« Attendez, j’ai vraiment du mal à croire qu’il s’agit d’un vrai jeu vidéo » ; à la vue des images d’Unrecord, les premières réactions étaient quasi unanimes. Il y a quelques jours, le studio français DRAMA, formé par Spindler et Théo Hiribarne (aka Foda C, l’un des deux membres du groupe de rap Columbine), a montré au public les bribes d’une création Unreal Engine 5 si réaliste qu’elle a laissé la toile sans voix. L’expérience est celle d’un jeu de tir à la première personne en vue “bodycam”, la caméra étant fixée à l’épaule d’un agent de police sur le terrain. En outre d’un véritable concept visuel qui sait faire parler de lui, Unrecord proposerait également une expérience narrative et immersive ponctuée de dialogues complexes, de mécanismes innovants et de dilemmes moraux. Une proposition si ambitieuse que certains se sont empressés de crier au fake. Captures vidéo à l’appui, le lead programmer Alexandre Spindler affiche dès lors les coulisses du développement sur son compte Twitter afin d’assurer la véracité du projet. Sur la page Steam du jeu, l’équipe insiste : “Le jeu est développé sur Unreal Engine 5, et les séquences de jeu sont capturées à partir d'un exécutable et jouées à l'aide d'un clavier et d'une souris”. Parallèlement, les journalistes d’IGN ont mis la main sur une ancienne version du jeu datant de 2022 ; résultat : “Nous l'avons donc téléchargée pour voir si ce jeu était authentique ou s'il s'agissait d'un canular. Il s'avère que le jeu est bel et bien réel et qu'il s'agit de l'un des jeux les plus réalistes que nous ayons vus”. Et tandis que les soupçons s’effacent, c’est une autre question qui s’élève sur les réseaux, chez ceux qui ont ressenti un certain malaise au vue de la bande-annonce : “Ce jeu vidéo n'est-il pas TROP réaliste ?”

Trop réaliste pour notre bien ?

Sur Twitter, le débat est amorcé. Trainwreck, co-propriétaire de la chaîne de livestreams Kick, s’élance :

Je vais avoir beaucoup de haine pour cela - mais ce niveau de réalisme dans les jeux vidéo devrait être fortement modéré dans les * shooters* pour quiconque * en dessous d'un certain âge *, j'espère que les parents feront leur travail. ce niveau de réalisme pour tirer et tuer me met mal à l'aise comme si j'étais regarder une vraie fuite d'une opération militaire ou policière. La distinction claire entre vrai et faux est nécessaire, mais ce niveau de réalisme, à mon avis, donne une réelle crédibilité aux absurdités que les politiciens débitent depuis des années sur les jeux vidéo conditionnant les jeunes perdre le sens de l'empathie envers les tendances ou les situations violentes.

Beaucoup, comme Trainwreck, ressentent un malaise palpable en découvrant Unrecord, laissant indiquer que la violence devient ici un peu trop palpable à leur goût. “Je n'ai jamais vu un jeu montrant quelqu'un mourir par balle de façon aussi réaliste” lui répond le compte Twitter ModernWarzone. En France, le streamer Wartek, pourtant bien habitué aux shooters, dit : “Je ne pense pas que ce soit une bonne chose qu’un jeu, où le but est de tuer des gens, soit aussi proche de la réalité”. Avis assez similaire du côté d’Axel Dauvergne, responsable du marketing chez Playdigious, qui accuse néanmoins le contenu du jeu d’être le cœur du problème : '''“''Le souci c'est pas le photoréalisme ici, c'est le sujet du jeu qui y est accolé.''' T'es un flic qui tue des gens sans sommation, t'es pas en train d'enquêter là. (...) Si ça avait été un énième truc de zombie ça aurait été infiniment moins dérangeant.”''

Une question de genre

Quelques heures après l’annonce d’Unrecord, un autre jeu en bodycam a fait sensation sur la toile : Paranormal Tales, titre d’horreur dont les images du nouveau trailer sont si réalistes qu'elles vous causeront probablement quelques sueurs froides. À mi-chemin entre Blair Witch et The Conjuring, le jeu propose une expérience de type found-footage incluant distorsion d'image et faible luminosité. Le tout repose sur l'un des pitchs suivants : vous incarnez un homme qui a perdu son chien Teddy dans la forêt et doit ainsi se lancer à sa recherche. Problème, le malheureux semble tomber sur une maison hantée occupée par une entité qui n'a pas franchement l'air très franchement commode. Et si l’expérience paraît si réelle qu’elle en ferait trembler les morts, personne ne semble accuser le studio d’un trop plein de réalisme. C’est donc bien la corrélation entre photoréalisme et expérience de shoot policière qui semble déranger.

Le scénario d'Unrecord peut être comparé “à un roman policier ou à un thriller”, est-il indiqué sur la page Steam du jeu. “Il pourrait être décrit comme un mélange de Firewatch et de Ready Or Not”. Le joueur devra enquêter sur plusieurs affaires et se confronter à divers personnages. Aucune vision manichéenne des actes criminels et des violences policières ne sera présente au cours de l’expérience certifie le studio qui ne renie toutefois pas le malaise que leurs images sont susceptibles de susciter.

Nous respectons et comprenons également les personnes qui peuvent se sentir dérangées par les images du jeu. L'art ne peut pas lutter contre l'interprétation.

Justifier le contenu non divulgué du jeu serait un spoiler, et vous découvrirez l'orientation des thèmes par vous-même. Le public fait généralement confiance aux auteurs de films, de séries et de romans sur l'intelligence du point de vue lorsqu'il s'agit d'histoires de détectives, de gangsters ou de policiers. Pourquoi pas pour un jeu vidéo ? Si le jeu présente des messages politiques, ils seront faits consciemment ou dans votre interprétation. Si le jeu se veut subversif dans certains pays, nous en assumerons l'étiquette.

Une balle dans le pied ?

Photoréalisme bluffant oblige, les images d’Unrecord ont traversé les frontières jusqu’à faire les gros titres du Daily Mail. “Le jeu de tir à la première personne le plus réaliste qui soit suscite des inquiétudes, ce qui amène certains à se demander si c'est ce dont l'Amérique a vraiment besoin en ce moment” publie le média dans un contexte local où la médiatisation de la violence des jeux vidéo est déjà bien établi et a pris une ampleur considérable à la suite du massacre de Littleton, le 20 avril 1999, lorsque deux élèves du lycée Columbine, l'un étant amateur de jeux vidéo, ont ouvert le feu sur leurs camarades et leurs professeurs ; une époque durant laquelle en seulement sept jours, le New York Times aura publié seize articles consacrés à la responsabilité du jeu vidéo dans la tuerie (source : Olivier Mauco). L’article du Daily Mail relaye le commentaire de Trainwreck : “Un utilisateur de Twitter a déclaré que le jeu de tir tactique "donne une véritable crédibilité aux absurdités que les politiciens débitent depuis des années sur les jeux vidéo qui conditionnent les jeunes", appuyant sur le côté perturbant des images. Rappelons bien que les dernières études ne démontrent toujours aucun lien existant entre les jeux violents pratiqués durant l'adolescence et les comportements violents de l'âge adulte. D’après Richard Pearsey, auteur du très culte Spec Ops: The Line et de son expérience bouleversante, "les gens ne vont pas s'énerver contre vous ... si ce que vous faites est cohérent avec l'univers du jeu”. Attendons de voir à quel degré cette formalité s'applique avec Unrecord.