D’Assassin’s Creed à God of War, quand on parle mythologie nordique, c’est souvent pour se pencher sur le Ragnarok. Mais vous aurez sans doute remarqué que les récits différent à chaque fois. Qui a raison, qui a tort ? Quelle est donc la véritable histoire du Ragnarok ? Préparez-vous pour une plongée au cœur de la fin du monde nordique !
Cet article est un aperçu simplifié des récits mythologiques les plus répandus concernant le Ragnarok. Pour tout un tas de raisons (que nous effleurons dans cet article), il est très compliqué de délivrer un article exhaustif sur la mythologie nordique. Si vous voulez en savoir plus ou approfondir certains points, nous ne pouvons que vous conseiller de vous tourner vers des historiens et autres spécialistes de la mythologie nordique (Laurent Di Filippo, François-Xavier Dillmann, Patrick Guelpa…).
Sommaire
- Loki, Baldr, Odin… Qui est responsable du Ragnarok ?
- La fin des Dieux
- L'Apocalypse version mythologie nordique ?
Loki, Baldr, Odin… Qui est responsable du Ragnarok ?
Dans le précédent opus de God of War (2018), Kratos et Atreus ont accidentellement provoqué le fameux Ragnarok. Vous vous doutez bien que le Tueur de Dieux n’avait, à l’époque des peuples nordiques du Moyen-Âge, rien à faire dans cette histoire. Que disent donc les mythes anciens ? Qui a provoqué la fin du monde dans la mythologie nordique ? Quels événements ont mené à cette fatale conclusion ? Et bien, il n’y a pas de réponse toute simple à cette question. En effet, les prémisses du Ragnarok sont différentes selon les récits. Mais nous allons tout de même tenter de vous en délivrer un aperçu assez complet.
Selon l’un de ces récits, ce serait la magicienne et voyante Gullveig (que l’on croise d’ailleurs dans God of War), dont le nom veut dire Ivresse de l'or, qui aurait déclenché le début de la fin… ou plutôt le conflit qui l’entoure. Les Ases (Odin, Thor…) n’aiment pas franchement Gullveig. Leurs raisons demeurent assez floues, mais leur but très clair : ils veulent la tuer. Oui mais voilà, Gullveig est comme qui dirait invincible. La transpercer de leurs lances ? Inutile. La brûler toute entière à trois reprises ? Une perte de temps. Le supplice que les Ases lui feront subir poussera les Vanes (Freyja, Freyr…) à prendre les armes contre eux. Ainsi, débute une guerre qui va instaurer une volonté tacite de vengeance et elle-même engendrer de nombreux crimes et autres trahisons qui vont paver la voie pour l’arrivée du Ragnarok et être plus ou moins mis en avant selon les histoires.
Ça commence notamment avec le géant maître-bâtisseur qui, après la guerre, propose aux Ases de reconstruire leurs remparts, et ce avant l’arrivée du printemps. Une tâche quasiment impossible en si peu de temps, mais le géant assure qu’il en est capable. Un accord est donc scellé : s’il parvient à bâtir les remparts en moins de six mois, il pourra obtenir le Soleil, la Lune et surtout la main de la déesse Freyja (qui a rejoint Asgard pour apaiser les tensions entre les deux peuples). Pour les Ases, le défi est impossible et ils sont persuadés qu’ils n’auront jamais à céder aux demandes du géant. Sauf que les travaux avancent bien vite, si vite que même les manœuvres malicieuses de Loki ne parviendront pas à retarder assez le chantier. Finalement, c’est Thor qui va régler le problème en fracassant tout simplement le crâne du bâtisseur. Mais forcément, cet acte ne va pas plaire aux géants (ou jötunn) qui vont à leur tour attendre le bon moment pour se venger des Ases. Notez qu’une partie de cette histoire est adaptée dans Assassin's Creed Valhalla avec la mission Le Grand Achèvement.
Rompus furent les serments,
Les paroles, les promesses, Et tous les pactes solennels
Völuspá
Et puisque l’on a évoqué Loki, sachez que son rôle va également être important dans toute cette histoire. Le dieu de la malice a un statut un peu particulier dans le Panthéon nordique. À vrai dire, il n’est, à proprement parler, même pas un dieu. Si Odin l’a accueilli à Asgard, il est plutôt un géant qu’un Ase. Et cela va jouer en sa défaveur. De par sa double nature, les autres Ases s’en méfient. S’ils utilisent son goût pour la ruse quand cela les arrange (comme avec le bâtisseur), ils le pointent souvent du doigt comme un défaut justifiant leur défiance (même si Odin est au moins aussi rusé et égoïste que lui). Du coup, il n’a jamais été vraiment à sa place à Asgard et cela a très certainement joué dans sa construction, jusqu’à devenir le dieu vil que l’on connaît. Ajoutez à cela le fait que ses trois enfants avec Angrboda (Fenrir, Hel, Jörmungand) sont tout simplement écartés par Odin, de façon plus ou moins sympathique selon les cas et vous comprenez un peu mieux son envie de nuire.
Autant dire que Loki en a gros, et le conflit tacite opposant son peuple d’origine à ce peuple adoptif (qui ne veut pas vraiment de lui) ne va pas l’aider. Alors quand l’un des fils d’Odin, Baldr (dont la mère est Frigg) devient l’animation d’Asgard grâce à son invulnérabilité tout juste obtenue, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Jaloux, il va user de sa malice pour trouver un moyen de tuer Bladr et il réussit, du moins c’est ce que nous racontent certains récits. Notez que selon les interprétations, l’implication de Loki dans cette histoire est vivement débattue. Quoi qu'il en soit le résultat est toujours le même. Baldr meurt, ne peut pas quitter le royaume de Hel et Loki, jugé responsable de ces crimes, est enchaîné à un rocher par les Dieux. Que ce soit dans Valhalla, God of War ou les récits mythologiques, le meurtre de Baldr (dont le contexte est très différent dans les jeux) marque le début du Ragnarok, ou du moins des événements censés l’annoncer.
La fin des Dieux
Tout commence par le Fimbulvetr, un hiver durant trois ans et particulièrement éprouvant. Si vous avez lancé God of War : Ragnarok, ce nom ne vous est pas inconnu puisque c’est effectivement en plein grand hiver que débutent les nouvelles aventures de Kratos et d’Atreus. Mais qui dit Fimbulvetr, ne dit pas seulement un froid insoutenable. Pris d’une folie glaciale, les hommes s’entretuent et d'atroces exactions sont commises (meurtre, inceste, viol…). Mais le pire est à venir et c’est du côté de Sköll et Hati que ça se passe. Les deux chiens, enfants de Fenrir, étaient habitués à courir après le Soleil et la Lune, pour les chasser. Une mission qui leur avait été confiée par leur grand-père, Loki, et avait donné vie au vertueux cycle des jours et des nuits. En revanche, si les deux loups parvenaient à attraper ces deux astres, ils pourraient alors les dévorer. Vous l’aurez compris, ce jour finit par arriver.
C’est alors la fin du temps et forcément, cela n’est pas sans conséquence. Les arbres perdent racine et le sol tremble si fort que le monde finit par se briser. Résultat : les enfants de Loki retrouvent leur liberté. Et autant dire qu’ils ont eu le temps de nourrir une haine féroce pour les Dieux. Maintenant libres, leur vengeance sera terrible. Fenrir dévore quiconque croise son chemin. Hel décharge son armée de morts et son chien Garmr sur les gens. Et Jörmungand, de son côté, bouge si fort qu’il provoque de nombreuses inondations. Pendant ce temps, Loki se défait de ses chaînes et se joint donc à sa progéniture pour tout détruire. Le chaos est tel que la barrière séparant les différents mondes finit par sauter. Maintenant, plus rien ne retient les Jötunn. Et c’est également le cas des Muspel du géant Surtr (antagoniste d'Assassin's Creed Valhalla : L'Aube du Ragnarök) qui ont eux aussi une dent contre les Ases. La grande bataille pour défier les Dieux peut commencer.
Toutes ces troupes traversent le Bifrost pour se retrouver sur la grande plaine de Vígríd. Le coq Gullinkambi réveille les guerriers du Valhalla, les Einherjar, qui accourent sur le champ de bataille, tout comme les Ases et les Valkyries. Heimdall fait sonner son cor : c’est le début de l’ultime guerre. Freyr affronte Surtr, Týr se bat contre Gramr, Thor contre Jörmungand, Odin contre Fenrir… C’est l’hécatombe. Freyr, Thor, Jörmungand, Týr, Gramr et Odin trépassent un à un. Au final, seuls Surtr, Loki et Fenrir sortent triomphants du combat. Ce dernier ouvre donc grand sa gueule et commence à dévorer l’univers tout entier. Mais c’était sans compter les Dieux Vidarr et Heimdall qui rejoignent le champ de bataille. Le premier déchire purement et simplement la mâchoire de Fenrir, sauvant ainsi l’univers, tandis que le second se lance dans un combat contre Loki qui sera mortel pour tous les deux. De rage, Surtr fait s’embraser la terre toute entière. Tout n’est plus que cendres et désolation. C’est la fin du Ragnarok et surtout la fin du monde… du moins c’est ce que les Dieux pensaient.
Le soleil s’obscurcira,
La terre sombrera dans la mer, Les étoiles resplendissantes Disparaîtront du ciel. La fumée tourbillonnera, Le feu rugira, Les hautes flammes Danseront jusqu’au ciel.
Völuspá
On l’a dit, les récits concernant le Ragnarok divergent quelque peu. Ses raisons et son déroulement ne sont pas toujours les mêmes. Mais s’il y a un point commun entre toutes ces histoires de fin du monde, c’est bien le comportement impardonnable des Dieux. D’une certaine façon, la puissance destructrice du Ragnarok est un moyen de leur faire payer leurs péchés et c’est uniquement avec ce sacrifice qu’un monde meilleur pourra renaître. Des cendres laissées par Surtr, un nouveau monde va prospérer, peuplé grâce aux deux seuls humains restants, Líf et Lífþrasir, sous l'œil bienveillant de Vidarr et Baldr (qui a entre-temps ressuscité oui). Tout est finalement bien qui finit bien...mais ça tout dépend de la version.
L'Apocalypse version mythologie nordique ?
Si ce dénouement vous rappelle étrangement une certaine Apocalypse, ce n’est pas pour rien. L’Eda de Snorri, qui nous conte cette version du Ragnarok, a été rédigé très tardivement, a priori à partir de 1220. L’Âge des Vikings etait fini depuis bien longtemps, laissant place à la christianisation de la Scandinavie (au sens large du terme). Ainsi, ce texte islandais a été écrit deux siècles après la conversion de l’île au christianisme. Si le but pour l’auteur supposé, Snorri Sturluson, était de faire perdurer le goût de la poésie scaldique et les mythes de ses ancêtres, il a forcément été influencé par les croyances de son époque. Surtout que les peuples scandinaves étaient plutôt des adeptes de la tradition orale. Les mythes se sont ainsi transmis de génération en génération, modifiés par le temps et les sensibilités des uns et des autres. Notez d’ailleurs que ce texte ancien nous parle également de halles qui auraient été préservées du feu de Surtr, créant ainsi un équivalent nordique du paradis et de l’enfer. Un point que l’on ne retrouve pas dans les sources plus anciennes (principalement des témoignages archéologiques), qui sont d’ailleurs peu nombreuses.
Si les textes anciens sur la mythologie nordique vous intéressent, l’offre est assez limitée. On l’a dit, les peuples nordiques aimaient beaucoup transmettre leurs traditions à l’oral uniquement. Au final, les premiers textes consistants relatant aussi bien leurs mythes que leur histoire ont été écrits après l’arrivée des premiers chrétiens. C’est le cas de l’Edda de Snorri mais également de l’Edda poétique (poèmes rassemblés dans les années 1260), qui sont aujourd’hui les deux principales sources pour la mythologie nordique. Autant dire que cette dernière est ainsi l’une des anciennes croyances sur lesquelles nous avons le moins de certitudes.
Les récits sont souvent analysés de façon contraire, le débat est permanent et chaque spécialiste y va de sa petite supposition. Ainsi, le Ragnarok pourrait très bien avoir été totalement pensé par les peuples du Nord en observant des catastrophes naturelles (comme le voile de poussière de 536) ou simplement de leur propre imagination. Tout, ou presque, est possible. Et c’est peut-être ça qui fait de la mythologie nordique un terrain de jeu si intéressant. Après tout, les propositions de God of War et d’Assassin’s Creed pourraient bien être plus proches des mythes d’antan que ceux contés dans les Eddas. Mais ça on ne le saura probablement jamais.