Tout le monde connaît Uncharted, The Last of Us et même le studio Naughty Dog, mais connaissez-vous Neil Druckmann ? Créateur des aventures de Joel et Ellie, le co-président du studio a fêté son anniversaire cette semaine. Alors que la série The Last of Us approche à grand pas, nous vous proposons de découvrir à cette occasion un portrait de l'homme clé du studio à l'origine de nombreux succès de PlayStation ces 15 dernières années.
Naughty Dog a rarement fait autant l'actualité qu'en 2022, entre la sortie de l'adaptation cinématographique d'Uncharted en début d'année, et les annonces distillées au compte-gouttes concernant la série télévisée The Last of Us à venir sur HBO en janvier 2023. Pourtant, cela fait bientôt deux ans et demi que le studio californien n'a pas publié de titre inédit, et s'est "contenté" pour le moment de remettre au goût du jour ses plus grands hits des 10 dernières années sur une PlayStation 5 en manque d'exclusivités. Ainsi, 2022 aura vu successivement paraître Uncharted : Legacy of Thieves Collection, compilation des deux opus de la série sortis sur PlayStation 4, ainsi que le parfois controversé The Last of Us Part I, remake considéré par certain(e)s comme prématuré du chef-d'œuvre de la PlayStation 3. Tous les titres concernés ont un point commun non négligeable : Neil Druckmann, l'homme à l'origine de l'explosion de Naughty Dog, et dont nous vous proposons un portrait détaillé à l'occasion de son anniversaire.
Sommaire
- Qui est Neil Druckmann ?
- Uncharted, le tournant décisif
- The Last of Us, ou "the first of him"
- Une carrière en apothéose sur PS4
- La signature d'un jusqu'au-boutiste
Qui est Neil Druckmann ?
Si Naughty Dog a connu une telle "explosion" (dans le bon sens du terme !) durant la précédente décennie, c'est bien parce que l'homme qui fête aujourd'hui ses 44 ans lui a donné un sérieux coup de fouet. Né le 5 décembre 1978 en Israël, Neil Druckmann fut témoin très jeune de nombreuses scènes de violence et de guerre urbaine, un quotidien difficile dont il expliquera s'être échappé grâce aux comics, aux films et aux jeux vidéo, auxquels l'avait introduit son grand frère. Les jeux de LucasArts ou encore de Sierra avaient notamment particulièrement retenu son attention et donné envie d'apprendre l'anglais à un très jeune âge, avant que lui et sa famille ne quittent le pays pour les États-Unis en 1989. C'est en Floride qu'il entame ses études universitaires (dans la criminologie) après y avoir passé ses années de collège et de lycée, mais le premier tournant de sa jeune carrière se situe lorsqu'il part pour Pittsburgh (où se déroule un chapitre entier de The Last of Us !) en 2003. Une archive de l'université où il y étudiait, écrite par ses soins, nous renseigne notamment sur ses grandes ambitions pour l'avenir :
Mon projet à court terme est d'entrer dans une école où je pourrais faire fusionner mes passions pour tout ce qui touche à l'art et à la technologie, et me permettra ainsi de projeter mes théories de game design dans une autre dimension. (…) Si vous regardez dans une boule de cristal, vous pouvez clairement me voir concevoir des jeux vidéo révolutionnaires pour la toute nouvelle Dodecahedron-Box 2 de Ninten-Soft. (sic)
– Neil Druckmann, archive de l'université de Carnegie Mellon, 2003
Il ne le sait pas encore à l'époque, mais le jeu amateur "Dikki Painguin in: TKO for the Third Reich" développé pour la NES avec un autre étudiant en avril 2004 sera sa seule création liée à un autre constructeur que Sony, et même à un autre développeur que Naughty Dog. Désireux d'enrichir au plus vite son CV (dont une archive d'époque est elle aussi encore consultable), Druckmann assiste à la Game Developers Conference (GDC) de 2003, où il entre en contact avec Jason Rubin, co-fondateur de Naughty Dog, et le convainc de le mettre à l'essai. C'est Evan Wells, actuel co-président du studio, et à l'époque lead designer de tous les jeux Naughty Dog depuis Crash Bandicoot 3 : Warped, qui lui donnera sa chance en lui offrant une opportunité de stage au sein d'un studio qui connaît sa moins bonne période en terme de résultats. La franchise Jak & Daxter est en effet un succès moindre sur PlayStation 2 que celui que connut la trilogie Crash Bandicoot en son temps sur PlayStation. Neil Druckmann travaillera en premier lieu en tant que "simple" programmeur sur Jak 3 puis sur le spin-off de course Jak X, titre qui constituera un easter egg récurrent dans l'univers post-apocalyptique de The Last of Us.
Uncharted, le tournant décisif
Ses archives universitaires en témoignaient déjà, mais Neil Druckmann, grandement influencé par Sam Lake (Max Payne) qu'il considère comme un de ses modèles, est un jeune développeur extrêmement ambitieux dont le rêve est de devenir game designer. Pendant son stage, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour se faire remarquer par Evan Wells, qu'il espère convaincre de l'embaucher, et dans un rôle plus important. C'est ainsi que son stage en progammation sera converti en poste de programmeur à plein temps, même s'il vise encore plus haut. Wells lui promet de s'intéresser à ses travaux de game design s'il s'en occupe sur ton temps libre, et c'est une opportunité que le jeune Druckmann ne loupera pas. Durant le développement de Jak X, celui qui vient d'être promu vice-président du studio suite au départ des deux fondateurs finit par reconnaître le talent évident de sa jeune recrue. Le poste dont il rêvait lui est donc confié sur Uncharted : Drake's Fortune, la toute nouvelle licence du studio supposée le relancer sur une PS3 aux débuts un peu délicats.
Le développement du premier Uncharted est cependant compliqué, et Druckmann va saisir une occasion en or : en plus de son rôle de game designer, la possibilité lui est offerte d'assister Amy Hennig, directrice créative et scénariste des premières aventures de Nathan Drake. C'est l'opportunité rêvée pour lui de témoigner de ses capacités d'écriture, jusqu'ici non exploitées dans sa jeune carrière. Le résultat sera une réussite, le premier Uncharted étant très bien accueilli, et le duo sera ainsi reconduit sur Uncharted 2 : Among Thieves deux ans plus tard. Le succès d'estime global de cette suite sera absolument incroyable et marquera son temps, et nous vous invitons à consulter notre article dédié à Uncharted 2 publié à l'occasion de son anniversaire pour en savoir davantage. Neil Druckmann est tout sauf étranger à cette réception critique et commerciale formidable : il a pris du galon au sein de Naughty Dog et sera crédité en tant que co-lead designer et co-scénariste d'un titre qui porte déjà sa patte. Uncharted 2 est un titre bien plus cinématographique et à l'écriture beaucoup plus soignée que le premier volet, et Druckmann a une grande part de responsabilité dans cette progression très spectaculaire de la franchise.
The Last of Us, ou "the first of him"
Cependant, et de prime abord contre toute attente, Amy Hennig travaillera seule sur Uncharted 3 : L'Illusion de Drake, titre dans lequel Neil Druckmann ne sera jamais impliqué. En effet, après le succès d'Uncharted 2, Naughty Dog divisera ses équipes en deux, l'une devant conclure la trilogie des aventures de Nathan Drake, et l'autre ayant pour but d'œuvrer sur un tout autre projet, dont Druckmann serait le leader. Son équipe était initialement partie sur un projet lié à Jak & Daxter, mais ce dernier sera abandonné car il "ne rendrait pas hommage aux fans de la franchise" (sic). Ainsi, c'est dans l'ombre d'Uncharted 3 que sera ainsi développé The Last of Us, qui constituera le premier titre réalisé par Neil Druckmann, dans lequel il investira tout son savoir-faire, ses idées, et tentera même de concrétiser tout un tas de rêves d'adolescent.
Avant d'intégrer Naughty Dog, celui qui n'était encore qu'étudiant avait imaginé une fusion entre le gameplay de Ico et l'univers d'une apocalypse avec des zombies, telle La Nuit des morts-vivants de George A. Romero, où le joueur incarnait alors un officier de police inspiré de l'inspecteur John Hartigan des comics Sin City. Dans son concept, le protagoniste aurait été chargé de protéger une petite fille, qu'il aurait fini par incarner du fait des soucis de santé du personnage principal. Druckmann reviendra sur cette anecdote dans un ''making of'' publié chez The Verge, expliquant que ce concept fut clairement réutilisé pour la base scénaristique de son premier grand projet en tant que réalisateur et scénariste principal, et avouant plus tard que "il était nécessaire de proposer quelque chose de plus sombre qu'Uncharted pour explorer un thème plus triste et mature" (sic). La suite appartient à l'histoire : The Last of Us sera un succès colossal, considéré par beaucoup comme le plus grand jeu vidéo de sa génération, et consacrera à 34 ans Neil Druckmann comme un des meilleurs game designers de son époque.
Une carrière en apothéose sur PS4
Les hommes ambitieux ne se reposent jamais sur leurs lauriers, et ce n'est clairement pas non plus le cas de Neil Druckmann. Alors que les fans spéculent déjà sur l'éventualité d'une suite à The Last of Us, celui qui a contribué à donner à Nathan Drake ses lettres de noblesse avec Amy Hennig est de retour sur la franchise Uncharted avec un quatrième épisode qui constituera la première exclusivité PS4 de Naughty Dog. Seulement, la pression s'intensifiera quelque peu vu que la mère de Nathan Drake a quitté le studio en 2014 (et, contrairement à ce que des rumeurs avançaient, absolument pas suite à des désaccords avec son jeune associé) : Neil Druckmann devra assumer la réalisation de Uncharted 4 : A Thief's End, dont il sera également co-scénariste aux côtés de Josh Scherr. C'est à ce dernier que l'on devra, selon les mots de Druckmann lui-même, la préservation de l'aspect humoristique propre à la série aux côtés d'une tournure des événements plus mature, dont Druckmann est clairement à l'origine. Incapable d'écrire des blagues (de son propre aveu), il admettra par ailleurs avoir grandement apprécié de travailler en duo sur Uncharted 4, après avoir écrit le scénario de The Last of Us totalement seul.
Sans grande surprise, Uncharted 4 est également une énorme réussite, et illustre la capacité de Druckmann à retourner à ses premières amours (ou presque) avec brio. Très peu impliqué sur le spin-off Uncharted : The Lost Legacy, où lui est attribué un rôle de superviseur narratif sans grande incidence, il est d'ores et déjà tourné vers ce qui est indiscutablement le projet le plus ambitieux et difficile de sa carrière, et sera d'ailleurs révélé aux joueurs du monde entier en même temps que The Lost Legacy : The Last of Us Part II. Cette suite aussi attendue que redoutée du "game changer" qui a fait sa légende occupera le plus clair de son temps, ceci d'autant plus qu'il sera "séparé" de Bruce Straley, co-réalisateur du premier épisode. Cependant, Naughty Dog a parfaitement intégré que Neil Druckmann était le nouvel homme fort du studio, dont il sera promu vice-président en 2018, après le départ de l'historique Christophe Balestra. Souvenez-vous, ce français co-président d'un des plus grands studios de jeux vidéo américains de 2003 à 2017, et dont nous vous dressions un portrait dédié récemment dans nos colonnes.
La signature d'un jusqu'au-boutiste
Ayant tenté entre-temps de travailler sur une adaptation cinématographique de The Last of Us, dont il écrivait le scénario (ce que Sony annonça en 2014) et qui devait être produit par Sam Raimi (Evil Dead, Spider-Man), Neil Druckmann avoua lui-même en 2016 que le développement du projet était catastrophique, puis en 2018, déclara carrément : "je ne veux pas que ce film soit fait." Toute son attention était de toute façon occupée par The Last of Us Part II, suite bien plus personnelle dont la trame scénaristique, basée en grande partie sur la vengeance et le cycle de violence, fut grandement inspirée par l'expérience traumatisante de son enfance en Israël. C'est ainsi qu'il émit le souhait que le joueur se sente, selon ses mots, "assoiffé de vengeance" avant de devoir réaliser et assumer les choix de leurs actes in-game. Une vision radicale et sans concessions qui divisa l'équipe de développement, ce qui ravit en quelque sorte Druckmann, qui préférait livrer une suite clivante plutôt que consensuelle.
Si The Last of Us Part II a moins fait l'unanimité aussi bien en interne qu'auprès des joueurs, c'est probablement parce qu'il est l'œuvre qui porte le plus la signature de son créateur. Désireux de promouvoir la diversité de genre dans les jeux vidéo, et citant Anita Sarkeesian, fondatrice de Feminist Frequency, comme une de ses plus grandes influences, il estimera par ailleurs qu'il est vital d'inclure davantage de protagonistes féminins dans le jeu vidéo, et s'est déclaré heureux que Ellie, héroïne du titre, soit une "protagoniste forte et non sexualisée". Dans la foulée, il avancera que le succès commercial de The Last of Us est la preuve qu'un jeu vidéo où on incarne une femme peut très bien se vendre, souhaitant tordre le cou à une idée reçue qu'il considère parfaitement hors de propos. Le niveau d'engagement assez perceptible de Druckmann aura hélas des conséquences négatives sur la réception du titre, qui entraînera des vagues de harcèlement et de menaces envers son réalisateur ainsi que certains des comédien(ne)s de doublage, ternissant le succès critique et commercial de cette suite qui aura assumé les risques pris jusqu'au bout.
Loin d'être épargné par les polémiques, Neil Druckmann fera également l'actualité lors de l'enquête de Kotaku visant les conditions de travail des employés de Naughty Dog, et la pratique du ''crunch'' intensif, où la culture du perfectionnisme fut notamment pointée du doigt. Désireux d'aller jusqu'au bout de ses idées, celui qui n'est pas encore co-président du studio façonnera certainement The Last of Us Part II à sa manière, mais à quel prix ? Enfin, et pour conclure dans un autre registre moins sujet à controverse, si The Last of Us porte autant son empreinte, c'est également dans la construction de la relation entre Joel et Ellie, initialement imaginée dès le début des années 2000 (voir plus haut) : en devenant père durant l'écriture du premier opus, Neil Druckmann a considéré sa fille comme une immense inspiration à ses yeux. Sa naissance a en effet renforcé sa vision de la famille et l'a amené à penser qu'il "ferait tout pour elle", influant clairement sur la vision que Joel a de sa fille adoptive dans l'univers de The Last of Us.
Quels sont les prochains projets à venir du côté de Neil Druckmann et de Naughty Dog ? Un potentiel The Last of Us Part III, un retour de la licence Uncharted sous forme de reboot, ou une nouvelle licence 100% inédite ? Ce qui est sûr, c'est qu'un des créateurs les plus talentueux de ces 20 dernières années ne compte pas s'arrêter là, et qu'il a forcément de la suite dans les idées. Une chose est sûre : nous n'avons jamais été aussi proches de l'annonce de Naughty Dog concernant leur futur projet. Il semble plus qu'évident que Neil Druckmann, intrônisé co-président en décembre 2020 aux côtés de celui qui lui a donné sa chance 15 ans auparavant, jouera un rôle majeur dans cette prochaine production que les joueurs PlayStation attendent de pied ferme, et espèrent surtout être une exclusivité PS5. En attendant, bon anniversaire Neil Druckmann !