A en croire les dernières déclarations publiées dans la presse, la ruée vers l'or est terminée pour ces indépendants qui comptaient sur le Game Pass pour briller.
Il y a quelques jours, Gareth Damian Martin, auteur sur l’un des RPG narratifs les plus encensés de ces dernières années, Citizen Sleeper, s’exprimait au sujet de l’offre du Xbox Game Pass, formulant l’hypothèse que la licence n'aurait probablement pas connu le même succès sans sa sortie dans le service de Microsoft.
(Les joueurs) disent tous : "je ne joue pas à ce genre de jeux, mais j'ai essayé parce qu'il était dans le Game Pass et j'ai adoré". Et c'était énorme pour Citizen Sleeper. Honnêtement, je pense que le Game Pass permet à de nombreux studios indépendants de fonctionner encore aujourd'hui. L'argent est dérisoire pour Microsoft, mais c'est la raison pour laquelle nous pouvons faire un nouveau jeu.
Terre d’accueil vitale pour certains développeurs, le service de Microsoft rencontre néanmoins depuis quelques mois de nouveaux détracteurs, évoquant un système vertueux qui commence à s’effondrer. Lors d'une interview accordée à la dernière Game Developers Conference de San Francisco, les développeurs de Slay the Spire et Darkest Dungeon ont affirmé avec recul que les marchés sur lesquels certains petits développeurs ont pu compter ces dernières années pour obtenir des fonds n'étaient plus ce qu'ils étaient. Principales plateformes visées : les exclusivités Epic Game Store et le Xbox Game Pass. Casey Yano, cofondateur du studio Mega Crit, a notamment tenu ce discours : "J'ai parlé à au moins cinq petites équipes, de 35 membres et moins, pendant la GDC, et ils reviennent tous sur la même chose : Des coupes, des coupes, des coupes, des financements annulés, des discussions qui duraient depuis un an, annulées. Nous sommes vraiment très privilégiés de pouvoir nous autofinancer. Sinon, j'aurais très, très, très peur en ce moment". Lancé en accès anticipé sur Steam, Slay the Spire a d’abord connu des débuts assez faiblards avant de devenir un géant du deckbuilding. Darkest Dungeon est lui aussi une référence de son genre, et tous deux sont disponibles sur Game Pass PC, bien que le directeur de Darkest Dungeo, Chris Bourassa, ait déclaré que les offres de Microsoft pour les jeux de ce type ont "perdu de leur ampleur" depuis que le service d'abonnement a été lancé. Et "il en va de même pour Epic”, selon Bourassa qui conclut : "La ruée vers l'or est terminée.”
C’est une évidence, il est bien difficile pour les développeurs indépendants d'obtenir des financements sur un marché sursaturé. Et alors qu’Epic et Xbox faisaient un peu office de phare dans la nuit, les dernières observations s’attachent à signaler un déclin de l’offre proposée. Depuis des années, Microsoft a conclu des centaines de partenariats avec tout autant de développeurs dans l’optique de gonfler facilement l’offre du Game Pass, en échange de quelques centaines de millions d’euros. Même procédé pour Epic Games qui a déjà déboursé la somme folle de 210 millions de dollars en garanties minimales lors de la première vague d'exclusivités EGS en août 2019. Conséquence : la boutique n’a pas été rentable avant novembre 2023. En 2022, Microsoft se félicitait d’avoir versé aux développeurs "plus de 2,5 milliards de dollars de royalties" dans le cadre de l'initiative indie de l'éditeur, ID@Xbox. Il a également révélé que Xbox a versé aux développeurs et aux éditeurs "des centaines de millions de dollars en droits de licence Game Pass". Une période dorée pour les petits développeurs lors de laquelle Josh Sawyer notamment, directeur de la conception d'Obsidian, estimait que le jeu Pentiment devait son existence au Game Pass. Mais la roue semble avoir tourné à en croire les dernières déclarations.
La visibilité à quel prix ?
En novembre 2023, en marge de la dernière édition de la Paris Games Week, Guy Richards, directeur d'ID@Xbox, certifiait pourtant encore que les créateurs indépendants n'ont jamais été aussi importants pour Xbox et “qu'ils continueront à l'être" Le programme, qui a débuté dix ans plus tôt et a encore été élargi au début d’année dernière, est voué à soutenir les créateurs qui ont besoin d'aide pour leurs projets d'autoédition tout en les exposant dans le Game Pass.
L'équipe qui travaille avec les créateurs indépendants n'a jamais été aussi nombreuse et nous n'avons jamais autant investi dans les jeux indépendants, que ce soit par l'intermédiaire d'ID@Xbox ou du programme d'accélération des développeurs, conçu pour soutenir les créateurs issus de groupes sous-représentés.
La visibilité gagnée est évidemment phénoménale. Derniers succès fièrement cités en date : Sea of Stars de Sabotage Studios ou Cocoon d'Annapurna Interactive, qui ont fait partie de l'abonnement Game Pass de Xbox le jour de leur sortie. Le premier a dépassé les quatre millions de joueurs en quelques mois et s’est vendu à plus de 250 000 exemplaires, ce qui constituait l'objectif de vente du studio pour l'année entière. Pourtant, l’initiative est perçue de plus en plus comme un inconvénient, notamment depuis que Microsoft a reconnu que le service d'abonnement “cannibalisait” les ventes de jeux de base. Dans le cadre d'une enquête liée à l'acquisition d'Activision-Blizzard par Microsoft, le géant américain a admis que l'inclusion d'un jeu dans le Game Pass pouvait avoir un impact négatif sur ses ventes. Une révélation étayée par un rapport du CMA (Competition and Markets Authority), qui montre que les ventes d'un jeu diminuent pendant douze mois après son ajout au Game Pass. Dans ce même rapport, on apprend que Microsoft a déclaré qu'Activision était loin d'être favorable à voir ses jeux arriver sur le Game Pass ou sur n'importe quel autre service d'abonnement. Des propos qui vont drastiquement à l’encontre des affirmations datées de 2018 de Phil Spencer, chef de Xbox, selon lesquels le Game Pass stimule les ventes plutôt que de les saper.
"Lorsque vous mettez un jeu comme Forza Horizon 4 sur Game Pass, vous avez instantanément plus de joueurs du jeu, ce qui conduit en fait à plus de ventes du jeu. Vous dites : "Eh bien, tout le monde ne va-t-il pas simplement s'abonner pour 10 $ et aller jouer à cette chose ?". Mais non, les joueurs trouvent des jeux en fonction de ce que font les autres.
Au lieu de constater les déconvenues sur le long terme, la team Xbox renforce plutôt les avantages alternatifs directs ou ceux qui ont un impact sur la visibilité des jeux indépendants. Si les développeurs indépendants semblaient s'accommoder de cette cannibalisation, c’est probablement parce que Xbox leur donnait jusqu’à maintenant suffisamment d’argent à l'avance pour compenser les risques liés à la sortie de leur jeu. Mais désormais, le deal semble moins intéressant.
10 minutes pour vous convaincre ?
Il y a toujours eu deux sons cloches sur la rentabilité du Game Pass pour les développeurs indépendants. Sur les forums comme Reddit, les consommateurs y vont de leurs arguments : “La plupart des jeux indépendants auxquels je joue sur gamepass, je ne les aurais pas achetés de toute façon, donc je ne pense pas qu'ils ratent quoi que ce soit. En fait, cela permet à plus de gens de jouer et de parler d'eux, donc je pense que c'est en fait bénéfique pour eux”, dit l’un, quand l’autre rétorque : “Beaucoup de bons jeux indépendants ne seront pas sur Game Pass, donc si les gens peuvent choisir entre jouer à des jeux sur GP ou acheter un jeu qui n'est pas sur GP, je pense que beaucoup choisiront de jouer à ceux qui sont sur GP. Cela peut nuire à certains développeurs indépendants, mais profiter à d'autres.” Aujourd’hui, il apparaît clair que le service n’est pas l’eldorado rêvé pour tous. Dino Patti, le développeur de Somerville, s'est entretenu en 2023 avec videogames.si pour affirmer que le Game Pass "nuit aux ventes", même si l'équipe a conclu "un très bon accord" avec Xbox pour amener le titre sur le service.
Nous avons conclu un très bon accord. Je pense aussi que cela nuit aux ventes. Parce que beaucoup de gens y vont pour l'essayer et ne s'investissent pas. S'ils n'aiment pas les 10 premières minutes ? C'est fini. De même, si vous ne rendez pas les dix premières minutes extraordinaires, c'est peut-être aussi un problème.
Les démarrages de Somerville sont en effet difficiles. J’écrivais à ce sujet que la maniabilité n’est franchement pas agréable, les perspectives me rappellent les difficultés que j’avais déjà rencontrées sur Little Nightmares et le jeu manque vraiment d'intuitivité. Des observations qui ont donc pu être partagées par quelques milliers d’abonnés au Xbox Game Pass qui ont choisi de ne pas poursuivre l’aventure. Patti a ajouté qu'il préférait l'ancien modèle qui consistait à vendre les jeux directement et à devoir "livrer" ce qui était annoncé. “Ce que je préfère, c'est l'ancien modèle premium, où je vous vends de la vidéo, de grandes images et où je gagne vos 30 dollars. Ensuite, je dois vous livrer la marchandise. Je n'ai pas besoin de vous soutirer de l'argent plus tard.”
C'est indéniable, le Game Pass change fondamentalement la façon dont les joueurs achètent des jeux ainsi que leur mode de consommation. Et quand Chris Charla, de Xbox, certifie à GamesIndustry.biz que le modèle ne perturbe en rien le marché, beaucoup ont bien du mal à y croire : "C'est additif. Les gens achètent encore beaucoup de jeux et ils achètent encore beaucoup de jeux sur Xbox. Ils achètent des jeux par le biais de Game Pass avec une réduction, ce qu'ils obtiennent en tant que membres. Je ne pense donc pas que Game Pass ait été un modèle commercial perturbateur, il a été additif d'une manière très positive”. Mais même du côté des consommateurs, l’engouement semble baisser. Ces dernières années, le Game Pass, recevait une myriade de louanges pour une proposition régulière de jeux AAA, et de succès multiplateformes, enrichie par une variété de titres plus modestes. L'attrait de l'abonnement réside aussi en partie dans son élément de surprise : on peut découvrir des jeux indés géniaux et les voir devenir nos coups de cœur. Mais selon certains points de vue, comme celui des journalistes de Kotaku, “le géant mise plus sur les géants du AAA comme ZeniMax et Activision Blizzard, et non sur les profondeurs de son catalogue de jeux indépendants”. Conséquence directe : les abonnés ont l'impression que leur abonnement a moins de valeur pendant les périodes creuses et les indés n'ont plus l'air d'y trouver leur compte.