Le nom de David Jones ne vous dit peut-être rien, mais vous connaissez forcément le jeu qui l’a rendu célèbre en 1997, à savoir Grand Theft Auto. Dix ans plus tard, le programmeur/designer livre Crackdown sur Xbox 360, un “GTA sauce Spider Man” totalement débridé. Malheureusement, l’histoire entre David Jones et sa création a connu des hauts vertigineux comme des bas insondables. Au rapport, Agent !
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Sommaire
- La revanche des crapules
- De GTA à… GTA avec de la plate-forme
- Un Agent dans la ville
- Dur dur d’être APB
- La tête dans les nuages
- Les pieds dans les décombres
La revanche des crapules
C’est à l’intérieur de sa chambre située dans la maison de ses parents que David “Dave” Jones, alors âgé de 22 ans, fonde un studio de jeux vidéo qui va changer sa vie. Le développeur britannique qui a fait ses armes chez le fleuron de l'industrie vidéoludique d’outre-Manche, Psygnosis, lance DMA Design en 1988. De cette société spécialiste de l’Amiga va naître deux jeux vidéo qui vont faire du bruit.
Le premier est Lemmings, un jeu de réflexion sorti en 1991 où le joueur doit trouver un moyen de mener des petites créatures vers la sortie. Le succès sera tel que deux suites verront le jour. Le second, un temps intitulé Race’n’Chase pendant sa période de conceptualisation avant de devenir Grand Theft Auto, est un jeu d’action-aventure en vue de dessus où l’on dirige une crapule sans foi ni loi. Son éditeur, BMG Interactive, doute de la réussite commerciale de l'œuvre et tente d’annuler son développement… seulement trois mois avant sa sortie officielle ! Mais rien n’y fait, la persévérance de DMA Design paye : Grand Theft Auto sort comme prévu le 28 novembre 1997 sur PC.
À une époque où les héros du monde du jeu vidéo défendent la veuve et l’orphelin avec Mario, Sonic, ou encore Leon S Kennedy, Dave Jones et son équipe décident de mettre les petites frappes à l’honneur. Dans la veste en cuir d’un gangster, le joueur commet des larcins dans les rues de trois grandes villes américaines afin d’accomplir des missions commandées par les groupuscules du coin. Il cumule des points bonus en effectuant des carambolages, en écrasant les piétons ou en tuant des policiers.
C’est cet aspect politiquement incorrect qui cause au titre une sordide réputation dans les médias, réputation qui a joué un rôle dans le succès de la licence auprès d’un public souhaitant découvrir de nouveaux horizons vidéoludiques. Quand bien même ceux-ci propulseraient les joueurs du côté sombre de la force.
De GTA à… GTA avec de la plate-forme
Quand Dave Jones quitte DMA Design en 1999 afin de développer de nouvelles idées, GTA n’est pas encore devenu le phénomène culturel qu’il est aujourd’hui. En effet, la véritable GTA-mania ne débutera qu’en 2001 avec le troisième volet sur PlayStation 2. Dès GTA 2, il comprend que la série risque de devenir tellement populaire qu’elle deviendra l’unique centre d'intérêt du studio. Et Dave, il répète à qui veut l’entendre qu’il s'ennuie vite, qu’il a toujours de nouvelles idées, qu’il veut repousser les limites.
Il rejoint alors Rage Software en 2000 où il travaille sur divers projets. Pendant ce temps, il voit la franchise qu’il a créée, désormais éditée par Take-Two, devenir la licence la plus vendue des années 2001 et 2002. Face à l’embrasement du public pour GTA, Dave Jones se dit que les open-world 3D vont faire la pluie et le beau temps au début de ce nouveau millénaire.
Lorsqu’il fonde Realtime Worlds en 2002, le designer veut s’aventurer sur des territoires inexplorés. Malgré le succès des GTA en 3D, Dave Jones ne veut pas retomber dans ce qu’il a déjà fait et aimerait travailler sur un jeu de plates-formes original. Néanmoins, lorsqu’il rencontre des éditeurs, ces derniers n’ont qu’un seul à la bouche : monde ouvert. Partout. Tout le temps.
C’est le cas de Microsoft qui cherche des titres open world intéressants à destination de sa Xbox, un temps boudée par Rockstar. C’est à ce moment-là que le directeur créatif décide de mélanger une ville ouverte avec de la plate-forme. Crackdown vient de naître. D’abord prévu pour sortir sur la Xbox originale, c’est finalement sur Xbox 360 que le jeu débarque, en 2007. Avec un petit coup de pouce de Microsoft pour l’aider à le faire connaître : une bêta du multijoueur de Halo 3 est incluse dans la boîte. Nous savons à quel point la démo de MGS 2 a aidé Zone of the Enders à générer de l’intérêt. La firme de Redmond aussi, visiblement.
Un Agent dans la ville
Crackdown nous transporte dans la ville de Pacific City, en endroit où les criminels règlent leurs comptes à coup de bazooka dans la rue. Afin d’endiguer la menace, les polices du monde s'allient et fondent l'Agence, une organisation employant des fonctionnaires génétiquement modifiés ne reculant devant rien pour faire régner l'ordre. Alors que personne ne l’attend au tournant, Crackdown reçoit des avis enthousiastes.
Noté 83/100 sur Metacritic, il frappe même un grand coup pour une nouvelle licence. La presse félicite la verticalité de son level design, le système d’upgrade du héros (qui s’adapte à la manière de jouer), le côté sandbox amusant et le mode en ligne permettant de faire les fous dans la ville avec un autre camarade. Bien que classique dans son fond malgré l’aspect plate-forme prédominant, ce GTA-like invite le joueur à prendre conscience des conséquences de ses actes. Ainsi, éliminer un gang spécialisé dans les armes lourdes empêche les hommes de main du boss final de faire pleuvoir les roquettes. Efficace.
Dur dur d’être APB
Il ne faut que quelques mois à Crackdown pour se vendre à 1,5 million d’exemplaires. Un chiffre qui satisfait aussi bien Microsoft que Realtime Worlds. Le titre figure même dans le top 100 du magazine Edge (à la centième place, certes) et a remporté deux Develop Awards ainsi que deux BAFTA. “Peu de premiers jeux d’un nouveau studio peuvent s'enorgueillir d’une telle distinction” s’exclame l’équipe de développement. Conséquence logique, l’idée d’une suite est rapidement mise sur la table. Malheureusement, une sombre histoire de temps de réponse trop longue de Microsoft quant à l’officialisation de Crackdown 2 contraint Realtime Worlds à se lancer dans un autre projet.
Cela engendrera deux mauvaises expériences. La première : Crackdown 2 sera finalement confié au studio écossais Ruffian Games (formé par d’anciens de Realtime Worlds) pour un résultat en deçà des attentes (70/100 sur Metacritic). La seconde : All Points Bulletin (APB), le fameux projet de Realtime Worlds post Crackdown, s’avèrera être un gouffre financier qui provoquera la fermeture du studio en 2010. Il comporte pourtant pas mal d’idées qui seront utilisées de nombreuses années plus tard par un certain… GTA Online.
La tête dans les nuages
Alors qu’il ne voulait pas être lié à vie à la licence GTA quand il a décidé de quitter DMA Design, Dave Jones a finalement multiplié les GTA-like au cours de sa carrière avec Crackdown mais aussi All Points Bulletin, quand bien même ces derniers auraient des fonctionnalités originales. Après plusieurs mois passés à se questionner sur l’avenir du gaming, le chef d’entreprise décide d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, notamment dans le mobile. Puis, à l’instar de ce qu’il a fait avec Realtime Worlds, à savoir fonder une entreprise spécialisée dans l’Open World au moment de l’explosion des jeux en monde ouvert, il crée Cloudgine en 2012, une société basée sur le Cloud computing qu’il aurait aimé avoir sous la main à l’époque d’All Points Bulletin.
Microsoft, qui mise également de son côté sur le Cloud computing depuis le lancement de sa Xbox One, tente de faire une pierre deux coups : faire revenir Jones sur la série Crackdown avec un nouvel épisode étonnant grâce à la puissance du Cloud qui permettra des destructions de bâtiments très précises. “J'ai senti que c'était une bonne combinaison pour essayer quelque chose de nouveau avec la technologie Cloud et Crackdown. C'était une combinaison naturelle” expliquera le créateur.
Les pieds dans les décombres
Présenté à la toute fin de la conférence Xbox de l’E3 2014 par Dave Jones lui-même, Crackdown 3 est particulièrement mis en avant par la firme de Redmond qui promet “un mode multijoueur révolutionnaire géré par une armée de serveurs”. Sur le papier, le titre est dirigé par Reagent Games, studio de Dave Jones spécialement fondé pour l’occasion, avec l’aide de Cloudgine, lui aussi dirigé par Jones, le tout co-développé par Sumo Digital. Seulement voilà, au cours de la production déjà mouvementée du soft, au mois de janvier 2018, Epic Games rachète Cloudgine. Moins de 6 mois après, Dave Jones annonce se retirer du projet. “Il quitte le navire” s’indignent les joueurs, sur les forums spécialisés.
Après le départ de Jones et de Cloudgine, Reagent disparaît un moment du Net, au point d’être considéré comme “fantomatique” par certains observateurs, laissant hypothétiquement Sumo Digital seul dans sa mission de boucler tant bien que mal la commande de Microsoft. Pourtant, dans un entretien datant du 28 juin 2018, Dave Jones tente d’éteindre les braises. Il assure que Crackdown 3 a puisé des technologies intéressantes de Cloudgine, que Reagent n’était qu’une société de conseil seulement là pour aider au début du projet, et que Sumo Digital a toujours été le développeur principal. En outre, il déclare que quitter le projet fut une décision “difficile” mais réfléchie, et qu’elle fut prise à cause du temps de développement qui s’est étiré en longueur. “Pour être honnête, je regarde les autres franchises de jeux sur lesquelles j'ai travaillé et elles ont très bien marché sans que je sois là” ajoute-t-il.
Malheureusement, Crackdown 3 ne marche pas bien, et le départ de Dave Jones n’a sûrement pas aidé les équipes de Sumo Digital à vivre sereinement la fin d’une production complexe. Noté 60/100 sur Metacritic, cet ultime volet déçoit, et son mode multijoueur compétitif – initialement annoncé comme révolutionnaire – est terriblement désuet. Aujourd’hui, à l’image d’un Agent qui aurait fait l’impasse sur les Orbs d’agilité, la franchise n’a pas rebondi. Contrairement à Dave Jones qui a travaillé jusqu’en 2022 chez Epic Games, avant de fonder une nouvelle société en janvier 2024, Naemair Ltd, où il propose de “développer des idées et des stratégies permettant de créer des jeux innovants et réussis”.