utiliser les compétences de bastion ou certains objets. Cet apport innovant dynamise fortement l’expérience de jeu, surtout qu’il est savamment réalisé.
Entre anticipation, réflexion et souci du timing, bloquer efficacement les attaques n’est pas si aisé qu’il n’y paraît. Le tout joue également sur le tour offensif, puisqu’il faut prendre en compte ces potentielles ripostes dans sa stratégie. Vous l’aurez compris, Noara complexifie l’expérience de jeu, tout en la rythmant.
Pas trop dur à prendre en main, le jeu comprend pourtant beaucoup d’éléments à considérer. On peut par exemple gagner des Khenas à travers différentes méthodes : vendre des unités, améliorer son silo, infliger le plus de dégâts (bras de fer)… Le jeu ne bénéficiant pas d’un véritable tutoriel, il faut donc découvrir ces différents aspects par soi-même et comprendre les diverses stratégies qui en découlent. Sans compter que l’affichage laisse parfois à désirer, tant il y a d’informations à transmettre. Pour maîtriser le plein potentiel du jeu, il convient donc d’y passer du temps et traverser toute une phase de découverte qui peut se révéler frustrante. Un mal nécessaire pour pouvoir vivre des parties uniques, exploitant les nombreuses possibilités de ce jeu.
Hélas, il y a la théorie et la pratique. À l’heure où nous écrivons ces lignes, ils sont peu à jouer à Noara. Commencer le jeu maintenant, c’est donc avoir de grandes chances d’affronter des joueurs maîtrisant déjà le jeu et ses possibilités. Possibilités qui se résument souvent à une ou deux stratégies bien trop payantes (le jeu est encore en cours d’équilibrage), et donc présentes. L’absence d’un vrai tutoriel et d’un mode PvE (pour l’instant) force donc les nouveaux joueurs à se jeter dans la fosse en lions et découvrir cela à leurs dépens. Ajoutez à cela des tours courts (une minute) et l’expérience peut vite se montrer décourageante. Si on entend la volonté des développeurs de dynamiser ainsi les parties (durant en moyenne 30 minutes), force est de constater qu’apprendre ainsi n’est pas chose aisée. En somme, Noara possède un potentiel certains mais qu’on peine à découvrir. Un constat qui, en l’état, s’applique également à l’univers du jeu.
Lore y-es-tu ?
Nous l’avons dit plus haut : Noara : The Conspiracy est issu d’un univers élaboré par Jérémy Filali sur plusieurs années. Suite directe de Noara : La dernière lune, ce jeu s’inscrit donc dans une temporalité précise d’un lore qui semble étendu (Jérémy Filali a imaginé pas moins de 9 romans dont un seul a été écrit/publié à ce jour).
Le sol convulse sous les hordes de Kragh qui tabassent les gradins au-dessus de nos têtes. La cavité humide qui nous abrite et a vu passer des combattants de légende entre ses pierres, tremble comme la feuille à l'automne. Quelques filets de pluie dégoulinent entre les commissures moisies et la mousse du plafond. Des gouttes d'eau gelées perlent sur ma nuque comme pour agrémenter la peur qui me colle aux écailles. Des araignées nous scrutent du haut de leurs toiles et nom d'une bonite comme j'aimerais être à leur place ! Lorsque la herse fatiguée se lève dans un grincement qui suinte la rouille, ce sont des gueulantes par torrents qui s’abattent. C'est à en devenir sourd. Amanaka s'avance en premier. En rang, par deux, nous le suivons et pénétrons dans l’arène. Rexes à ma gauche me souffle « ça va aller... si vous faites pas les cons... »
Malheureusement, on ne sait rien de cette histoire, ou même de son univers. Les développeurs songent à mettre en place un système de campagne, servant à la fois de tutoriel et de présentation de l’univers et de l’histoire. Toujours est-il qu’actuellement ce point manque terriblement. Le lore de Noara semble riche et ne pas le retrouver en jeu dérange. Les joueurs n’ont le droit qu’à un bref aperçu avec les 23 unités composant la seule famille disponible en jeu : les Khraks.
Répartis dans sept castes différentes (lutteurs, shamans…), les différentes unités la composant comprennent des créatures imaginées par Filali avant ou pendant le processus de développement. Toutes marines (caractéristiques de la famille Khraks), chaque champion a son propre design et des compétences qui lui sont propres. Et il faut dire que pour l’un comme pour l’autre, les développeurs ont été assez inspirés, proposant quelques points originaux, travaillés et cohérents, qui donnent envie d’en savoir plus. Notez que d’autres familles devraient rejoindre le jeu (la seconde est prévue pour le premier trimestre 2022). Ce qui nous emmène vers un point crucial de cette preview : la différence entre le jeu en l’état et le jeu tel qu’il devrait être à la sortie définitive.
Un bon jeu... en devenir
Tester un jeu en accès anticipé est toujours une tâche corsée. En effet, nous l’avons vu certains points problématiques ont déjà prévu d’être corrigés par les développeurs : l’absence de véritable tutoriel, le manque de mécaniques de confort permettant une meilleure lisibilité et compréhension du jeu, le lore sous-exploité… On peut néanmoins rajouter d’autres petits points : l’absence regrettée de petits coups de pouce dans les niveaux « casse-tête » un peu trop corsés ou d’événements permettant de se repérer dans la temporalité des parties par exemple. Mais la plupart d’entre eux seront très certainement corrigés dans les mois à venir.
Qui dit accès anticipé, dit également bugs à foison. Là encore tout est une question de patchs à venir. Mais il est important de noter les quelques soucis rencontrés en jeu. De nombreux bugs d’affichage se sont notamment immiscés au fil de notre découverte ou encore des attaques ne fonctionnant pas. Certains ont ainsi généré une grande frustration, nous faisant perdre une ou deux parties ou nous forçant à redémarrer le jeu.
Mais le point qui pêche réellement, c’est l’absence de systèmes nécessaires pour jouer, tout simplement. Nous l’avons dit, seul le mode 2vs2 était disponible lors de notre preview. Cela veut dire la nécessité de rassembler quatre joueurs au même moment. Si au début de l’accès anticipé cela n’a pas semblé poser problème, plus de trois semaines plus tard il nous a souvent été impossible d’intégrer une partie. Autant dire qu’attendre plus de trente minutes pour ne jamais trouver de partie, ça a de quoi décourager.
À certaines heures de la journée, il est plus facile de trouver des acolytes, mais il faudra tout de même attendre une bonne vingtaine de minutes avant de pouvoir se lancer… et recommencer encore et encore pour pouvoir maîtriser le gameplay. Si ce point n’est pas vraiment la faute des développeurs, il aurait pu être contré facilement avec la mise à disposition dès le lancement d’un mode PvE. Mode qui n’est d’ailleurs pas prévu de sitôt (fin 2022). Et c’est dommage, car au-delà du simple manque, cette absence joue tristement sur l’attractivité et la jouabilité du titre.
Alors certes, cela s’explique de par la complexité de la tâche et aussi la volonté des développeurs de faire de Noara un jeu se jouant en équipe de deux. Mais pour cela aussi un point indispensable est pourtant absent : un système de communication digne de ce nom. S’il est possible de ping un point sur la map, il s’agit de la seule information que vous pouvez partager en jeu. Ce point devient tout particulièrement dérangeant lors de la phase de gestion. Il est par exemple possible de re-roll sans avoir l’aval de son partenaire, bousillant ainsi toute sa stratégie par la même occasion. À en juger par l’absence de ces deux points fondamentaux (pouvant lasser les joueurs), certains pourraient être en droit de penser que Noara souffre aujourd’hui, malgré un potentiel certain, d’un accès anticipé un peu prématuré.
Après presque un mois d’accès anticipé, Noara The Conspiracy prend peu à peu forme. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le concept semble convaincant. Noara est bien plus qu’un TFT où on joue ses propres unités, comme aiment le décrire ses développeurs. Au revoir l’inactivité et bonjour la complexité. À coups de savants mélanges, le jeu d’ATYPIQUE Studio est en phase d’innover dans le domaine des jeux au tour par tour. Mais pour le constater, encore faut-il pouvoir jouer. Le contenu actuel du jeu ne permet pas de profiter pleinement de son potentiel. En l’état, il est difficile de le qualifier de bon, et impossible de le qualifier de mauvais. En revanche, on peut dire sans difficulté que le jeu s'annonce prometteur..