Après Contrast et We Happy Few, Compulsion Games nous concocte une aventure musicale à l'univers aux inspirations marquées. Un doux conte folklorique avec une pointe de noirceur qu'il nous tarde de découvrir. Maxime Archetto, Realization Director, et Olivier Derivière, compositeur de la musique jeu, nous ont présenté leur travail.
Les jeux du catalogue de Compulsion Games ne se comptent encore que sur les doigts d’une main, mais le monde des ombres imaginé pour Contrast (2013) et la dystopie psychédélique de We Happy Few (2018) ont déjà permis de forger au studio montréalais une réputation de tisseur d’univers profondément captivants. En 2025, l’équipe proposera South of Midnight, nouvelle expérience qui plantera son cadre dans des marécages aux airs de Louisiane en compagnie de Hazel, héroïne zélée et désabusée dont le passage déjà difficile à l’âge adulte est davantage perturbé par des créatures folkloriques, des pouvoirs de tissage hors-du-commun et une aventure façon Alice aux Pays des Merveilles qui s’enfonce dans un tunnel de magie de plus en plus féroce. Maxime Archetto, Realization Director, et Olivier Derivière, compositeur du jeu, nous ont offert l’opportunité de discuter de l’aventure et de l’un de ses éléments centraux : la musique.
South of Midnight : lettre d'amour au sud et aux contes
Une héroïne qui combat des créatures corrompues pour rétablir l'harmonie sur des terres attaquées, c'est un pitch de jeu vidéo que l'on ne connaît que trop bien. Mais les multiples références qui ont nourri South of Midnight parviennent déjà à en faire un objet de contemplation particulier. Les créatures que l'on doit affronter ici, ce sont les Haints, des esprits maléfiques issus des contes populaires du sud - à l'instar de l'Altamaha-ha croisé au détour d'une bande-annonce - qu’Hazel devra confronter tout au long de son périple. Certaines sont animées par des traumatismes et cherchent à se nourrir de la culpabilité et de la peur de l'aventurière. D’autres, arborent une âme plus humaine. Et chacune représente une sorte de noirceur dont il faudra se défaire pour laisser apparaître la beauté candide d’environnements fortement inspirés par les films d’animation en stop-motion et bien sûr, par le genre Southern Gothic. « L’idée de départ, explique David Sears (Creative Director) dans un papier publié dans les colonnes de Xbox Wire, c’est que les monstres existent et qu’il suffit de passer par-dessus la clôture de votre jardin pour les rencontrer. Plus on s’éloigne des influences de la civilisation, plus le monde devient magique ». Fervent adorateur du sud, Sears a puisé dans ses souvenirs du Mississippi, de ses fermes oubliées et autres lieux abandonnés pour créer cette jolie lettre d'amour.
« J’ai trouvé des objets datant de la guerre de Sécession, de la Grande Dépression et des bizarreries plus modernes, comme un arbre avec des têtes de poupées clouées dessus. Pourquoi était-il là, au milieu de nulle part ? Quelqu’un s’était donné beaucoup de mal pour transporter toutes ces têtes de poupées au milieu des bois, puis les clouer à cet arbre. C’est le genre de choses que vous pouvez vous attendre à voir dans le monde de South of Midnight. Si le jeu s’inspire bien du monde réel, je pense parfois que celui-ci est bien plus étrange que nous le pensons. »
Conte folklorique oblige, South of Midnight a également sa part de macabre ; Compulsion Games raconte s’être inspiré d'une flopée de classiques, incluant quelques films noirs. Le long-métrage Les Bêtes du sud sauvage a également été « très très important » dans la conception du récit, nous raconte Maxime Archetto. Ce film américain indépendant, diffusé en 2012, retrace la vie de Hushpuppy, une petite fille de six ans qui vit dans un bayou de Louisiane avec son père et mène une existence précaire dans un hameau isolé. Confrontée à une tempête dévastatrice et au réchauffement climatique, elle doit lutter pour survivre, tout en cherchant des réponses sur sa mère disparue et en se confrontant à des événements fantastiques. Et de citer également As I Lay Dying de Faulkner, voyage initiatique écrit en 1930 par William Faulkner qui nous plonge au cœur d'une famille, les Bundren, laquelle traverse le Mississippi pour exaucer le dernier souhait de leur mère : être enterrée dans la ville de Jefferson. Pour le reste, Archetto confie avoir été aidé par une véritable conteuse locale, et avoir mené, avec les autres membres de l'équipe, de longues recherches sur le terrain : « Nous avons rencontré une conteuse du sud des États-Unis qui nous a raconté des histoires du deep south, on est allé sur le terrain, on a engagé des écrivains, mais l'œuvre en tant que telle est originale. Nous avons fictionnalisé des créatures existantes. »
La plus grosse production musicale d'Olivier Derivière
Si l'aura folklorique du jeu semble profondément particulière, c'est néanmoins sa musicalité qui étonne le plus. Ici, s'il n'est pas tant question de comédie musicale, les chansons sont toutefois un aspect presque organique de l'univers, une force motrice, et fluctuent au gré des pas de notre protagoniste. À chaque chapitre entamé, débutent des bribes de notes corrompues, voire altérées. Les créatures disposent en quelques sortent de leur propre thème musical chanté. Une particularité qu'il nous tarde vraiment de voir en images. « C’est ma plus grosse production musicale, nous dit le compositeur Olivier Derivière. Il y a des dizaines d’artistes qui ont participé. Un orchestre a enregistré à Londres mais il y a surtout beaucoup de musiciens de Nashville, et il fallait que les chanteurs correspondent aux personnages, c’est un gros travail de fond ». Avec Derivière, les équipes se sont longuement adonnées à l'écriture et l'interprétation de chansons conceptuelles, de ballades meurtrières et des berceuses nourries de blues, de gospel ou de folk. Un travail de longue haleine qui a nécessité une coordination minutieuse de bout en bout. C'est donc ainsi qu'ont été mis aux points les accords envoûtants de Shakin’ Bones, narrateur charismatique à la voix suave qui a fait frémir les joueurs lors de sa première apparition. Le personnage, immortel, s’inspire de la légende de Robert Johnson, l’homme qui aurait passé un accord avec le diable au croisement des chemins.
« Dans le jeu vidéo il y a beaucoup de pré-production. Il faut qu’on pense et qu’on fasse des projections. On ne voit le jeu qu’à la fin en fait. Quand tu travailles avec un studio comme Compulsion, il y a un vrai amour du “faire”, de l’artisanat. Quand on est dans des configurations comme celle-ci, on a la possibilité d’évoluer dans une confiance alors qu’on est tous à haut risque. »
On ne présente plus Olivier Derivière. De A Plague Tale : Innocence et Requiem à Streets of Rage 4 en passant par Assassin's Creed IV, le compositeur français a sublimé chacune de ces productions de ses belles notes et constitue aujourd’hui l’un des artistes les plus prisés du médium, tant il sait pertinemment comment apporter la substance qui saura parfaire les univers qu’il travaille. En 2025, c’est une étape culminante de sa carrière qu’il atteint encore. Les têtes pensantes de Compulsion Games lui ont proposé de collaborer sur South of Midnight avec une liberté créative qui lui permet, à ce jour, de réaliser l’un de ses projets les plus ambitieux : « C’est difficile de faire un jeu vidéo, nous confie-t-il, et l’approche de Compulsion étant très artistique, c’était très sécurisant. Ils sont ouverts à la proposition et amènent beaucoup d’idées sur la table. C’est un studio très arty. Donc, il y a une sorte de confiance qui s’installe. Les premiers mots du Creative Director David Sears étaient ‘je ne veux pas de musique’, donc je me suis senti très impliqué (rires). En fait, il ne voulait pas de musique jolie qui fasse une illustration facile, mais au fur et à mesure des conversations, on a compris que chacune des créatures avait un thème particulier. On a voulu transmettre ça musicalement, et pourquoi ne pas illustrer ça en chanson. »
Et un drame humain avant tout
Les environnements et la musique constituent quasiment des personnages à part entière, aux côtés d'une protagoniste dont la personnalité est déjà bien débordante. On la dit désabusée, sarcastique, mais aussi dotée d'une empathie particulière, qui fera vibrer cette aventure qui s'annonce profondément humaine. « Pour moi, Hazel se démarque parce qu’elle rencontre la plupart des problèmes que connaissent également les personnes réelles, ce qui est rafraîchissant pour quelqu’un qui apprend à devenir une héroïne. Ça ne l’empêche pas d’être inarrêtable, ce qui importe avant tout pour elle, c’est de trouver ses marques et de faire du monde un meilleur endroit », raconte Sears dans les colonnes de Xbox Wire. Déjà perturbée par une série d'échecs personnels et des relations difficiles avec sa mère, Hazel va également devoir se confronter au poids de ses nouveaux pouvoirs de tissage, lesquels se matérialisent de manière très élégante en fils de dentelle extrêmement modulables. « Le tissage se manifeste dans tout le gameplay. Dans la navigation, le tissage va permettre de sauter plus haut, mais aussi d’emprisonner des créatures pour les emmener vers elle, nous explique Archetto. Hazel est capable de faire resurgir des choses du passé pour interagir avec ». Le joueur peut donc s'attendre à des déplacements aériens, dans des espaces qui encourageraient un tant soit peu l'exploration, du moins, on l'espère : « Il y a un chemin principal mais chez Compulsion on travaille beaucoup dans le détail. Il y a beaucoup d’amour qui est mis un peu partout. On cache des petits mystères, donc l’exploration est encouragée. »
Drame humain, conte folkorique, films noirs, gospel et stop-motion : la myriade d'influences longuement travaillées par les équipes de Compulsion Games nous font miroiter un univers particulièrement envoûtant qui nous a déjà conquis par sa beauté et la place qu'il accorde à la musique. On se languit désormais de découvrir les autres aspects du jeu qui, on le rappelle, sortira quelque part dans l'année 2025.