À l'occasion de cet anniversaire symbolique, petit retour sur l'histoire de cette grande saga du J-RPG qu'est Dragon Quest. De ses débuts à aujourd'hui, en passant par ses heures gloires et ses moments de creux, nous vous proposons une brève rétrospective de cette licence phare de Square Enix pour mieux saisir ce qu'elle peut réserver à l'avenir.
27 mai 1986. Les joueurs japonais trouvent dans leurs boutiques un jeu à la jaquette colorée montrant un chevalier en train d'affronter un dragon et avec pour titre Dragon Quest. Ce qu'ils ne savent alors pas, c'est que la cartouche qu'elle contient va révolutionner l'industrie du jeu vidéo à jamais. Dix épisodes numérotés et plusieurs dizaines de spin-off plus tard, la série s'est imposée comme une référence incontournable du J-RPG, si ce n'est son fondateur. En l'honneur des 35 ans de la saga, c'est l'occasion de revenir sur les origines de cette licence culte ainsi que sur son avenir suite au livestream anniversaire diffusé hier soir.
Une formule bien huilée dès les origines
Si les jeux vidéo résultent souvent du travail de plusieurs personnes, on a depuis toujours pris la mauvaise habitude de célébrer un seul membre que l'on considère comme l'unique "créateur". Dans le cas de Dragon Quest, difficile d'évoquer ses origines sans parler de Yūji Horii, figure phare de la série. Né en 1954, il est diplômé de littérature à l'université Waseda de Tokyo dans les années 80 et travaille ensuite en tant que rédacteur freelance pour différents journaux et magazines. Parmi ses piges, il écrit notamment pour la chronique Famicom Shinken publiée dans le célèbre Weekly Shonen Jump de 1985 et 1988. Il finit par entrer chez Enix en 1983 grâce à un jeu de tennis et produit dans la foulée trois jeux d'aventure appelés par la suite "Trilogie du mystère de Yūji Horii".
Suite à ces projets, il se prend alors de passion pour les RPG occidentaux sur Apple II, en particulier Wizardry et Ultima. En 1986, il décide alors de créer un RPG plus accessible qui puisse parler au plus grand nombre, sans le déluge de statistiques que l'on retrouve dans Dungeons & Dragons. Ainsi, pour son nouveau jeu, il reprend les combats aléatoires à la première personne au tour par tour de Wizardry, les déplacements en vue du dessus d'Ultima et le storytelling de ses précédents jeux en mettant encore plus l'accent sur l'histoire. Pour l'aider sur la partie artistique, il demande à la Shueisha, propriétaire du Weekly Shonen Jump, s'ils n'ont pas un dessinateur disponible pour créer les graphismes de cet univers. C'est alors qu'on lui propose un jeune mangaka du nom d'Akira Toriyama qui après avoir terminé Dr Slump venait de débuter une nouvelle série du nom de Dragon Ball. Pour ce qui est de la musique, il fait appel à un compositeur ayant déjà travaillé avec Enix, Koichi Sugiyama, déjà très connu au Japon pour sa longue carrière à la télévision.
Une approche plus accessible du RPG, un scénario de Yūji Horii, une direction artistique d'Akira Toriyama et des compositions musicales de Koichi Sugiyama : tout cela réuni forme la formule de Dragon Quest que l'on va retrouver dans tous les épisodes de la saga et qui est à l'origine de sa popularité dès ses débuts. Ainsi, le titre se vend à plus d'un million d'exemplaires en 1986, l'année de sa sortie, aidé notamment par plusieurs articles dans le Weekly Shonen Jump. Malheureusement, le titre ne rencontrera pas le même accueil trois ans plus tard aux Etats-Unis à cause de ses graphismes datés et son style de jeu plus lent. Ce lancement à l'étranger présage déjà de l'avenir de Dragon Quest qui va surtout connaître sa popularité au Japon.
Le succès des années Nintendo
Dès l'année suivante, l'équipe rempile pour un second épisode qui reprend les éléments qui ont fait le succès du jeu original tout en situant son action cent ans plus tard. Avec son aire de jeu plus grande, le titre avait surtout pour grande nouveauté de proposer une équipe de trois personnages alors que le premier opus ne permettait d'en jouer qu'un seul. Malheureusement, à cause de retards dans le développement, l'équilibrage du jeu n'a pas pu être fini à temps, faisant de Dragon Quest II l'un des jeux les plus difficiles de la saga. Cela ne l'empêchera pas pour autant de s'écouler à plus de deux millions d'exemplaires au Japon.
Après avoir sorti deux jeux dans un laps de temps assez court, Enix va alors prendre plus de temps pour développer le troisième opus, attendu au tournant au Japon. Afin de former une trilogie, Dragon Quest III est donc une préquelle des deux précédents épisodes. Les joueurs incarnent Erdrick, connu au Japon sous le nom de Roto, qui est l'ancêtre commun des héros de Dragon Quest I et II. Mais encore plus que son histoire, la grande nouveauté de ce troisième volet réside dans son introduction du système de jobs que l'on retrouve plus tard dans de nombreux autres J-RPG, Final Fantasy III en tête. Ainsi, si le personnage principal est de la classe Héros, le joueur peut recruter dans une auberge des compagnons dont il peut choisir le job et ainsi composer l'équipe de son choix. D'ailleurs, le nombre de personnages présents lors des combats passe désormais à quatre.
Face à l'attente qui entoure le jeu, c'est à cette période qu'apparaît une légende urbaine tenace qui colle à la licence. La rumeur veut que face à l'engouement provoqué par la sortie du jeu, le gouvernement japonais ait fait voter une loi pour obliger Enix à sortir leurs jeux le week-end pour éviter un fort taux d'absentéisme au travail et à l'école en semaine. En réalité, la vérité est beaucoup plus simple puisque cette décision a été prise par Enix eux-mêmes, sans contraintes gouvernementales. Dans tous les cas, le succès est une fois de plus présent puisque Dragon Quest III se vend à un million d'exemplaires le jour même de sa sortie, le 10 février 1988, atteignant les 4 millions de ventes à la fin de sa commercialisation. C'est donc sans grande surprise que le jeu est souvent considéré comme l'un des opus préférés des joueurs japonais et qu'il ait droit à un remake HD annoncé hier soir lors du livestream spécial pour les 35 ans de la saga.
Suite au carton de la première trilogie, une seconde va être lancée par Enix entre 1990 et 1995 appelée cette fois Trilogie Zénithienne. À mi-cheval entre la NES et la SNES, les trois épisodes suivants vont proposer des aventures plus originales que les trois premiers titres, tout en restant fidèles à l'ADN de la saga. Ainsi, Dragon Quest IV propose de suivre différents personnages qui vivent chacun leurs aventures et qui finissent par se rejoindre à un moment de l'histoire. Du côté de Dragon Quest V, premier volet sur SNES, on y suit un protagoniste tout au long de sa vie, de sa venue au monde jusqu'à son mariage et la naissance de ses enfants. Par sa dimension plus intime, il s'agit également d'un des opus préférés des joueurs. Enfin, Dragon Quest VI revient à quelque chose de plus classique et signe le retour du job system introduit dans le troisième volet. Après deux trilogies sur consoles Nintendo, Dragon Quest est au sommet de sa popularité. Malheureusement pour elle, la série va connaître une période plus trouble avec son passage sur PlayStation.
Des sorties plus espacées dans les années 2000
Annoncé initialement en 1996 pour la Nintendo 64DD, Dragon Quest VII passe finalement sur PS1 à partir de 1997. Les raisons alors évoquées par Enix sont le parc installé de consoles PlayStation ainsi que le bas coût de production des CD-Rom. Finalement, le jeu finit par sortir en août 2000 au Japon, un mois après Final Fantasy IX. Ce long développement est dû au passage à des graphismes en 3D, mais également à la volonté des développeurs de perfectionner le titre jusqu'au bout malgré le fait qu'ils ne soient qu'une trentaine. Si le titre rencontre un succès à la hauteur des autres épisodes avec 4 millions d'exemplaires écoulés, les critiques lui reprochent un début très lent (le premier combat n'arrive qu'après plusieurs heures de jeu) ainsi qu'une aventure très, voire trop, longue.
Face au temps de développement nécessaire, Dragon Quest VII est finalement le seul opus numéroté de la série à sortir sur PS1. Cependant, la saga revient en force quatre ans plus tard sur PS2, avec Dragon Quest VIII : L'Odyssée du Roi Maudit. Un épisode particulier pour nous autres Européens puisqu'il s'agit du premier Dragon Quest à sortir chez nous. Pour ce qui est de la technique, il s'agit également du premier jeu entièrement en 3D de la série, Dragon Quest VII mélangeant à la fois environnement 3D et sprites en 2D. Pour parvenir à ce résultat, Enix (devenu entretemps Square Enix depuis la fusion avec son rival) va faire appel à un studio externe, Level-5, que l'on connaît surtout aujourd'hui pour les Professeur Layton, Inazuma Eleven, Yo-kai Watch et autres Ni no Kuni. Sorti en 2004 au Japon, 2005 aux Etats-Unis et 2006 en Europe, le titre finit par atteint les 4,9 millions de ventes dans le monde, preuve que la licence est capable d'avoir une popularité en dehors du Japon.
Toujours en collaboration avec Level-5, la série va finalement faire un retour en 2009 sur consoles Nintendo avec le neuvième épisode. Cette fois, la formule bien huilée des Dragon Quest va se voir un peu perturbée puisqu'après des années de jeu solo, ce nouvel opus exclusif à la Nintendo DS propose une aventure coopérative tournée vers le multijoueur local et en ligne. Évidemment, il reste possible de parcourir l'aventure seul en recrutant des PNJ en tant que compagnons, mais le titre invite à jouer avec d'autres joueurs. Pour continuer à faire découvrir la franchise dans le monde entier, c'est Nintendo qui va cette fois se charger de distribuer le jeu en dehors du Japon.
À partir de la sortie de Dragon Quest IX, la série principale va connaître une décennie de calme pour nous autres Occidentaux à cause du projet majeur qui a suivi. Face au succès de Final Fantasy XI Online, Square Enix va décider de poursuivre sur la voie du neuvième épisode en allant encore plus loin et faire de Dragon Quest X un MMORPG. Annoncé en 2008, le jeu sort finalement en 2012 au Japon sur Wii puis sur Wii U, 3DS et PC l'année suivante, avant d'atterrir en 2017 sur Switch et PS4. Depuis son lancement, le jeu n'a ainsi jamais quitté l'archipel nippon malgré sa popularité. En effet, en 2014, le jeu accumulait déjà plus d'un million de ventes. Derrière ce succès, on retrouve notamment un certain Naoki Yoshida qui a travaillé en tant que planificateur en chef sur le projet avant de partir sauver Final Fantasy XIV, autre MMORPG phare de Square Enix, pour le succès qu'on lui connaît aujourd'hui. Malheureusement, s'il a été question du jeu lors du livestream d'hier soir, notamment d'une version offline en SD, le jeu n'est toujours pas prévu pour une sortie internationale.
Toute l'attention des développeurs étant focalisée sur la production de nouvelles extensions pour DQX, la série principale a donc disparu pendant presque une décennie en Occident. Il faut alors attendre l'annonce de Dragon Quest XI en 2015 et sa sortie en 2018 sur PC et PS4 en Occident pour voir le retour d'un épisode numéroté chez nous. Les joueurs occidentaux ont ainsi pu retrouver l'ambiance et le charme unique de la saga dans des graphismes plus actuels grâce à l'Unreal Engine 4. Malgré les années, la popularité de la licence dans le monde ne semble pas avoir été effritée avec 5,5 millions de copies écoulées dans le monde en décembre 2019. Et ce, sans compter les ventes de la version S qui porte le jeu sur Switch, Xbox et Stadia.
Des spin-off (presque) plus nombreux que les épisodes numérotés
Si les sorties d'épisodes numérotés se sont espacées au fil des années notamment à cause du temps de développement nécessaire, la licence Dragon Quest n'est pas restée en repos pour autant. En effet, la force de la saga réside également dans ses nombreuses séries spin-off qui déclinent l'univers dans d'autres styles de jeu. Ainsi, suite au système de captures de monstres introduits dans Dragon Quest V en 1992, et surtout face au succès de Pokémon Version Rouge en 1996, Enix va lancer en 1998 la série des Dragon Quest Monsters. Comme son nom l'indique, le principe de ces spin-off est de capturer des monstres pour en combattre d'autres tout au long d'une aventure. Une façon de capitaliser sur les monstres designés par Akira Toriyama qui sont un élément clé de la popularité de cet univers, comme les Slime qui en sont la mascotte. Chez nous, en France, on connaît surtout ces jeux grâce à Dragon Quest Monsters : Joker sorti sur DS en 2008.
Fruit du hasard ou non, les liens entre Dragon Quest et Pokémon ne s'arrêtent pas là, puisqu'on peut également évoquer l'histoire de Torneko no Daibôken, spin-off de DQ sorti en 1993. Dans ce dernier, on retrouve le personnage de Torneko, le marchand de Dragon Quest IV, dans un jeu qui est en réalité le premier épisode des Donjons Mystères, série que l'on connaît surtout chez nous grâce à... Pokémon Donjon Mystère : Equipe de Secours Rouge. La boucle est bouclée ! Au-delà de Pokémon, de nombreux spin-off de Dragon Quest se contentent de décliner la formule d'autres jeux à succès. Ici, on pense évidemment aux récents Dragon Quest Builders qui reprennent évidemment le principe de Minecraft sans en dire le nom. Parfois, Yūji Horii fait également appel à d'autres studios pour décliner son univers à leur sauce. C'est le cas notamment avec les Dragon Quest Heroes, des beat'em'all de type Muso développés par les spécialistes du genre, à savoir OMEGA Force et Tecmo Koei. Enfin, on peut également évoquer les Itadaki Street, très peu connus chez nous, mais qui sont une sorte de déclinaison du Monopoly en jeu vidéo qui reprend les personnages de Dragon Quest. De plus, hier soir a également été annoncé Dragon Quest Treasures dont on sait encore peu de choses.
Comme toute saga à succès, Dragon Quest comporte de très nombreuses oeuvres annexes qui déclinent son univers dans d'autres mediums. Films, séries animées, mangas etc... Ils sont tout aussi nombreux que les jeux spin-off. Cependant, parmi toutes ces oeuvres, il y en a une qui se démarque plus que les autres, surtout récemment : Dragon Quest : La Quête de Daï ou Dai no Daiboken en japonais. Prépublié entre 1989 et 1996 dans le magazine Weekly Shōnen Jump, ce manga supervisé par Yūji Horii et compilé en 37 tomes est connu chez nous sous le nom de Fly lorsqu'il fut publié aux éditions J'ai lu. Face au succès rencontré dans les années 90, un nouvel anime est en cours de diffusion depuis octobre 2020, disponible chez nous sur ADN. Pour surfer sur l'engouement, Square Enix a annoncé en mai 2020 trois jeux tirés de cette seconde adaptation. Ainsi, Infinity Strash - Dragon Quest : The Adventure of Dai est un Action-RPG prévu sur PS4 pour cette année, Dragon Quest : The Adventure of Dai - Tamashii no Kizuna un RPG prévu sur mobiles tandis que Dragon Quest : The Adventure of Dai - Xross Blade est un jeu d'arcade qui utilisera des cartes physiques. Évidemment, tous ces projets ne sont actuellement prévus que pour le Japon. Pour résumé, on a donc un manga adapté d'une licence de jeux vidéo à succès qui va avoir droit à ses propres jeux vidéo, c'est dire sa popularité !
Quel avenir pour Dragon Quest ?
À l'heure actuelle, Dragon Quest a le droit à un traitement assez similaire à celui de son rival de toujours, Final Fantasy. Ainsi, les deux séries ont un nouvel épisode numéroté en cours de développement (Dragon Quest XII / Final Fantasy XVI) tandis que les opus les plus populaires ont droit à des remakes (Dragon Quest III HD-2D Remake / Final Fantasy VII Remake). En attendant la sortie de ces gros projets, Square Enix profite du succès de ses licences grâce à des versions MMORPG (Dragon Quest X / Final Fantasy XIV) et surtout, de très nombreuses déclinaisons mobiles qui rapportent énormément à l'éditeur (Dragon Quest of the Stars, Dragon Quest Rivals, Dragon Quest Walk, Dragon Quest Tact... / Final Fantasy : Brave Exvius, Final Fantasy Record Keeper, War of the Visions : Final Fantasy Brave Exvius, Dissidia Final Fantasy : Opera Omnia...). D'ailleurs, un nouveau jeu pour iOS et Android a même été annoncé hier soir avec Dragon Quest KechiKechi, une sorte de puzzle-game.
À cause de leur proximité en termes de genre de jeu, on aime souvent opposer Final Fantasy et Dragon Quest. Tandis que le premier propose des univers et des systèmes complètement différents d'un épisode à l'autre avec seulement certains éléments en commun, le second, au contraire, offre une plus grande homogénéité entre ses différents volets. Si certains peuvent considérer cela comme un reproche, c'est au contraire ce qui constitue la popularité de Dragon Quest. Une histoire de Yūji Horii, des designs d'Akira Toriyama et des compositions musicales de Kōichi Sugiyama : ces trois éléments réunis systématiquement à chaque nouvel opus font de Dragon Quest une référence et une valeur sûre pour les joueurs, surtout pour ceux qui l'ont connu dès ses débuts. D'ailleurs, c'est aussi pour ça que la série est souvent perçue comme le "RPG de Papa" par un public plus jeune qui se retrouve un peu refroidi par ses mécaniques de jeu un peu trop datées à leur goût. Malgré cela, une grande partie des joueurs japonais continue de trouver en Dragon Quest une valeur refuge, comme une sorte de doudou, qui constitue sa popularité, et ce, même 35 ans plus tard.