Dans le cadre des Semaines d'information sur la santé mentale (7-20 octobre 2024), JV vous invite à découvrir une sélection de contenus abordant des thématiques liées ce sujet important. L'an dernier, nous vous proposions déjà des papiers d'analyse sur la thérapie par le jeu, le débat sur l'addiction au jeu vidéo ou plus généralement, sur la santé mentale des joueurs. Pour poursuivre dans cette démarche, nous revenons aujourd'hui sur un célèbre cas d'étude, le jeu vidéo Celeste.

Les montages de Celeste

Celeste, c'est d'abord un jeu vidéo au gameplay si parfaitement calibré qu'il est souvent cité comme l'un des plus grands classiques actuels de la scène indépendante. Noté 18/20 dans nos colonnes et 92/100 sur Metacritic, il propose des mécaniques simples en apparence : sauter, grimper et effectuer des dash. Mais la précision est particulièrement de mise dans cette expérience au level design intelligent et précis, qui se renouvelle à chaque chapitre. On y raconte l'histoire de Madeline, une jeune femme qui décide de conquérir une montagne impitoyable, le Mont Celeste en Colombie-Britannique. Chaque section du jeu représente une partie de son combat pour atteindre le sommet, et au fil de son périple, Madeline rencontre de nombreuses personnes traversant leurs propres épreuves de vie. À la base de la montage, la protagonniste croise d'abord une vieille dame qui l'avertit que la montagne lui montrera des choses qu'elle n'est peut-être pas prête à voir, laissant bien présager que Madeline se lance dans un voyage d'introspection.

Celeste offre un défi constant, exigeant, et brille également par son esthétique pixel-art léché et sa bande-son impeccable, les musiques de Lena Raine créant une atmosphère inspirante pour le joueur, qui est placé face à des tâches très ardues. Devant lui, des centaines de pièces (plus de 700) renfermant plateformes, piques et autres pièges placés précisément de façon à le punir quand il se montre trop imprudent. Le défi est d'autant plus rude que le joueur n'a en fait qu'une micro-seconde pour prendre ses décisions dans le feu de l'action. Dans notre test, nous disions qu'il fallait » environ 10 heures et des centaines de morts pour terminer le jeu une première fois, au moins le triple pour le 100% et plus encore pour les acharnés du chrono ». Dans Celeste, vous échouerez à coup sûr, et c'est là tout l'objectif, finalement. Le platformer hardcore considère que l'échec est le meilleur moyen d'apprendre. « Plus vous mourez, plus vous apprenez » peut-on lire parmi les nombreux messages d'aide qui s'affichent à l'écran. Un mémorial présent au début du jeu est aussi « dédié à tous ceux qui ont péri pendant l'ascension ». Des textes réconfortants, écrits pour une raison très juste : « Si vous créez un jeu sur l'anxiété et la dépression, il nous a semblé que nous devions faire preuve à l'égard du joueur de la même gentillesse que celle dont nous faisons preuve à notre égard », a déclaré Maddy Thorson, la créatrice, dans une interview pour Kotaku. Et si la mission est vraiment trop difficile, un outil d'assistance permet de se faire une expérience à la carte et de se tirer d'une situation trop compliquée en ajustant certains paramètres, tels que la vitesse du jeu, le nombre de dash utilisables ou tout simplement en devenant invincible.

La naissance de Celeste

Maddy Thorson, figure désormais incontournable du jeu vidéo indépendant, a d'abord vu sa carrière prendre son envol avec le succès de TowerFall Ascension. Ce party game coopératif, initialement conçu pour la console OUYA (un véritable fiasco dont très peu se souviennent), a conquis les joueurs grâce à son concept simple et efficace : des archers s'affrontent dans des arènes. Thorson et son équipe ont longtemps continué à développer le titre, proposant de nouvelles versions et des contenus additionnels.

C'est en 2015, lors d'une Game Jam, un événement où les développeurs créent des jeux en un temps limité, que Maddy Thorson et son collaborateur Noel Berry ont jeté les bases de leur prochain projet qui deviendra bientôt une œuvre culte. Leur prototype, Everest, est conçu pour la console virtuelle PICO-8, une machine complétement fictive que l'on utilise pour reproduire les consoles standards des années 1980. Avec de telles limitations techniques, il va falloir mettre au point un concept aussi simple qu'efficace. Et c'est généralement ce que retrouve Thorson dans ses softs de prédilection qu'elle appelle les jeux "maso-core" : surnom donné aux expériences particulièrement difficiles, celles qui poussent les joueurs dans leurs retranchements et exigent de leur part une patience et une persévérance à toute épreuve, comme le proposerait un Super Meat Boy. C'est dans ce contexte que naît Celeste, dont l'engouement est si fulgurant que le prototype fait très vite le bonheur des curieux d'Internet et des speedrunners. Pas le choix, il va falloir en faire un jeu complet.

Une véritable thérapie personnelle

Celeste devient au fil de son développement le reflet des expériences personnelles de sa créatrice, Maddy Thorson, qui a toujours lutté contre l'anxiété et la dépression. En créant le personnage de Madeline, elle a finalement donné forme à ses propres démons intérieurs. L'histoire, initialement conçue comme un élément secondaire, est devenue au fil du développement un récit sur la lutte contre soi-même et l'acceptation de ses propres limites, mais aussi une véritable allégorie de la dépression, de tous les troubles et symptômes qu’elle englobe et de la difficile épreuve de la guérison qui peut sembler a priori insurmontable. Dans certains niveaux, un double pragmatique de Madeline apparaît et tente de dissuader l'héroïne dans son périple, la voyant forcée de se lancer dans une course-poursuite rythmée par une musique qui s'intensifie, avant de s'éteindre quand le calme revient. Des moments aussi stressants que plaisants durant lesquels le joueur doit se surpasser pour vaincre. Chaque chapitre est pensé comme un grand morceau de musique et quand Thorson en crée un, elle semble d'abord penser aux émotions qu'elle espère transmettre au joueur et façonne ainsi un chemin mélodieux. Tout un processus que nous vous racontions d'ailleurs quelques mois plus tôt dans un épisode de notre format JV Legends.

Dans un message personnel publié sur son site personnel,, Thorson confiera que le personnage principal, Madeline, et elle-même, sont transgenres. Et de souligner l'importance de représenter les personnes transgenres dans les médias et d'aider à mieux comprendre les enjeux liés à l'identité de genre. Une réalisation qui s'est faite progressivement, notamment pendant le développement du contenu additionnel de Celeste. L'identité de Madeline n'est jamais explicitement partagée dans le jeu, de sorte à lui laisser une certaine intimité et éviter de la réduire à cette seule caractéristique. La créatrice souligne également l'importance de représenter les personnes transgenres dans les médias et d'aider à mieux comprendre les enjeux liés à l'identité de genre.

Lorsque Madeline se regarde dans le miroir et voit son autre moi, lorsqu'elle tente d'abandonner son reflet, qui l'entraîne alors dans la montagne, lorsque les deux se réconcilient et fusionnent pour devenir plus forts et plus complets... tout cela a été écrit sans le savoir d'un point de vue trans. Donc, si vous êtes une personne cis et que vous vous reconnaissez dans Madeline, vous ne devriez pas avoir l'impression que nous vous avons trompé. Au contraire, vous pouvez considérer que les sentiments trans et cis ne sont pas si différents, que le fossé entre trans et cis n'est pas si grand, et que la plupart des façons dont l'existence trans vous est étrangère sont le résultat d'une exclusion et d'une oppression sociales injustes. Si vous avez tiré quelque chose de Celeste, et que vous pensez maintenant que le fait que Madeline soit trans ruine tout cela pour vous, je considérerais cela comme un signe que vous avez des croyances transphobes à travailler.

Une alternative gratuite au jeu

« Nos priorités étaient de raconter une histoire qui nous tenait à cœur et d'explorer ces sujets d'un point de vue individuel, afin d'attirer les joueurs dans ce monde avec ces personnages que nous avons appris à aimer », a confié Thorson dans une interview accordée à Kotaku. « Notre intention n'était pas de représenter la maladie mentale en général, ni de faire un guide sur la façon de gérer la dépression, et nous n'avons pas pensé à consulter des professionnels sur le sujet », tient-elle aussi à préciser. La compositrice, Lena Raine, racontera qu'un joueur lui a écrit pour dire que le jeu l'avait aidé à faire face à des pensées suicidaires. « L'un d'entre eux a mentionné qu'il était suicidaire, mais qu'il avait choisi de vivre grâce à l'encouragement donné par le jeu. Je ne pense vraiment pas avoir jamais ressenti autant de validation que ce que je fais avec ma vie peut aider les gens. »

Vous pouvez généralement retrouver Celeste sur PC, Switch, PS4 et Xbox One au prix de 19,50€. Mais bonne nouvelle, il existe également une alternative gratuite et complétement officielle. À l'occasion du sixième anniversaire de Celeste, Thorson a dévoilé Celeste 64, une expérience de plateforme 3D gratuite qui rend hommage à la Nintendo 64. Cette version, développé en une semaine semaine, conserve l'âme de l'original tout en explorant de nouvelles mécaniques de jeu. Un cadeau qui a visiblement séduit les fans si l’on se réfère à la note de 4.9/5 qu’il a reçue de la part de 242 avis sur la page Itch.io du soft.