Le studio au pistolet d’or

Aujourd’hui, lorsque l’on évoque le nom de GoldenEye 007, les joueurs du monde entier se rappellent d’une des premières killer apps de la Nintendo 64. Sorti dans la fenêtre du lancement européen de la machine au grand “N” au mois d’août 1997, le FPS développé par le studio britannique Rareware a connu un succès critique et commercial tonitruant. À une époque où les adaptations de films en jeux s'apparentaient encore à des attrape-nigauds, les aventures interactives de Pierce Brosnan sur nos écrans 4:3 furent une exceptionnelle réussite. Doté d’une maniabilité parfaitement bien adaptée au pad de la console, affichant de jolis graphismes et bénéficiant d’un gameplay plus intéressant que celui des autres FPS du marché (grâce à un astucieux système d’objectifs variant en fonction de la difficulté choisie), le soft s’est rapidement imposé comme un indispensable de la ludothèque de la Nintendo 64.

Pourtant, lorsque le jeu se montra juste avant sa sortie à l’E3 d’Atlanta en 1997, il passa globalement inaperçu. La presse ne le trouvait pas convaincant et s’attendait à un énième jeu à licence raté. Grossière erreur : l’année suivant son lancement, GoldenEye 007 s’écoula à plus de 2 millions d'exemplaires. Au total, le titre de Rare s'est vendu à plus de huit millions de copies dans le monde, se plaçant juste derrière Mario Kart 64 et Super Mario 64 dans les jeux les plus distribués de la Nintendo 64. Grâce à ce plébiscite, le studio dirigé par les frères Stamper gagna en popularité. Malgré la proposition de participer à l'adaptation vidéoludique de Demain ne meurt jamais, les dirigeants de Rare ont préféré créer leur propre franchise de FPS. C'est ainsi que naîtra Joanna Dark, l’héroïne de Perfect Dark.

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GoldenEye marqua le début d’une période exceptionnelle pour l’entreprise britannique qui, sur la Nintendo 64, produit un nombre incroyable de titres majeurs avec Banjo-Kazooie (1998), Jet Force Gemini (1999), Donkey Kong 64 (1999), Perfect Dark (2000), Banjo-Tooie (2000) ou encore Conker’s Bad Fur Day (2001). Avec autant d’excellents jeux sous la houlette de la firme de Kyoto, Rare est longtemps considéré – à tort – comme faisant partie de la famille Nintendo.

Rien que pour leurs yeux

Au premier trimestre de l’année 2002, la Xbox est disponible sur les trois grands marchés du jeu vidéo. Aux États-Unis, sa popularité ne fait qu’augmenter grâce à Halo. C'est à ce moment que Microsoft apprend qu'il existe une opportunité de racheter Rare. La firme de Redmond pose 375 millions de dollars sur la table et met la main sur les développeurs de GoldenEye au nez et à la barbe d’Activision. Bien que Grabbed by the Ghoulies (2003) et Conker : Live & Reloaded (2005) sortent sur la première console de jeux de Microsoft, c’est surtout sur Xbox 360 que Rare s’illustre avec la sortie de Kameo : Elements of Power et de Perfect Dark : Zero en 2005, puis de Viva Pinata en 2006.

C’est au milieu des années 2000 que le géant américain décide de mettre son Xbox Live Arcade sous le feu des projecteurs, une section du service en ligne de la Xbox offrant la possibilité de télécharger des jeux de moindre envergure. En 2007, Microsoft se félicite des bons résultats de divers titres tels que Uno, Texas Hold 'Em, Geometry Wars: Retro Evolved, Street Fighter II : Hyper Fighting, Worms et Castlevania: Symphony of the Night, tous disponibles sur le XBLA. Avant que Braid, Super Meat Boy et Fez ne viennent donner ses lettres de noblesse au service, le géant américain cherche à armer son XBLA de projets excitants. Pourquoi ne pas le faire en ramenant à la vie un des FPS les plus appréciés de la Nintendo 64, qui s’apprête à souffler sa dixième bougie ?

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Il n’a pas vécu deux fois

Sans que l’on ne sache vraiment depuis combien de temps il est en développement, un remake de GoldenEye 007 pour la Xbox 360 fuite sur Internet en novembre 2007. L’auteur du leak divulgue quelques images et explique que le jeu contient des graphismes retravaillés, bien qu’il soit possible de switcher instantanément sur la version d’origine (comme dans Halo : Combat Evolved Anniversary). Face aux doutes qui animent la communauté, l’auteur va jusqu’à publier une vidéo montrant le remake en action. Malgré tous ces éléments, de nombreux joueurs pensent qu’il s’agit d’un canular mis en place grâce à un pack de textures HD fonctionnant sur un émulateur. La date d’anniversaire de GoldenEye 007 passée, ni Microsoft ni Rare n’annoncent quoi que ce soit. Ce mutisme donne du grain à moudre à ceux qui pensent que tout n’est que supercherie.

Alors que les camps des “croyants” et des “sceptiques” s’affrontent sur les forums, un rebondissement intervient. Au mois d’août 2008, Videogamer.com s’entretient avec Nick Burton, senior software engineer de Rare. Ce dernier lâche une petite bombe. Interrogé sur ce mystérieux GoldenEye 007 XBLA dont tout le monde parle mais qui n’est pas disponible, Nick fait preuve d’une transparence rafraîchissante : “j'aurais souhaité que les divergences soient résolues, mais il y a le problème de la licence James Bond. (...) C'est incroyablement difficile à résoudre parce qu'il y a tellement de détenteurs de droits impliqués. Il y a ceux qui détiennent la licence des droits du jeu, ceux qui détiennent la licence de Bond en tant que propriété intellectuelle, et il y a d'innombrables détenteurs de licences”. Il ajoute : “la balle n'est pas vraiment dans le camp de Rare. Elle est carrément dans le camp des détenteurs de licences. C'est dommage. Le jeu est en quelque sorte enfermé dans un no man's land”. Par ces déclarations Nick Burton confirme à la fois l’existence du remake, mais aussi et surtout le fait qu’il ne sera probablement jamais disponible pour des raisons de droits. “GoldenEye est un terrain miné juridique” conclut-il durant l’entretien.

Meurs un autre jour

Deux années s’écoulent sans que nous n’entendions parler du retour de GoldenEye 007 sur le XBLA. Cependant, à l’E3 2010, Activision crée la surprise en annonçant… un autre remake de GoldenEye 007, cette fois-ci prévu pour la Wii. En plus de graphismes totalement refaits, le jeu propose différentes modifications que ce soit dans son scénario ou encore dans son level design. Pierce Brosnan est également remplacé par Daniel Craig. Cette version Wii, qui sera portée plus tard sur Xbox 360 et PS3, est finalement très éloignée de l'épisode Nintendo 64. Elle doit être vue comme un hommage au FPS de Rare plutôt que comme un clone aux graphismes améliorés.

De nouveau, plusieurs années passent sans que GoldenEye 007 XBLA ne donne signe de vie. Le soft de Rare semble définitivement bloqué dans un vide juridique qui a eu raison de lui. Mais rien n’arrête Bond, pas vrai ? En août 2016, le site Rare Thief publie une vidéo de plus de 30 minutes du soft, qui comporte des améliorations depuis les premiers leaks. Au mois de janvier 2021, c’est-à-dire presque 24 ans après la sortie de GoldenEye 007 sur N64, la version XBLA fuite encore une fois sur YouTube par l’intermédiaire d’un utilisateur qui dit avoir reçu une copie du jeu. Quelques jours plus tard, une ROM complète de titre sort en ligne, permettant aux bidouilleurs de s’amuser à GoldenEye 007 XBLA dans son intégralité. Cette version ne propose pas de mode en ligne jouable sur le Xbox Live, mais offre la possibilité de jouer en multijoueur via la liaison multiconsole ou en écran partagé. Là encore, la copie comporte des améliorations par rapport à la build de 2016, ce qui laisse penser que des développeurs ont bel et bien continué de peaufiner le jeu malgré le sac de nœuds juridique condamnant une sortie officielle.

Spectre

Alors que l’affaire du retour de GoldenEye 007 semble classée pour de bon, Microsoft et Nintendo annoncent en janvier 2023 l’arrivée surprise d’une réédition du FPS culte de la Nintendo 64. Après plus de 15 ans de rumeurs, de fuites, d’éclaircissements et de désillusions, le fantôme de Pierce Brosnan s’attaque officiellement à la Xbox et à la Switch avec deux versions disposant de leurs forces et de leurs faiblesses : la Xbox jouit de graphismes en 4K et d’un framerate plus avantageux alors que la Switch propose un mode multijoueur jouable en ligne. Néanmoins, cette édition ne se révèle être qu’un portage HD du jeu sorti sur N64, et non un remake comme envisagé avec la version XBLA. En outre, la build Xbox souffre de bugs et de ralentissement qui prouvent qu’aucune amélioration d’envergure n’a été apportée, outre la nouvelle maniabilité, le 16:9, et les graphismes affinés.

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Le développeur du portage Xbox, Code Mystics, publie un message énigmatique au moment de la sortie du soft en vue de répondre aux nombreuses critiques : “Nous sommes les développeurs derrière la version Xbox de GoldenEye, mais nous ne faisons pas les plans. Malheureusement, il y aura des questions auxquelles nous ne pourrons pas répondre”.

Comme nous le savons, le droit reste un aspect bloquant quant à l’émergence de vieux programmes. Des problèmes de licence empêchent toujours certains titres de revenir, à l’image des jeux de course ou de sport du début des années 2000 qui utilisaient beaucoup de musiques protégées. Faire revenir un “vieux” titre à la vie est donc loin d’être facile. Entre les petits soucis de code et les grands problèmes de droit, les sociétés de jeux vidéo préfèrent parfois jeter l’éponge.

Ceci étant dit, si Microsoft a pu s’entendre avec les ayants droit pour que GoldenEye 007 sorte dans une version HD sur Xbox, qu’est-ce qui peut bien empêcher l’arrivée de la version XBLA, qui dépasse en tous points l’édition sortie en janvier 2023 ? Nintendo empêcherait-il la sortie d’une version largement améliorée techniquement, comme cela a déjà été soupçonné par le passé ? À ce stade, tout n'est que supposition. Alors que nous la pensions conclue, la drôle d’affaire de GoldenEye 007 XBLA est encore pleine de mystères.