Lorsque Square Enix achète Eidos en 2009, l'entreprise fait l'acquisition en même temps de Crystal Dynamics et d'IO Interactive. Après plus d'une décennie à tenter de se frayer une place dans le monde concurrentiel des jeux AAA occidentaux, l'éditeur japonais décide finalement d'arrêter les frais et de revendre les studios qui lui restent, après qu'IO Interactive ait pris son indépendance en 2017. Si beaucoup se sont émus du montant de cette transaction, 300 millions de dollars pour trois studios qui possèdent 1100 salariés et un catalogue de plus de 50 licences, d'autres ont fait part de leur incompréhension vis-à-vis de la logique derrière ce mouvement financier, n'hésitant pas à dire que le groupe a baissé les bras trop tôt.

Cloud, I.A., blockchain : les nouveaux chantiers de Square Enix

Pour justifier cette vente, Square Enix explique dans son communiqué que le montant de la transaction va servir à investir dans l'intelligence artificielle (IA), le cloud ainsi que dans la blockchain. Une déclaration qui est peu étonnante lorsqu'on se souvient des voeux de bonne année pour 2022 du président de Square Enix, Yosuke Matsuda, dans lequel il avait justement indiqué que le groupe cherchait à se développer dans ses secteurs. Des propos qui avaient fait polémiques puisque ce dernier avait fait une distinction entre les joueurs qui "jouent pour s'amuser" et ceux qui "jouent pour contribuer". Par cette seconde formule, le président de Square Enix précise qu'il désigne des utilisateurs qui s'investissent dans un jeu pour "le rendre plus passionnant" et qui peuvent recevoir "un avantage tangible pour leurs efforts créatifs" grâce aux jetons basés sur la blockchain, c'est-à-dire... les NFT. Jouer pour gagner de l'argent donc.

Si Square Enix veut miser sur l'intelligence artificielle, le cloud et la blockchain, c'est aussi parce que l'entreprise avait déjà identifié en mai 2020 que ces trois technologies étaient de potentiels leviers de croissance, au point de pousser à la création de la filiale Square Enix AI & Arts Alchemy au printemps 2020, spécialisée dans l'IA comme son nom l'indique. En ce qui concerne le Cloud, on se souvient que Square Enix a utilisé cette technologie pour plusieurs jeux sur Switch dont Les Gardiens de la Galaxie, mais aussi pour la franchise Kingdom Hearts. Un choix qui en a perturbé plus d'un car si on peut comprendre que la console hybride de Nintendo n'ait pas les ressources pour faire tourner Kingdom Hearts III , on a dû mal à imaginer que des titres comme Kingdom Hearts, Kingdom Hearts II sortis sur PS2 ou Kingdom Hearts : Birth by Sleep sur PSP ne soient pas capables de marcher nativement sur Switch. D'ailleurs, si le résultat de ces derniers est correct en cloud, difficile d'en dire autant pour le troisième épisode de KH qui souffre d'une trop forte compréhension d'après Digital Foundry.

Face aux réactions des joueurs sur les réseaux sociaux concernant les NFT, il est étonnant de voir Square Enix poursuivre dans cette direction. Pourtant, de nombreux studios ont déjà reculé sur ce point, à l'image de Team 17 (la série Worms), GSC Game World (S.T.A.L.K.E.R. 2 : The Heart of Chornobyl) et surtout d'Ubisoft avec sa plateforme Quartz qui n'a pas réussi à conquérir le coeur du public. Pourtant, certains des gros jeux de l'éditeur déjà bien installés ont annoncé qu'ils ne proposeraient pas de jetons non fongibles. C'est notamment le cas de Final Fantasy XIV, le MMORPG phare du groupe qui représente l'une de ses principales sources de revenus grâce à son abonnement mensuel.

Une vente pour des raisons administratives ?

Au-delà de ces raisons officielles détaillées par Square Enix dans son communiqué, un acteur inattendu a pris la parole ces derniers jours pour évoquer une autre cause qui aurait pu pousser à cette vente. Pour le coup, il s'agit d'une source très bien renseignée puisqu'il s'agit de Yoichi Wada, ancien PDG de Square Enix entre 2000 et 2013 qui a joué important dans l'acquisition d'Eidos en 2009, mais qui a aussi quitté l'entreprise suite aux ventes décevantes de Tomb Raider (2013). Ainsi, sur son compte Facebook, il explique qu'il ne comprend pas la manoeuvre derrière cette transaction, que ce n'est pas intéressant d'un point de vue financier, hormis si ce n'est pour réduire les dépenses en frais administratifs et de production qui ont explosé ces sept, huit dernières années.

À la lumière de ces informations, la vente d'Eidos, Crystal Dynamics et Square Enix Montréal à Embracer Group devient beaucoup plus claire. Avec une masse de plus de 1100 salariés et plusieurs sites où les accueillir, il est évident que tout cela représente un coût important, surtout pour une entreprise qui compte au total 5500 employés. En se séparant de ces structures, cela fait un nombre conséquent de dépenses en moins pour Square Enix, surtout pour des projets qui n'ont pas toujours été satisfaisants au niveau ventes au cours de la dernière décennie. Pour ces raisons, on comprend mieux pourquoi l'éditeur japonais a voulu se séparer de ses structures et de ses licences pour un montant si peu élevé en apparence, 300 millions de dollars.

Avec des entités aussi importantes en termes de masse salariale, l'échec commercial d'un jeu AAA pèse encore plus lourd dans les résultats de l'éditeur. Pour cette raison, Square Enix a de plus en plus l'habitude ces derniers temps de développer des titres en externe ou de co-développer avec un autre studio pour minimiser les pertes en cas de mauvaises ventes. TRIANGLE STRATEGY, Babylon's Fall, Stranger of Paradise Final Fantasy Origin, Valkyrie Elysium, Star Ocean : The Divine Force... les exemples sont légion cette année. Ainsi, en cas de mauvaise réception commerciale, l'impact sur les finances du groupe sont moins importantes car la plupart de ces titres profitent d'un budget d'un jeu AA, soit moins d'une cinquantaine de millions de dollars. Finalement, seuls les gros projets qui servent de porte-étendards comme Final Fantasy XVI, Forspoken, Final Fantasy VII Remake Part 2, Dragon Quest XII ou encore Kingdom Hearts IV sont développés en interne par les différentes branches appelées Creative Business Unit. Pour ce qui est des jeux mobiles, principale source de revenus de l'éditeur, ces derniers sont aussi bien produits au sein de l'entreprise que par des studios externes.

Avec le rachat d'Eidos, Crystal Dynamics et Square Enix Montréal, Square Enix veut utiliser le montant de la vente pour continuer d'investir dans des secteurs potentiellement rentables à terme que sont le cloud, l'intelligence artificielle et la blockchain. De plus, cette transaction semble aussi avoir été motivée par une volonté d'atténuer les coûts de productions qui ont explosé ces dernières années et sont devenus difficiles à payer à force de chiffres de ventes pas toujours satisfaisants. Finalement, au-delà de ses investissements vers de nouvelles technologies, Square Enix semble donc se reconcentrer sur le Japon à travers trois principaux types de productions : les jeux AAA développés en interne basés sur les licences fortes qui servent de portes-étendards, des titres au budget AA réalisés en externe pour minimiser les pertes et des jeux mobiles pensés pour une rentabilité maximale qui s'appuie aussi bien sur ses franchises de jeux vidéo que de mangas. Désormais, il ne nous reste plus qu'à attendre que Final Fantasy XVI montre le bout de son nez, et si les rumeurs de rachat par Sony sont finalement avérées.