Bloober Team prend un malin plaisir depuis sa création en 2008 à nous faire frémir, à jouer avec nos peurs, et le fait avec un certain talent. Layers of Fear (2016), Observer (2017), Blair Witch (2019), pour ne citer que leurs récentes productions, hantent encore nos esprits. Les studios polonais situés à Cracovie comptent bien poursuivre dans cette voie avec The Medium, un jeu d'horreur psychologique prenant pour cadre un univers dystopique et surréaliste. Êtes-vous prêts à errer entre deux réalités ?
Les impressions de la rédaction en moins de 3 minutes
Lors d’une présentation en ligne organisée par les studios Bloober Team, nous avons pu découvrir pour la première fois The Medium au cours d’une session de gameplay “Hands Off” de 15-20 minutes suivie d’une série de Questions & Réponses en compagnie de Wojciech Piejko (Lead Game Designer) et Jacek Zięba (Game Producer).
Au-delà du réel
The Medium conte l’histoire de Marianne, une médium capable de percevoir au-delà du voile de la réalité matérielle, mais surtout sujette à des visions depuis son plus jeune âge. L’une d’entre elles lui révèle le meurtre particulièrement marquant d’une jeune fille. Notre héroïne décide alors de se rendre dans une complexe hôtelier abandonné situé dans la ville de Cracovie pour y rencontrer l’énigmatique Thomas, supposément porteur de réponses concernant sa vision. Ce périple sera l’occasion pour Marianne d’en apprendre davantage sur elle-même et sur ses aptitudes paranormales. Tel est le postulat de départ de ce jeu d’horreur psychologique dont nous nous garderons de trop en révéler afin de garder le mystère intact.
Bloober Team mise sur des caméras préprogrammées, une évolution naturelle des plans fixes issus des anciens survival-horror 90’s dont le studio s’inspire fortement pour réaliser The Medium. Ce choix judicieux et audacieux confirme l’approche cinématographique de l’œuvre, et en accentue principalement l’aspect horrifique. Ces plans influencés par le 7e Art permettent d’instiller doucement la peur, de la faire pénétrer lentement en usant des artifices et des codes du genre. Apparitions au premier plan, bruits hors-champ… les joueurs marinent ainsi dans une appréhension de chaque instant. La narration de The Medium joue avec nos nerfs, fait d’une révélation un mystère, mais tend à récompenser la curiosité au cours d’une aventure linéaire nécessitant une dizaine d’heures pour atteindre la lumière au bout du tunnel.
Cette expérience horrifique frappe par ses influences artistiques et ludiques. Le studio derrière le projet puise ouvertement dans divers courants pour enrichir sa création. Au-delà de ses inspirations vidéoludiques évidentes (Fatal Frame, Forbidden Siren, Resident Evil 3, Silent Hill 2), les artistes dépeignent un univers très personnel, entre brutalisme architecturale et hommage aux peintures de Zdzisław Beksiński, un artiste polonais dont le travail se concentre sur les scènes détaillées de mort et de décomposition. La Bloober Team s’offre même les services d’Akira Yamaoka, autrefois compositeur sur la saga Silent Hill. Ce dernier collabore avec Arkadiusz Reikowski (Blair Witch, Layers of Fear, Observer) pour créer une bande originale pesante et poisseuse qui s'harmonise parfaitement avec les visuels.
L’antre “deux mondes”
“La seule chose plus terrifiante que la cécité est d'être le seul à pouvoir voir.” Les mots de José Saramago (écrivain et journaliste portugais) résument parfaitement la vision de la Bloober Team. The Medium prend la forme d’une enquête surnaturelle, et perce le voile de la réalité physique pour s’aventurer dans celle spirituelle. L’expérience ludique se focalise sur cette alternance narrative, comprenez ici que vous ne pouvez pas passer d’un monde à l’autre à l’envie, et sur la résolution d’énigmes. L’héroïne interagit simultanément dans ces deux pans de réalité afin de progresser. Pour renforcer cette idée, l’aventure se déroule pour un tiers en écran partagé, et invite à l’exploration des lieux.
Le sens du médium permet à Marianne de mieux appréhender les environnements, de percevoir au-delà du réel, tandis que sa capacité à détacher son esprit de son corps l’autorise à explorer “librement” le monde spirituel. Ses aptitudes surnaturelles, qui nécessitent d’être rechargées régulièrement, ne seront pas de trop pour survivre à ce complexe hôtelier peuplé par des entités psychiques, véritables incarnations des émotions négatives des êtres humains (tristesse, colère, impuissance…). Ces âmes tourmentées, qui pour certaines ne cherchent qu’à trouver le repos, traquent aussi Marianne, et forcent cette dernière à se défendre. Fort heureusement, notre médium peut se protéger (Spirit Shield) et attaquer (Spirit Blast), mais s’avère sans défense dans la réalité matérielle.
Notre héroïne fait alors preuve de ruse pour échapper par exemple à The Maw, une créature métaphysique monstrueuse interprétée par Troy Baker (Death Stranding, God of War, Marvel’s Avengers, The Last of Us Part II). La diversion et la dissimulation sont ici ses meilleures armes tout comme l’observation. Les entités psychiques sont invisibles dans le monde physique. Une ampoule qui clignote, un nuage de poussière qui se soulève, une légère altération visuelle... deviennent autant d'indices pour repérer la menace. Scruter, puis exploiter l’environnement est la seule manière de survivre. Marianne n'est finalement en sécurité nulle part ce qui accentue ce sentiment omniprésent de danger.
Difficile de juger en l’état la vision ludique de la Bloober Team, la faute à une première rencontre bien trop courte et surtout en Hands Off. Pourtant, The Medium nous interpelle par ses multiples influences artistiques aussi bien visuelles que musicales, ainsi que sa manière de les intégrer à un univers sombre qui ne demande qu’à être exploré la peur au ventre. Le concept de double réalité, central à l’expérience, et la réalisation cinématographique pourraient faire de cette enquête surnaturelle un rite de passage pour tous les amateurs d’horreur, à condition d’en exploiter pleinement le potentiel.