En plus d’avoir pu essayer le prochain gros jeu de Bethesda et de Microsoft, le bien nommé Redfall, nous avons posé quelques questions à Harvey Smith, le directeur d’Arkane Austin. En sa compagnie, nous sommes revenus sur son obsession de l’Immersive Sim, le rachat de Bethesda par Microsoft qui a enterré la version PlayStation 5 de Redfall et sur les difficultés du studio à vendre ses jeux aux joueurs.
Nous avons discuté avec Harvey Smith pendant 30 minutes dans les locaux de Bethesda France, juste après notre session de jeu sur Redfall. Cet entretien s’est déroulé le mercredi 8 mars 2023.
Sommaire
- L’immersive Sim dans le sang
- Parler au public : le grand huit contre la maison hantée
- PlayStation 5, Game Pass : “dans un monde parallèle, Microsoft n’a pas racheté Bethesda”
- Au cœur de Redfall
L’immersive Sim dans le sang
JV : Durant votre vie professionnelle, vous avez travaillé sur de nombreuses Immersive Sim tels que Deus Ex ou Dishonored. Redfall est un shooter coop disposant d’éléments d’Immersive Sim. Pourquoi appréciez-vous tant ce genre ?
Harvey Smith : Le soir de mes 11 ans, je campais avec des amis. La nuit était froide, nous étions près du feu, et c’est à ce moment que j’ai découvert ce nouveau jeu qui s’appelait Dungeons & Dragons. Je me souviens que ce drôle de mélange entre exploration, gain de puissance et interactions sociales m’avait totalement retourné la tête. C’était également un exercice créatif. À ce moment-là, le jeu vidéo commençait à devenir quelque chose. Mon voisin ne jurait que par Pong et Pac-Man, et un jour, j’ai eu entre les mains le jeu Adventure sur Atari en 1979. Je me souviens y avoir passé des heures, car les niveaux étaient procéduraux. Puis un peu après, je me suis intéressé aux jeux d’aventure en vue à la première personne, avec les jeux de FTL Games, et en particulier Dungeon Master, qui était le précurseur d’Ultima Underworld. Ces jeux donnaient un sentiment d’immersion inédit. Il n’y avait pas qu’une histoire, ce n'était pas que du combat, ce n’était pas que de la gestion, c’était à la croisée de plusieurs chemins. J’ai toujours aimé les simulations environnementales dans la création de jeux. Vous savez, vous avez un environnement, le soleil se couche, vous marchez dans un champ et vous entendez au loin les grenouilles qui coassent. Plus vous vous approchez, moins vous les entendez, car elles savent que vous êtes là. Ce genre d’interactions me fascine, cela crée de l’immersion. Dans un shooter, si soudainement vous entendez les grenouilles faire de moins de bruit, cela veut peut-être dire qu’un ennemi s’approche.
Parler au public : le grand huit contre la maison hantée
JV : Les Immersive Sim ne sont pas les jeux les plus faciles à présenter au public. Parfois, ils ne rencontrent pas le succès qu’ils méritent. Comment présenter Redfall pour donner envie aux joueurs d’y jouer ?
Harvey Smith : À chaque fois qu’Arkane fait un jeu, nous luttons contre la même chose. Quand nous avons commencé à faire Dishonored, les gens disaient “mouais, un clone de BioShock”. Quand on essayait de leur expliquer que ce n’était pas la même chose, ils disaient “ok, c’est donc un clone de Thief”. “Non, vous bougez beaucoup plus rapidement, ce n’est pas comme Thief” répondait-on. Lancer une nouvelle propriété intellectuelle est quelque chose de très compliqué. Soyons clairs, le gunplay n’est pas aussi cool que celui de Call of Duty, car chez Activision les mecs font ça depuis 20 ans. Les éléments de RPG ne sont pas les plus développés du monde du jeu vidéo. Si vous souhaitez un RPG profond, vous jouez à Planetscape ou Disco Elysium. Ce n’est pas non plus le monde ouvert le plus grand jamais conçu. Pour ça vous avez Red Dead Redemption ou Skyrim. Cela rend nos jeux difficiles à vendre, et c’est ce qui rend nos jeux spéciaux. Il y a les jeux rollercoasters, qui vous en mettent plein la vue tout de suite, et il y a les jeux où vous entrez dans une vieille maison, vous découvrez la photo d’un couple marié, un vieux livre, vous entendez un bruit bizarre, vous montez les escaliers et vous découvrez une chambre d’enfants qui ne devrait pas être là. Il ne se passe pas grand-chose, c’est vous qui créez votre rythme dans la découverte.
JV : Les jeux Arkane sont plus difficiles à “vendre” parce qu’ils demandent une plus grande implication du joueur ?
Harvey Smith : En fait, il est plus facile de vendre un grand huit : vous vous asseyez et c’est parti ! Il est plus difficile de vendre la maison hantée. Nous luttons à tous les niveaux pour que les gens comprennent ce que nous faisons. Nous n'avons pas de scène d’introduction coup-de-poing. Nous avons tellement de systèmes et de lore que nous devons penser à comment les introduire de la manière la plus simple possible. J’ai joué à Forza Horizon 5 l’autre jour, habituellement, je ne joue pas au jeu de courses, mais là c’est génial. Vous êtes dans un avion et on vous largue dans les rues du Mexique. Vous roulez à toute vitesse, tout bouge dans tous les sens, c’est totalement fou ! Je me disais, mais mon Dieu, pourquoi je ne peux pas commencer mon jeu comme ça, c’est trop bien ! Dans Dishonored, c’est le contraire, vous commencez en prison et un mec vous apporte du pain. Voilà le début du jeu. Puis vous mangez le pain et vous découvrez une clé, ok, ça devient intrigant. C’est notre manière de faire, on veut que vous fassiez avancer l'histoire de la façon qui vous semble la plus intelligente. Pour Prey, il y a également eu des difficultés pour expliquer le concept. On nous disait “c’est comme Doom”, non pas vraiment. “Ha, le shotgun ne se joue pas comme dans Doom”, effectivement. “Ha, il n’y a pas de glory kill”, non, pas vraiment, désolé. “Ce n’est pas aussi rapide que Doom”, oui c’est plus lent, il est vrai. "Et les monstres, c’est quoi c’est trucs qui peuvent devenir des tasses de café ?". “Croyez-moi, si vous y jouez, vous allez l’adorer”. C’est toujours une longue bataille.
PlayStation 5, Game Pass : “dans un monde parallèle, Microsoft n’a pas racheté Bethesda”
JV : Il y a eu beaucoup de discussions autour du Game Pass. Est-ce que c’est bon pour les développeurs ? Est-ce que c’est bon pour les jeux ? Cela représente quoi de développer un jeu multijoueur qui va débarquer dans le Game Pass en day one ?
Harvey Smith : Dans un monde parallèle, Microsoft n’a pas racheté Bethesda, et nous arrivons sur PlayStation en plus de la Xbox et du PC. Cela aurait signifié que toutes les familles de gamers auraient pu jouer à notre jeu. Cela aurait représenté un certain nombre de joueurs, x millions sur PlayStation 5, x millions sur Xbox et x millions sur PC. Mais au lieu de ça, nous faisons partie de Microsoft, ce qui signifie que nous ne faisons plus de version sur PlayStation. Avoir plus de plateformes ajoute de la complexité, nous pouvons donc nous concentrer sur les versions Xbox et PC. L’autre point, c’est que le Game Pass a… je ne sais plus combien d’abonnés (nous lui répondons que les derniers chiffres officiels évoquent 25 millions). J’ai entendu parler de 30 millions. Donc, 30 millions de joueurs vont pouvoir découvrir notre jeu. Ils peuvent se dire “tiens, j’aime les vampires”, “j’aime les shooters en coop” ou encore “j’aime les jeux Arkane”. Il y a plein de raisons pour essayer le jeu. Beaucoup de profils différents vont pouvoir donner une chance à Redfall, et ils vont vouloir être impressionnés rapidement. Avec 30 millions d’abonnés au service, Redfall peut théoriquement devenir le plus gros succès d’Arkane, on verra. Mais c’est positif.
Au cœur de Redfall
JV : Quel est le ton du jeu ? Cherchez-vous à faire un jeu horrifique ou au contraire, un jeu bourré d'humour ?
Harvey Smith : Mon boulot pendant les deux premières années a été d’expliquer ce que sera le jeu aux équipes avant que le titre n'existe vraiment. Je disais souvent que Redfall allait être “spooky”, mais pas effrayant comme Resident Evil, nous ne faisons pas un jeu d’horreur. Il y a des éléments d’humour introduits par les répliques des personnages. Je dirais que Redfall est palpitant plutôt qu’effrayant. Cela n’empêche pas l'existence de moments qui peuvent être inquiétants. Par exemple, avec les safe houses, vous avez un type de gameplay différent pour activer les générateurs. Chaque safe house a une mission unique qui peut provoquer une rencontre avec un boss. Nous en avons un qui, avant de devenir un vampire, était un tueur en série, ou un taxidermiste. Les joueurs vont dans sa maison et trouvent des signes assez déroutants, insinuant qu’une chose terrible est arrivée à sa famille. L’exploration continue dans les sous-sols, et tout devient de plus en plus épouvantable. Dans ces moments-là, avec cette ambiance oppressante, dans la nuit avec des lampes torches, Redfall peut faire penser à une œuvre horrifique. Mais la plupart du temps, c’est surtout un jeu d’action "spooky".
JV : Comment fonctionne le système de difficulté ?
Harvey Smith : Nous avons quatre niveaux de difficulté. Plus le joueur gagne des niveaux, plus certains éléments se complexifient dans l’univers. S’il y a plusieurs joueurs dans l’équipe, nous n’ajoutons pas des ennemis et nous n’augmentons pas leur résistance. Nous augmentons surtout la présence des vampires Elites dans les groupes adverses, sachant que ces Elites peuvent ajouter des boucliers aux mobs autour de lui. Si un ou deux joueurs quittent la partie en plein milieu d’une session, seules les prochaines rencontres seront simplifiées, par exemple après un voyage rapide.
JV : Nous avons souvent entendu que le jeu pouvait être intéressant même en solo. Quels sont les éléments narratifs à destination des joueurs solo ?
Harvey Smith : Il y a des briefings qui ont des cinématiques avec des personnages statiques, où l’on entend le protagoniste sélectionné raconter l’histoire. Dans un certain sens, c’est très proche des autres jeux que nous avons créés avec des missions pour la campagne, des briefings, des cutscenes et des commentaires in-game.
Redfall, développé par Arkane Austin, sortira exclusivement sur Xbox Series X|S et PC le 2 mai 2023. Il sera disponible dans le Game Pass en day one. En guise de conclusion, Harvey Smith nous a dit que les joueurs curieux pourraient découvrir quelques clins d'œil à Prey et à Dishonored dans les rues de Redfall.