“Le subconscient est un état dans lequel la réalité n’est qu’un visiteur” lit-on au dos de la boîte de cet étrange titre de Namco sorti le 17 juin 2004 en France. “Vous voici sur le point d’entreprendre un voyage qui va mettre votre corps à l’épreuve, arracher votre âme et vous torturer l’esprit” voit-on sur la jaquette. Oui, ce drôle de FPS a été l’un des premiers à donner autant d’importance au corps. Et c’est ce qui lui a donné un cœur.
Un besoin de jeux vidéo japonais exclusifs
Brandie par Bill Gates au Toys “R” Us de New York avant d’être confiée à un certain Edward Glucksman, que l’histoire retiendra comme le premier acheteur de la première console de jeux de Microsoft, la Xbox sort le 15 novembre 2001 aux États-Unis. À son arrivée, elle propose aux joueurs de partir à l’aventure avec Abe dans Munch’s Oddysee, de faire la course au volant de bolides surpuissants dans Project Gotham Racing, de se prendre des claques dans Dead or Alive 3, et surtout de fusiller de l’alien grâce à l’incroyable Halo : Combat Evolved.
Plus d’un million de consoles sont livrées aux boutiques d'Amérique du Nord, ce qui se révèle être un miracle quand on sait à quel point le projet s’est monté dans la précipitation. Si le lancement est réussi outre-Atlantique, cela n’est pas vraiment le cas dans le reste du monde quand elle débarque au début de l’année 2002. Il faudra un nouveau modèle de manette (plus petit), des baisses de prix drastiques, et surtout l’arrivée du Xbox Live pour que la firme de Redmond parvienne à prendre l’ascendant sur Nintendo et sa GameCube.
Cependant, ces efforts pour s’imposer plombent les résultats du groupe cofondé par Bill Gates. Au début de l’année 2003, le segment “home and entertainment”, qui comprend la Xbox, enregistre une perte d’exploitation de 190 millions de dollars, contre une perte de 97 millions l’année précédente. La baisse de prix de la machine est évidemment pointée du doigt. C’est dans ce contexte financier délicat que Microsoft tient sa conférence de l’E3 2003. Le géant sait qu’il a encore beaucoup de choses à prouver et continue son opération séduction en signant des exclusivités avec de grands éditeurs japonais tels que SEGA, Tecmo, Capcom ou encore Namco.
À l’E3 2003, alors que l’entreprise derrière Windows diffuse de nouveaux extraits de Ninja Gaiden, Dino Crisis 3, SEGA GT, ou encore True Fantasy Live Online (un MMORPG signé Level-5 qui sera annulé l’année suivante), c’est Namco qui crée la surprise. Les géniteurs de Tekken dévoilent la toute première bande-annonce de son futur jeu prévu exclusivement sur la machine américaine. Son nom ? Breakdown.
Barré au premier regard
Le trailer diffusé intrigue la presse qui assiste à l’événement. Difficile de ne pas voir les multiples références à Matrix avec ses héros qui courent sur les murs et qui font des pirouettes dans tous les sens, les flingues qui crachent des balles par centaines et les hélicoptères qui font feu au minigun sur de grands buildings. Annoncé initialement au TGS 2002 par l’intermédiaire de quelques images, c’est en mouvement que l’on perçoit la promesse originale du titre : celle de faire vivre une aventure à la première personne, où chaque mouvement est retranscrit à l’écran de manière réaliste.
Nous ne parlons pas ici d’un FPS classique, où l’on a souvent l’impression que la caméra est posée sur des roulettes avec un flingue collé en bas à droite, mais bien d’un vrai jeu d’action en vue subjective où chaque mouvement est retranscrit : la main du héros prend les poignées pour ouvrir les portes, tourne les pages des documents, agrippe les volants des véhicules, fouille dans les poches des soldats morts. Le corps du protagoniste principal est intégré à l’univers et cela se perçoit grâce à son ombre projetée dans l’environnement ou encore à ses jambes visibles quand on baisse la tête. Ce n’est pas quelque chose de courant en 2004.
Plus intéressant encore, le titre promet des combats rapprochés à la première personne où les coups de poing et de pied s’enchaînent comme dans un véritable jeu de baston, sauf qu’ici tout se fait en vue subjective. Une idée développée par le lead game designer, Ryouji Ichikari, un habitué des jeux de baston ayant travaillé sur Soul Blade, Tekken 3 et Soul Calibur. Cela sort tellement des sentiers battus que les rédactions du monde entier vont classer Breakdown dans un nouveau genre : le FPF, pour First Person Fighter. “Namco tente de dépoussiérer un genre qui n'a plus évolué depuis des lustres. Un pari osé en passe d'être accompli” lit-on dans le magazine officiel Xbox n°21.
Une expérience unique en son genre
Lorsqu’il sort chez nous le 17 juin 2004, Breakdown est quelque peu chahuté par la presse spécialisée. Joypad salue son “expérience inédite” et lui octroie un 8/10, tandis que Gamekult, qui le qualifie de “bonne surprise avec un concept intéressant”, lui donne la note de 6/10 à cause d’un level design trop basique et d’une maniabilité imprécise. Il faut reconnaître que la production de Namco ne lésine pas sur les mouvements à réaliser. Derrick Cole, le héros, a la faculté de sauter, d’escalader, infliger des uppercuts, faire des saltos et même de glisser sur le sol… sans que cela ne soit agréable pour le joueur, la faute à manque de réactivité, à une vitesse d’orientation de la caméra jamais agréable peu importe le paramètre choisi, et à un flottement prononcé lorsqu’il faut se saisir d’un objet. En d’autres termes, le pari du “100 % subjectif” entache un gameplay qui aurait mérité de meilleurs ajustements.
De notre côté, nous lui avions attribué la note de 15/20, saluant son “expérience unique” misant tout sur “l’immersion”. Il est clair que sur cet aspect, Breakdown est un titre à ne pas oublier. Doté d’un scénario agréable à suivre grâce à ses multiples rebondissements et bourré d’éléments de mise en scène peu convenus, le soft se démarque des autres jeux d’action sortis au début des années 2000. Ayant récolté un 71/100 sur Metacritc, avec des notes allant de 8/10 chez EGM à 5/10 chez Edge, Breakdown n’a jamais connu de suite. En outre, Masafumi Shibano, le réalisateur principal, ne travaillera plus sur d’autres projets de jeux. Il n’empêche qu’aujourd’hui, il est peut-être temps de réhabiliter la création de Namco tant sa vision du corps de l’avatar dans les FPS a été reprise, et, bien sûr, améliorée.
Sans aller jusqu’à dire qu’il était le Mirror’s Edge de la Xbox quatre années avant le célèbre titre de DICE, il a tenté des choses nouvelles dans l’aventure à la première personne sur une console où Halo régnait en maître. “C'est un défi cassé, bouchonné, bizarre, psychédélique et foireux à expérimenter. Mais magnifique, stylé et très original, avec de bons concepts, et surtout immersif... J'ai adoré” peut-on lire dans un récent commentaire posté par ici. Breakdown est aujourd’hui jouable sur Xbox Series X|S grâce au programme de rétrocompatibilité. De quoi (re)découvrir un véritable oublié de la “playhistoire”.