“Un espion sans pareil”, “un cheval de Troie de la NSA”, “votre vie privée exposée”... les titres anxiogènes se multiplient sur les sites influents au mois de mai 2013, quand Microsoft révèle officiellement sa future console de jeux. L’ancien sauveur des dernières années de la Xbox 360 se transforme en menace, et le géant américain ne va pas avoir d’autre choix que de s’en séparer.
Sommaire
- Big brother is watching you
- L’objectif bloqué de la caméra
- De la reconnaissance des mouvements à l'immobilisme
Big brother is watching you
“De nombreuses personnes l'avaient deviné, jouant les 'Madames Soleil', mais ils avaient sans doute raison”, écrivions-nous le 13 mai 2014. “Microsoft vient d'annoncer qu'une Xbox One sans Kinect sera disponible sur le marché, pour 399 euros, et ce dès le 9 Juin 2014” ajoutait notre cher Epyon dans son article. Loin d’avoir fait un carton auprès des joueurs, le capteur s’en voit soudainement privé. Il y a urgence à retirer l’accessoire des boîtes. Dès le mois d’avril 2014, les ventes de la Xbox One chutent tandis que celles de la PlayStation 4 s’envolent. La première décision de Phil Spencer – fraîchement nommé à la tête de la marque au gros “X” – est de retirer Kinect des packagings pour baisser le tarif de sa console. C’est le début de la fin du capteur star de la Xbox 360, dont le grand public ne capte qu’une chose : l’accessoire de la future console de Microsoft est un risque au respect de la vie privée. Et ça, ce n’est pas quelque chose d’accessoire pour les acheteurs.
Du point de vue de la firme de Redmond, Kinect v2 est un bijou technologique. La caméra dispose d’une résolution élevée (1080p), d’un angle de vision large, d’un microphone puissant à même d’entendre des chuchotements et d’une technologie capable de reconnaître une multitude de mouvements de jour comme de nuit (grâce à l’infrarouge). Il peut aussi analyser les expressions faciales ou encore déterminer le rythme cardiaque du joueur. “Si tu ne trouves pas tout ça diabolique, je suis dans le regret de t'annoncer que tu possèdes le niveau de conscience morale d'une huître à marée basse” lit-on dans un message de nos forums publié le 25 mai 2013. “Le kinect v2 de la Xbox One est un appareil pensé et créé spécialement dans le but de contrôler vos faits, gestes, paroles et de façon moins directe vos pensées” s’inquiète l’auteur du topic.
C’est un fait, plus Microsoft insiste sur les capacités prodigieuses de son capteur, plus la presse et le grand public agitent le drapeau rouge. Chez Francetvinfo, on souligne que la console est “soupçonnée d’espionnage domestique” par des associations américaines et par la CNIL allemande (BfDi), tandis que Terrafemina appelle Kinect “l’espion connecté”. S’appuyant sur un article de The Guardians faisant le lien entre la NSA et les GAFAM, Forbes écrit que “le programme d'espionnage domestique de la NSA rend la Xbox One encore plus effrayante”. Le géant américain a beau se démener comme un diable pour éteindre les braises, l’incendie se propage sur le Net. Certes, Kinect v2 est à l’aise avec la reconnaissance de mouvements, mais celui qu’il provoque est le rejet.
L’objectif bloqué de la caméra
Aucun propos officiel, aucune déclaration de confidentialité ne calme les esprits. Kinect, après s’être vendu à 24 millions d’exemplaires sur Xbox 360, devient un repoussoir. Il a été les yeux de la 360, puis il a amené le mauvais œil sur la One jusqu’à son lancement, le 22 novembre 2013. L’ex “Project Natal” qui était parvenu à réunir des familles pendant la période de gloire du motion gaming et qui a convaincu Microsoft de faire une version plus puissante pour sa nouvelle machine fait figure d’épouvantail.
Les promesses d'une navigation dans les menus facilitée répondant aux doigts et à la voix ne changent rien. Ce capteur obligatoire à l’expérience Xbox qui débarque sans grand jeu dédié agace les hardcore gamers, d’autant plus qu’il fait exploser l’addition. Il faut attendre le 8 avril 2014 pour mettre les mains sur le premier vrai jeu pensé pour l’accessoire avec Kinect Sports Rivals, avant que d’autres – plus intéressants – n’arrivent au compte-goutte dans les mois qui suivent (D4, Disney Fantasia, Fru).
Le retrait de Kinect v2 des cartons des Xbox One décidé par Phil Spencer et ses équipes est le premier coup de pelle venu enterrer l’ancienne gloire de la 360. Au fil des semaines, la reconnaissance des mouvements sur l’interface disparaît, tandis qu’un adaptateur devient nécessaire pour brancher l’accessoire sur les nouveaux modèles de la console. Abandonné par les first-party comme les tiers, Kinect v2 s’échoue dans les bacs des Cash Express où il propose ses services diminués contre une vingtaine d’euros. Vendu un temps à part, le capteur disparaît définitivement le 25 octobre 2017 quand Microsoft révèle l’arrêt de sa production.
De la reconnaissance des mouvements à l'immobilisme
Que reste-t-il de Kinect aujourd’hui ? Plus grand-chose. L’accessoire a bien été utilisé par des professionnels venant du monde de la chirurgie à celui du prêt-à-porter, mais le descendant du Xbox Live Vision a lassé aussi bien les joueurs que les départements R&D. En 2019, l’accessoire est revenu dans une version modifiée réservée aux professionnels avec Azure Kinect, mais sa production a pris fin en août 2023. L’âme du Projet Natal a bien continué de vivre au sein du casque Hololens, mais ce dernier ne donne plus de signes rassurants depuis le licenciement de son équipe et l’abandon de la plateforme Windows Mixed Reality, fixé au 1er novembre 2026.
L’aventure Kinect a néanmoins forgé une opinion forte auprès des dirigeants d’Xbox : rien ne sert de se lancer dans une technologie qui n’a pas déjà trouvé son public. C’est parce que Matt Booty et Phil Spencer estiment que la VR n’a toujours pas fait ses preuves que les consoles de la firme de Redmond n’en proposent pas. Certains parleront de prudence salvatrice, surtout lorsque l’on voit comment le PSVR 2 est traité par Sony, quand d’autres estimeront qu’il s’agit d’un manque de courage regrettable.