C’est le 2 mars 2004 que sort aux États-Unis un jeu conçu par la Team Ninja particulièrement attendu. La violence de son impact n’a alors d’égale que l’intensité de sa difficulté. Admirée et redoutée, cette production signée Tecmo et Tomonobu Itagaki s’impose comme une expérience indispensable de la première Xbox. La plupart du temps, nous fêtons les anniversaires en soufflant sur des bougies. Mais aujourd’hui, c’est un shuriken “moulin à vent” qui éteint les 20 flammes du gâteau.
Sommaire
- Ninja gue-din
- Dur comme une lame de katana
- La voie du ninja
- Itagaki nous rend gaga
Ninja gue-din
Apparue en 1988 dans les salles d’arcade avant d’être portée sur une multitude de supports, la série Ninja Ryūkenden/Ninja Gaiden/Shadow Warriors nous met depuis plus de trois décennies dans le costume – mauve ou sombre en fonction des épisodes – de Ryu Hayabusa. Dès le premier volet, la saga parvient à imposer son style grâce à la variété des mouvements du protagoniste principal : saut périlleux vers l'avant ou l'arrière, saut latéral, saut retourné en prenant appui sur un mur, possibilité de se suspendre à des éléments du décor, coups de poing, coups de pied, projections, coup spécial… la liste est étonnamment longue. Ninja Gaiden récompense le joueur qui sait bouger, quand bien même il devrait effectuer des pirouettes insensées pour éviter de se prendre un mauvais coup. Ce gameplay riche, surtout comparé aux autres titres de la seconde moitié des années 1980, restera une des marques de fabrique de la saga. Accompagnée d’une autre composante : la difficulté éprouvante.
Entre fin 1988 et 1992, il sort 7 jeux Ninja Ryūkenden/Ninja Gaiden/Shadow Warriors originaux édités sur une multitude de plateformes, allant de la petite Game Boy de Nintendo à la Master System de SEGA. Parmi eux, trois épisodes canoniques formant une trilogie complète, pensés comme des jeux de plateforme bourrés d’ennemis à abattre, destinés avant tout à la NES. Chaque nouveau volet apporte son lot d’améliorations avec des mouvements toujours plus nombreux, des niveaux toujours plus dynamiques et des compétences étonnantes, comme le Shadow Clone qui crée une copie de Ryu. Les tests de l’époque reconnaissent les grandes qualités des jeux, mais soulignent à de nombreuses reprises le challenge ardu, voire frustrant, que réservent les aventures du célèbre Ninja. La version américaine du troisième épisode a même augmenté son challenge en rendant les ennemis plus résistants, et en retirant le système de mot de passe de la version japonaise. Même les testeurs habitués aux défis relevés des titres du début des années 1990 s’arrachent les cheveux ! La version Master System, développée par SEGA, testée dans le n°12 de Console + (septembre 1992), est décrite comme ayant “une difficulté parfois très élevée, pour ne pas dire décourageante”. Les mots sont lâchés.
Dur comme une lame de katana
Si les jeux très difficiles – aux frontières de l’impossible – étaient monnaie courante durant les années 1990, ils se sont mis à disparaître pendant la première décennie des années 2000, en partie grâce à l’industrialisation du jeu vidéo. Le secteur cherche à homogénéiser ses codes et à mettre dans les boutiques des productions qui collent au maximum au goût des joueurs, afin de s’assurer des succès commerciaux conséquents. C’est ainsi que naissent les playtests organisés au sein des User Research Labs. Les professionnels qui encadrent ces sessions de jeu ont pour mission de dénicher les soucis liés au design, et de s’assurer que la frustration ressentie à cause d’un challenge trop corsé ne va pas forcer l’utilisateur à abandonner. Et devoir recommencer un jeu depuis son prologue à cause d’un Game Over fait clairement partie des sources de frustration pouvant pousser un individu à éclater son pad contre le sol.
Pendant longtemps, le Ninja Gaiden de la Master System reste le dernier épisode original de la saga. Arrivé après le troisième opus de la NES, il reprend ce qui a fait le charme de la série tout en ajoutant ce qui avait particulièrement plu aux joueurs dans la trilogie de base (des mouvements variés, des power-ups à usage limité, des sauts d’une corniche à une autre, etc.). Si l’on ne compte pas la compilation fainéante regroupant les trois jeux NES sortie sur Super Nintendo en 1995, sobrement intitulé Ninja Gaiden Trilogy, il faut attendre pas moins de 12 ans pour que Tecmo décide de redonner une chance à Ryu Hayabusa de tout défoncer, en 3D cette fois-ci, à l'occasion d'une épopée inédite.
Le ninja qui a esquivé la cinquième génération de consoles est donc prêt à virevolter dans des décors plus ouverts pour décapiter tout ce qui bouge (ce qui lui vaudra de la censure dans certains territoires). Mais comment faire revivre un jeu très difficile à un moment où le défi trop élevé n’est plus considéré comme un bon argument de vente ? Tomonobu Itagaki, son réalisateur, a la réponse : en se fichant de ce que pourraient dire les moins doués de la manette. Le nouveau Ninja Gaiden sera un soft aussi compliqué que ses prédécesseurs, et tant pis si les journalistes ne sont pas contents !
La voie du ninja
À l’origine prévue pour sortir sur Dreamcast avant d’être envisagée sur PlayStation 2, c’est finalement sur Xbox que la résurrection de Ninja Gaiden a lieu. Montré pour la toute première fois à la conférence Xbox de l’E3 2003, Ninja Gaiden est rapidement devenu un des softs les plus attendus des joueurs de la console de Microsoft, aux côtés de Fable et de Halo 2. Jusqu’alors privés de Devil May Cry, exclusif à la PlayStation 2 à cette époque, les fans voyaient en la proposition de Tecmo le Beat’em up 3D dont ils avaient toujours rêvé : conçu par le talentueux Tomonobu Itagaki, puisant dans toute la puissance de la machine grâce à son statut d’exclusivité, et promettant une palette de coups/d’armes à faire blanchir les cheveux de Dante. La première bande-annonce de gameplay, largement diffusée via les outils promotionnels de la firme de Redmond (site Internet, DVD “Xbox : la différence” distribué dans certains magasins), montre un jeu d’action beau, nerveux, sanglant, aux ennemis et aux décors variés.
Prévue pour le tout début de l’année 2004 aux États-Unis et au Japon, la sortie de Ninja Gaiden est repoussée de quelques semaines au finish. C’est finalement le 2 mars 2004 que le soft donne rendez-vous à tous les possesseurs de Xbox. Comme la presse s’y attendait, le légendaire Ryu Hayabusa fait son come-back tonitruant sur la machine américaine dans un pur jeu d'action aux affrontements stylisés. Désormais en 3D, le Beat’em up autorise les acrobaties les plus incroyables pour des combats spectaculaires. Bien sûr, ce Ninja Gaiden de nouvelle génération apporte son lot d’innovations pour la série.
Pour la première fois, Ryu Hayabusa voit ses compétences augmenter au fil de la progression, et il peut acquérir toutes sortes d'armes et d’objets chez un marchand. De nouveaux mouvements sont au programme, comme le fait de courir le long des murs, d’esquiver, de bloquer ou d’aspirer les orbes adverses afin de déclencher des combos dévastateurs. La grande force de la production de la Team Ninja vient des multiples armes à équiper, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. Épée du dragon, Nunchakus, Faucille Vigooréennes double, Griffes du Dragon, Bâton Lunaire, Dabilharo, Arc, Shurikens... il y en a pour tous les goûts, et surtout pour tous les types d’ennemis et de boss. Des attaques magiques sont aussi de la partie, utiles pour blesser/tuer des groupes de monstres sans se fatiguer. Bénéficiant d’une moyenne de 91/100 sur Metacritic, la production de Tecmo est plébiscitée. Mais un défaut est régulièrement cité : le soft serait trop compliqué.
Malgré la présence de points de sauvegarde (des stèles de dragon) et d’armes à améliorer, Ninja Gaiden est un jeu difficile. Il a d’ailleurs été conçu pour l’être, Itagaki ayant estimé que le succès des précédents épisodes reposait aussi sur le challenge ardu. Les adversaires sont donc résistants, font beaucoup de dégâts, sont capables de briser la garde et apparaissent parfois à quelques mètres du héros dans des vagues harassantes. Mais Itagaki a son petit secret pour faire de Ninja Gaiden un jeu qui peut être terminé par tout le monde, en tout cas selon lui : plutôt que d’être un jeu où le par cœur est nécessaire pour avancer (à l’instar de la première trilogie), cette version 2004 demande uniquement d’avoir de bons réflexes. Ainsi, la plupart des coups sont évitables avec une esquive bien placée, tandis que les timings, comme dans un jeu de combat, sont plus importants que jamais pour l’emporter. Ce n’est malheureusement pas suffisant pour le magazine Edge, qui juge la difficulté de Ninja Gaiden comme étant “un défaut de conception”.
Itagaki nous rend gaga
Dans une interview de Tomonobu Itagaki faite par le site Kikizo datant du 27 mai 2004, le designer de la Team Ninja revient sur le challenge du jeu fortement critiqué au moment de sa sortie. “Cela a été fait intentionnellement, bien sûr”, s’amuse-t-il, avant d’ajouter le sourire aux lèvres : “les testeurs qui ont testé ce jeu sont devenus fous. Au début, Ninja Gaiden était plus facile, mais quand les testeurs ont dit ‘c'est trop difficile’, je l'ai rendu encore plus difficile”. Sympa ! Tirant parti des fonctionnalités du Xbox Live dans le but d'encourager les joueurs du monde à faire les meilleurs scores, le jeu de Tecmo a également profité du service en ligne de Microsoft pour recevoir des patchs (système de caméra) ainsi que des améliorations (système de combat) et des ajouts… comme de nouveaux adversaires encore plus difficiles à battre.
Itagaki intègre ces mises à jour en plus d’autres nouveautés dans une version “définitive” intitulée Ninja Gaiden Black, en 2005. Une édition que le réalisateur rend… encore plus difficile ! Aux nouveaux ennemis et nouveaux boss à l'intelligence artificielle revue à la hausse s'ajoute le mode Master Ninja, un mode de difficulté supplémentaire. Black donne également l’opportunité de se frotter à des missions contenant jusqu'à quarante-six niveaux, proposant des combats complexes contre plusieurs vagues de monstres dans diverses arènes. Rétrocompatible et donc jouable sur Xbox Series X, Ninja Gaiden Black permet de rejouer à la version arcade de 1988 (bonus malheureusement absent de l’édition Sigma). De quoi se rappeler à quel point être un maître ninja n’est pas à la portée de tous.
Voir Xbox Game Pass sur Microsoft
Le succès du Ninja Gaiden de 2004 entraînera deux suites, des versions mises à jour (les Sigma), deux spin-off (Ninja Gaiden Dragon Sword, Yaiba : Ninja Gaiden Z) et une compilation (Ninja Gaiden Master Collection, disponible sur toutes les consoles actuelles et dans le Game Pass). Aujourd’hui, cela fait depuis presque 10 ans que nous n’avons pas vu Ryu Hayabusa dans de nouvelles aventures. Nous souhaitons donc un joyeux anniversaire au premier Ninja Gaiden en 3D sorti sur Xbox ! Nous avons hâte de le retrouver pour pleurer, à nouveau, des larmes de sang.