Travailler moins pour jouer mieux

Entre l’abondance de jeux à faire, le peu de temps que nous arrivons à dégager pour y jouer, et les jeux qui nous inondent de quêtes secondaires, collectibles et autres points marquants sur la carte, il peut nous arriver d’oublier de profiter de notre expérience de jeu. Dans ce genre de moments, même un jeu que nous adorons peut se transformer en une liste de tâches à faire que l’on a déjà hâte de terminer, sans penser à prendre le temps de l’apprécier.

Si c’est particulièrement vrai pour des jeux disposant d’un monde ouvert un peu trop rempli de détails superflus comme Assassin’s Creed Valhalla ou Biomutant, ce genre d’expérience peut également tout à fait arriver à des jeux parfaitement bien rythmés pour peu que l’on joue en mode “automatique” en pensant à autre chose, en se laissant envahir par la vie et par ses aléas alors que l’on cherchait justement à se vider l’esprit. Avouez qu’il serait dommage de passer à côté d’une expérience aussi mémorable que The Last of Us Part II ou The Legend of Zelda : Breath of the Wild juste parce que l’on n’arrive pas à se concentrer, ou parce que l’on traîne une frustration un peu trop tenace. C’est précisément dans ce genre de cas que les pauses prennent toute leur importance.

Malgré toutes leurs qualités, ces deux jeux peuvent finir par nous débrancher le cerveau

Mais attention, si poser votre manette et aller prendre l’air est une solution tout à fait respectable, ce n’est pas de ce genre de pauses dont nous allons parler ici. Il existe en effet des jeux qui proposent au joueur de prendre le temps de s’arrêter de jouer, sans vraiment s’arrêter de jouer. L’action ou l’intrigue est alors mise en suspend pendant quelques instants, et il ne vous reste plus qu’à vous réimprégner de l’ambiance du jeu pour mieux repartir à l’attaque. Pour peu que ce genre de moments soient accompagnés par une bonne musique, ils donnent généralement lieu à des souvenirs mémorables qui vous accompagneront bien après la fin du jeu. Asseyez-vous avec un bon chocolat chaud, nous allons vous parler des pauses musicales dans les jeux vidéo.

Une pause s’impose

Si vous jouez aux jeux vidéo de façon régulière, vous savez déjà qu’il existe plusieurs moments où vous pouvez tout simplement poser votre manette et apprécier ce qui défile sous vos yeux. On pense bien évidemment en premier lieu aux nombreuses cinématiques que vous avez pu regarder, qu’elles soient présentes en guise d’intro et/ou de conclusion d’un titre, ou qu’elles apparaissent régulièrement tout au long de votre aventure. Bien que ces dernières soient effectivement une façon de donner l’occasion au joueur de faire une pause, et que bon nombre d’entre elles pourront être aussi mémorables (voire davantage) que des moments de gameplay, on ne les retiendra pas en tant que bon moments d’arrêt pour une simple et bonne raison : vous ne contrôlez pas leur durée.

Permettez-nous de faire un parallèle un peu hasardeux avec la vie. Quels sont les moments les plus marquants ? Vos pauses de 10 minutes entre deux cours ou au milieu de votre journée de travail, ou les moments complètement hors du temps que vous pouvez vivre en soirée, en fin de semaine ou en vacances ? Certes, ces petites pauses de 10 minutes ou de quelques heures peuvent donner lieu à de très bons moments, et sont absolument nécessaires pour encaisser le reste de la journée. Mais à part dans de rares occasions, ce ne sont pas celles que vous retiendrez dans plusieurs années.

Dans les jeux vidéo, les cinématiques sont d’excellents moyens de rythmer un jeu et de vous faire lâcher la manette un certain temps pour mieux apprécier ce qui vous attend autour. Mais ce sont également des moments qui vous privent de votre liberté, qui vous sortent de l’aspect ludique propre à votre média préféré pour se rapprocher davantage du cinéma, et qui ne font que vous rappeler brutalement à la manette au moment où elles se terminent, ou pire, quand elles imposent une QTE surprise. Les vrais moments de pause que vous devez chercher dans vos jeux sont ceux parfaitement optionnels, qui vous laissent le choix de vous arrêter ou non, et surtout, du temps que vous passerez à ne rien faire.

Un régal pour les yeux et les oreilles

Pour arriver à vous convaincre de prendre ce genre de pauses intemporelles sans vous forcer à le faire, les développeurs ont trouvé plusieurs solutions. La première et la moins intrusive, c’est tout simplement de vous proposer un paysage si époustouflant que vous n’aurez pas envie de le quitter de si tôt. On pense par exemple au monde ouvert à couper le souffle de Red Dead Redemption 2 et à ses très nombreux environnements aussi réalistes que bluffants, surtout aux périodes de lever ou de coucher du soleil. Même chose pour le plus récent Horizon : Forbidden West, qui n’a pas remporté le prix des meilleurs graphismes de l’année 2022 chez Digital Foundry pour rien.

Mais si comme nous le mentionnions plus haut il vous arrive de jouer en mode “automatique”, un beau paysage ne vous suffira pas toujours à vous sortir de cette torpeur pour vous recentrer sur votre expérience de jeu. Plutôt que de vous laisser le soin de choisir vous-même vos lieux de repos, les développeurs peuvent alors vous guider davantage en vous intimant d’appuyer sur un bouton à un endroit en particulier, qui initiera une pause dont vous garderez le contrôle. Votre personnage pourra alors par exemple s’asseoir par terre ou sur un banc, et il ne vous restera plus qu’à profiter de l’ambiance du jeu. Pour peu qu’on y rajoute un peu de musique, vous voilà complètement reposés et plongés dans ce monde que vous arpentez sans réfléchir depuis quelques minutes. C’est précisément ce qu’ont fait les développeurs de deux jeux en particulier : ceux de Hollow Knight et ceux de Life is Strange.

Plutôt team paysage époustouflant ou simple banc ?

Hollow Knight a marqué bon nombre de joueurs pour son gameplay exigeant, mais également pour son esthétique, son sound design et ses musiques particulièrement réussies. Et si n’importe quel joueur parviendra à profiter de chacun de ses éléments sans prendre le temps de s’arrêter pour le faire, nous sommes prêts à parier qu’il vous est déjà arrivé de prendre un peu plus de temps que nécessaire à rester assis sur les fameux bancs du jeu. Servant avant tout de point de sauvegarde, de méthode de soin et de lieu de repos pour changer son équipement, les bancs de Hollow Knight sont également une véritable invitation à prendre son temps. Positionnés à des endroits inspirant le calme entre deux zones bourrées d’ennemis redoutables, ils permettent de faire une pause tout à fait idéale pour profiter de cette fameuse ambiance qui fait tout le charme du jeu. Selon l’endroit où vous serez, vous pourrez alors écouter le son de votre environnement, mais également le thème musical dédié à la région, un véritable régal pour vos oreilles avant de retourner au combat.

Dans Life is Strange, le joueur enchaîne les moments de calme, de tension et d’enquête. Et si le jeu dispose d’une narration particulièrement remarquable, il s’est également démarqué des autres titres du genre grâce à son ambiance imbibée de musique folk tout à fait adaptée aux personnages que l’on contrôle. On pense bien évidemment aux nombreux morceaux sous licence, mais également aux quelques moments où le jeu nous invite à s’asseoir sur un rebord, un banc ou contre un arbre pour contempler son environnement. Max, le personnage principal du jeu, nous délivre alors le fond de sa pensée concernant les évènements les plus récents alors que la caméra du jeu se perd à droite et à gauche, le tout sous un fond de quelques notes de guitare discrètes. En plus de nous familiariser encore davantage avec Max, ce genre de moments permet également de faire face à nos propres pensées et de prendre le temps de réfléchir aux choix que l’on a déjà fait et aux conséquences qu’ils pourraient avoir pour la suite. Même quand Max termine de nous livrer ses pensées, il ne dépend alors que de nous de nous lever directement ou d’attendre encore quelques minutes supplémentaires pour laisser place aux nôtres.

Tiens, c’est l’heure de la pause !

S’il est déjà particulièrement satisfaisant de jouer à des jeux qui essaient de convaincre leurs joueurs de prendre le temps de faire des pauses, il est encore plus remarquable d’en arriver à un point où l’on arrive à repérer ce genre de moments et à rythmer sa partie autour de ces derniers. Hollow Knight et Life is Strange le font déjà très bien en intégrant leurs moments de pause au cœur de leur boucle de gameplay, à tel point qu’il suffira de voir un banc dans l’un ou l’autre jeu pour savoir qu’il est temps de s’arrêter un instant. Mais il existe également d’autres jeux qui parviennent à appeler les joueurs et à les guider vers ces moments avant même qu’ils ne les aperçoivent visuellement. C’est par exemple le cas dans The Legend of Zelda : Breath of the Wild.

Ce dernier opus de la saga mythique de Nintendo est déjà une ode au lâcher prise en soi. Entre son accent sur l’exploration la plus pure, sa bande originale minimaliste au possible, sa direction artistique colorée et sa quête inspirant liberté et tranquillité, Breath of the Wild apparaît comme une pause géante qui vous prendra plus d’une centaine d’heures au bas mot. Pourtant, le jeu propose également ses propres sessions de pauses musicales aussi marquantes que le reste de l’aventure grâce à un personnage emblématique qui a marqué tous les joueurs : Asarim. En vous baladant dans les étendues sauvages d’Hyrule, il vous arrivera à quelques occasions d’entendre quelques notes d’accordéon au loin, vous invitant à vous rapprocher jusqu'à en trouver l’origine.

Vous ferez alors la connaissance d’Asarim (Kass en anglais), un ménestrel Piaf errant qui passe ses journées à jouer la même mélodie qui vous rentrera instantanément dans la tête. Alors que le joueur aura été habitué à n’entendre que quelques notes de piano parsemées par-ci par-là dans son aventure, voilà qu’une véritable mélodie entraînante viendra chatouiller ses oreilles. Impossible de résister à un appel pareil, surtout quand il permet de discuter avec un personnage aussi aimable. En effet, en plus de vous jouer une petite musique, Asarim vous contera quelques poèmes et vous donnera une quête qui vous mènera souvent à un sanctuaire, et donc à quelques récompenses.

De fait, pendant vos nombreuses heures d’exploration, entendre ces quelques notes d’accordéon vous donnera instantanément envie de tout lâcher pour aller retrouver le musicien. Qu’importe si vous comptiez chercher un sanctuaire, attaquer un camp de Bokoblins ou affronter un Hinox, vous ne penserez plus qu’à cette mélodie et à aller prendre votre petite pause musicale auprès d’Asarim. Un véritable tour de force mêlant l’utile à l’agréable, qui convaincra sûrement quelques joueurs de poser leurs joy-con pour profiter encore un peu de ce thème entraînant.

Dans une moindre mesure, c’est également ce genre de procédé que l’on retrouve dans le meilleur jeu indépendant de 2020 : Hades. Alors que vous serez en train de souffrir au beau milieu de l’Asphodèle et de son ambiance volcanique, il vous arrivera de tomber sur la douce Eurydice dans une salle vide de tout danger. Vous la reconnaîtrez de loin grâce à son chant qui parviendra à vos oreilles à peine aurez-vous pénétré à l’intérieur, et qui risque de vous changer des guitares électriques déchaînées que vous entendrez dans le reste des enfers. Là encore, ce petit moment de pause sera également l’occasion de vous apporter quelques bonus non négligeables, vous poussant à prendre le temps de vous reposer avant de continuer votre chemin vers la surface.

La recette d’un moment mémorable

Vous l’aurez compris, les pauses musicales sont un excellent moyen de vous arrêter un instant pour vous replonger au cœur de l’ambiance que vous propose un jeu, même s’il doit pour cela vous forcer un peu la main avec plus ou moins de subtilité. Mais là où elles arrivent à leur paroxysme, c’est quand ces fameuses pauses musicales dépassent le cadre du jeu et vous suivent bien après que vous ayez éteint votre console. Si peu de jeux parviennent à un tel résultat, ceux qui le font deviennent généralement bien plus mémorables précisément pour ces moments complètement optionnels et hors du temps. C’est notamment le cas de ceux qui utilisent des musiques à licence avec brio, comme a pu le faire Life is Strange dont nous avons déjà parlé, ainsi que l’excellent The Last of Us Part II.

Il n’est pas rare que l’on associe une musique à un souvenir particulièrement marquant. Cela peut être parce qu’elle a tourné à la radio pendant un été mémorable, parce qu’elle est arrivée pile au bon moment dans une soirée ou parce qu’elle a été très bien utilisée dans une œuvre que l’on apprécie. De nombreux joueurs se rappellent par exemple sûrement encore aujourd’hui de la sublime bande-annonce d’Assassin’s Creed Revelations grâce au fait qu’elle avait très justement utilisé Iron de Woodkid pour l’accompagner, ou de l’une des missions les plus badass de Saints Row The Third grâce à son ambiance bercée au titre Power de Kanye West. Mais il n’est pas toujours facile d’utiliser une musique sous licence sans subir un effet jukebox pas toujours bienvenu. Alors quand on associe une reprise inattendue d’un titre culte à un moment de pause parfaitement optionnel et secondaire, le tout au cœur d’une histoire déjà chargée d’émotions, on obtient l’une des scènes les plus mémorables de l’un des jeux les plus marquants de ces dernières années.

Ce n'est pas tous les jours qu'on cite Assassin's Creed et Saints Row dans le même paragraphe...

Dans The Last of us Part II, vous arriverez rapidement au centre-ville de Seattle aux commandes d’Ellie et accompagnés de son amie Dina. En plus de vous proposer l’un des environnements les plus ouverts du jeu, ce moment sera l’occasion de vous perdre parmi les activités annexes. Si quelques joueurs ne chercheront qu’à aller de l’avant, d’autres prendront le temps de se perdre un peu jusqu’à arriver dans un magasin de disques délabré. A l’intérieur, vous pourrez notamment trouver une guitare, et le jeu vous proposera alors une des plus belles pauses musicales que l’on ait pu vivre. Vous aurez en effet l’occasion d’accorder l’instrument à cordes avant de laisser peu à peu le jeu prendre le contrôle pour entendre Ellie reprendre à sa façon la cultissime Take on Me de a-ha.

Si l’on peut trouver dommage qu’une telle scène soit optionnelle, et donc que de nombreux joueurs passeront nécessairement à côté, c’est justement cet aspect qui la rend si exceptionnelle. Elle vient récompenser ceux qui prennent le temps de se laisser absorber par l’ambiance, et leur permet de vivre un moment suspendu qui les suivra à chaque fois qu’ils entendront à nouveau ce morceau à la radio. On se demande d’ailleurs si cette scène apparaîtra un jour dans la série diffusée sur Amazon Prime, et si elle aura un impact similaire sur le spectateur.

Attention : bien que cette vidéo ne révèle aucun élément scénaristique, nous vous conseillons de la découvrir en jeu si vous comptez jouer à The Last of Us Part II

S’ils appartiennent davantage aux pauses “cinématiques” qu’aux pauses musicales intégrées au gameplay, les moments marqués par les musiques sous licence de Life is Strange répondent également au même principe que cette reprise d’Ellie. Impossible aujourd’hui pour les joueurs de ce titre d’écouter Spanish Sahara (de Foals) sans penser à la fin traumatisante du jeu, ou d’entendre Lua (de Bright Eyes) sans se remémorer la scène où Max et Chloé se réveillent dans la chambre de cette dernière après avoir infiltré l’école de nuit.

Les pauses musicales : un véritable atout pour le jeu vidéo ?

Puisque le jeu vidéo est un art en regroupant bien d’autres et qu’il ajoute une dimension interactive à ces derniers, il est nécessaire de savoir les utiliser à bon escient. Alors qu’il n’y a jamais eu autant de jeux disponibles et que ces derniers sont souvent de plus en plus longs (du moins pour les AAA en monde ouvert), il devient difficile de s’attacher à l’ambiance de chacun d’entre eux et de prendre le temps de les apprécier à leur juste valeur quand on a une liste longue comme le bras de tâches à réaliser, le tout avant que la prochaine sortie n’arrive.

Si l’on veut pouvoir s’attacher à l’univers d’un jeu, il devient donc capital de pouvoir faire des pauses à l’intérieur même de ce dernier pour prendre le temps d’encaisser tout ce qu’il nous propose. Alors que certains joueurs savent profiter d’un beau paysage pour se convaincre eux-mêmes de poser la manette un instant, les développeurs ont bien compris qu’il faut parfois les aider, et que la musique est un atout non négligeable pour y parvenir. Si s’asseoir sur un banc ou un rebord pourra alors servir des éléments de gameplay bien précis, il s’agit également du moment opportun pour tenter de convaincre le joueur de s’arrêter et de se laisser enivrer dans l’ambiance du jeu. Et s’il est assez courageux pour se perdre dans les chemins optionnels du titre, peut-être pourra-t-il même se retrouver face à un moment absolument mémorable qui le convaincra que son temps passé à jouer était loin d’être perdu, avant de passer au jeu suivant.